Par Yara Hawari
La démocratie en Israël signifierait la fin de l’apartheid, mais ce n’est pas ce que demandent les manifestants israéliens.
Au cours du dernier week-end, des dizaines de milliers d’Israéliens sont descendus dans les rues de Tel Aviv et d’autres villes pour protester contre ce qu’ils considèrent comme une érosion de la démocratie de leur pays.
Les manifestations ont été déclenchées par la législation annoncée par le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui, si elle est adoptée par la Knesset, remaniera le système judiciaire israélien.
Nombreux sont ceux qui voient dans cette initiative une tentative du Premier ministre, poursuivi pour corruption, de contrôler le système judiciaire et d’éviter la prison.
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Certains des slogans affichés lors des manifestations annonçaient « la fin de la démocratie » sous un « gouvernement criminel ». Il est certain que la coalition de Netanyahu, composée de partis religieux d’extrême droite et ultra-conservateurs, n’est pas favorable au pluralisme, aux droits civils et aux libertés.
Parmi eux, le kahaniste Itamar Ben-Gvir, qui se promène en portant des armes, est le nouveau ministre de la sécurité intérieure, et Bezalel Smotrich, qui se décrit comme un « homophobe fier de l’être » et qui a pris le portefeuille des finances.
Netanyahu lui-même n’est pas non plus un défenseur de l’État de droit, ayant fait tout son possible pour s’accrocher au pouvoir et éviter d’avoir à répondre de ses pratiques corrompues.
Mais le désigner comme un « ministre du crime » et son gouvernement comme celui qui « détruit la démocratie israélienne » est assez exagéré. Il n’y a pas eu de premier ministre israélien qui n’ait pas été un criminel aux mains souillées du sang des Palestiniens, et il n’y a jamais eu de gouvernement israélien qui ait réellement défendu la démocratie.
L’ « État démocratique » israélien est et a toujours été un mythe, une illusion construite pour soutenir l’oppression du peuple palestinien et poursuivre sa dépossession.
Il suffit de regarder qui s’est présenté aux manifestations « pro-démocratie ».
Il y avait l’ancien Premier ministre et ministre de la Défense Benny Gantz, qui a été accusé de crimes de guerre pendant la guerre de 2014 contre Gaza. Il a déclaré à la foule qu’elle devait se battre par « tous les moyens légaux pour empêcher un coup d’État ».
Puis il y avait l’ancienne ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni, également accusée de crimes de guerre à Gaza, mais pour la guerre de 2009 sur le territoire assiégé. Elle a déclaré : « Ensemble, nous protégerons l’État car il est pour nous tous ».
Mais ce n’est pas « pour nous tous »… Cela est apparu clairement lorsque la foule s’est retournée contre le petit nombre d’antisionistes qui se sont présentés à la manifestation avec des drapeaux palestiniens. Ces drapeaux ont été rapidement arrachés par les autres manifestants « pro-démocratie ».
Il convient également de jeter un coup d’œil à l’institution que Netanyahu est accusé d’avoir attaquée : La Cour suprême d’Israël, qui supervise l’engagement du régime israélien par rapport à son cadre constitutionnel, également connu sous le nom de « Lois fondamentales ».
Les manifestants affirment qu’il s’agit d’une entité importante qui, si elle était vidée de sa substance, diminuerait les contrôles et les équilibres au sein de l’État israélien.
Mais le long historique des décisions de la Cour suprême contre les droits des Palestiniens remet en question le fait qu’elle ait jamais maintenu des contrôles et des équilibres sur le pouvoir militaire israélien absolu, car elle a plutôt fourni un vernis juridique pour les crimes du régime israélien contre le peuple palestinien.
Par exemple, dans une décision de 2018 sur les règles de « tir ouvert » utilisés par l’armée israélienne pendant la Marche du retour à Gaza, le tribunal a conclu que l’armée s’en tenait aux principes de nécessité et de proportionnalité, ce qui n’est manifestement pas le cas.
Pendant les deux années qu’a duré la marche, 214 Palestiniens non armés ont été tués et des dizaines de milliers d’autres blessés (dont beaucoup sont restés gravement handicapés) à cause des tirs aveugles de l’armée israélienne.
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En juillet, le même tribunal a jugé légale une colonie juive illégale construite sur des terres palestiniennes privées en Cisjordanie, ouvrant la voie à d’autres confiscations massives de terres palestiniennes sous occupation, ce qui équivaut à un crime de guerre.
Le même mois, elle a également approuvé la déchéance de la citoyenneté des citoyens palestiniens d’Israël s’ils sont jugés « déloyaux » envers le régime sioniste.
Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres qui montrent comment la Cour suprême israélienne n’a cessé de valider les violations des droits des Palestiniens depuis sa création. Bien sûr, ce fait est complètement ignoré par les manifestants, qui la considèrent comme une institution qui garantit leurs droits.
En effet, la législation sur la réforme judiciaire ainsi que l’agenda ultra-conservateur poursuivi par les alliés d’extrême-droite de Netanyahu ont mis les sionistes libéraux en mode panique… Leurs libertés, qui ont toujours été obtenues au détriment des droits des Palestiniens, sont sur le point d’être érodées… Ils ne pourront plus proclamer avec joie que leur État est un phare dans une région restée sauvage.
La façade est en train de s’effriter, et le régime israélien révèle au monde la dure vérité : son fondement même est intrinsèquement contraire à la démocratie.
Comment peut-on décrire autrement une entité qui s’est construite sur le nettoyage ethnique d’un autre peuple et qui met en œuvre un régime d’apartheid ? Comment peut-on décrire autrement un régime qui maintient un groupe entier de personnes sous clé ? Comment décrire autrement un régime dont les lois fondatrices consacrent la suprématie d’un groupe de citoyens sur un autre ?
Si le gouvernement d’extrême-droite de Netanyahu devait s’écrouler demain, rien de tout cela ne changerait. En fait, les manifestants « pro-démocratie » ne veulent pas que cela change. Pour la simple raison qu’ils veulent par-dessus tout préserver la suprématie juive et l’apartheid israélien, du fleuve Jourdain à la Méditerranée.
Auteur : Yara Hawari
* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire.En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera. Son compte twitter.
16 janvier 2023 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah