Par Ghada Ageel
La souffrance des enfants orphelins de Gaza est inimaginable. En leur nom, nous devons agir maintenant pour arrêter le génocide israélien.
Dans le camp de réfugiés de Jabalia, au nord de Gaza, les cris d’un garçon de 11 ans, Ahmad, percent l’air. « Je veux mon papa, mon papa, papa », sanglote Ahmad. Son appel résonne dans le camp, révélant le vide profond laissé par l’assassinat de son père aux mains des forces d’occupation israéliennes.
« Où es-tu, papa ? Pourquoi t’ont-ils assassiné ? Quel crime a-t-il commis ? »
Les gens tentent de consoler le jeune garçon en proie au chagrin, mais il est insensible à toute consolation : « Il m’a promis de rester en vie et de ne pas partir. J’en ai assez. Laissez-moi tranquille ».
Pendant ce temps, à quelques milliers de kilomètres de là, en Belgique, un autre Palestinien, Zain, 15 ans, pleure la perte de son père, Samer Abudaqa, cameraman d’Al Jazeera.
Zain raconte la tragédie qui s’est déroulée le 15 décembre, révélant la cruauté de l’assassinat de son père par un drone israélien.
Après avoir été touché par des éclats d’obus, Samer s’est vidé de son sang pendant cinq heures dans l’enceinte de Farhanah, le lycée que j’ai fréquenté à Khan Younis. Trois membres d’une équipe d’ambulanciers, dont mon ami Rami Budeir qui a tenté de sauver Samer, ont également été pris pour cible et tués.
L’ampleur de cette atrocité est gravée dans les yeux et le visage en larmes de Zain lorsqu’il parle de son père. Il s’engage à prier pour lui tous les jours.
Sa voix se brise lorsqu’il chante une chanson qu’il a écrite pour son père : « Tu manques à mon cœur. La séparation me torture. Mon cœur, après toi, est perdu, et l’amertume est le goût dans ma bouche. »
Les paroles de Zain en Belgique, les cris d’Ahmad en Jabaliia me parviennent ici, à Edmonton, au Canada.
Je me retrouve à sangloter, incapable de me débarrasser des images de leur douleur ou de répondre aux questions qu’elles soulèvent. Mon cœur s’est brisé mille fois au cours des 80 derniers jours et il se brise une fois de plus.
Je ne peux m’empêcher de penser à ces enfants qui subissent le traumatisme infini d’avoir été intentionnellement rendus orphelins par une armée génocidaire.
Ce qui rend la douleur encore plus insupportable, c’est que Zain a le même âge que mon propre fils, Aziz, et qu’il lui ressemble étrangement à tous points de vue : traits du visage, taille, corps, voix, et même choix des vêtements et de la coiffure.
Ces similitudes troublantes intensifient le profond chagrin que je ressens à l’égard de Zain et des milliers et milliers d’enfants qui ont perdu leurs parents, leurs proches et leurs amis à Gaza.
En pensant à Zain et à son père, qui a été pris pour cible alors qu’il portait un gilet de presse, mes pensées se tournent vers une autre orpheline palestinienne, Donia Abu Muhsen, âgée de 12 ans.
Donia était en convalescence à l’hôpital Nasser de Khan Younis, lorsque le corps de Samer a été amené et préparé pour les funérailles. Les bombardements israéliens sur une maison où Donia et sa famille s’étaient réfugiés avaient tué ses parents et deux de ses frères et sœurs, et brisé sa jambe, ce qui avait nécessité une amputation.
Lorsque Donia regarde la caméra dans une vidéo tournée quelques jours avant sa mort, un léger sourire se dessine sur son visage. Sa volonté de vivre et ses rêves sont très forts. Elle dit qu’elle veut étudier et devenir médecin.
« Nous sommes seuls maintenant sans [ma famille]. J’étais très liée à [eux]. Mais je dois continuer », dit-elle.
Mais les forces d’occupation israéliennes ne l’ont pas autorisée à le faire. Deux jours après avoir assassiné Samer, elles ont tué le rêve de Donia. Elles ont bombardé l’hôpital Nasser, tuant l’orpheline sur son lit d’hôpital.
Je m’interroge sur les autres enfants qui ont survécu, mais dont le cœur et le corps sont brisés, et qui n’ont plus personne de leur famille élargie pour s’occuper d’eux.
Une autre jeune orpheline, qui a peut-être l’âge de Donia, partage son histoire poignante dans une autre vidéo. Elle raconte la perte de 70 personnes, dont ses parents, ses frères et sœurs, ses grands-parents, ses tantes et ses oncles, alors qu’elle cherchait refuge dans un petit baraquement sur la plage après avoir perdu sa maison.
Seuls elle et son frère Kanan, âgé de cinq ans, ont survécu. Incapable de marcher et devant être opérée d’urgence, elle prie pour l’ouverture du point de passage de Rafah, espérant avoir une chance de partir.
Elle fait partie des 55 000 blessés actuellement abandonnés par le monde et dispersés dans la bande de Gaza, où un effondrement médical provoqué par l’homme est en train de se produire.
Les larmes aux yeux, d’une voix et avec une expression dans le visage qui pourraient briser la roche la plus dure, la jeune fille dit : « Si la frontière n’est pas ouverte dans les 48 heures, je ne pourrai plus marcher. J’ai très mal, le pouvoir de marcher et mes parents me manquent énormément. »
Face à l’horreur et à la douleur que vivent les enfants de Gaza, l’appel à la justice n’est pas un simple plaidoyer, c’est un appel mondial à l’humanité, à sa conscience collective, si elle existe encore…
Cela se produit à un moment où les puissances en place, l’Amérique en tête, approuvent ouvertement ce génocide et s’opposent à ce qu’on y mette un terme.
Ils veillent à ce que davantage d’enfants soient orphelins, affamés, sans abri, bombardés jour et nuit et privés d’accès aux soins de santé, à l’éducation, à l’amour et à l’attention de leurs parents.
Pourtant, les voix de la paix et de l’espoir se font de plus en plus nombreuses.
La militante russo-américaine Masha Gessen, en recevant le prix Hannah Arendt, a souligné l’opportunité cruciale que le monde a encore d’intervenir à Gaza. Elle a souligné que « la plus grande différence entre Gaza et les ghettos juifs de l’Europe occupée par les nazis est que de nombreux habitants de Gaza, la plupart d’entre eux, sont encore en vie et que le monde a encore la possibilité de faire quelque chose pour eux ».
Même si nous n’avons pas pu sauver Donia et les parents de Zain, Ahmad et la petite orpheline, il reste une chance de sauver ceux qui sont encore en vie à Gaza.
Nous avons besoin d’un cessez-le-feu maintenant !
Auteur : Ghada Ageel
* Dr. Ghada Ageel est professeure invitée au département de sciences politiques de l’université de l’Alberta (Edmonton, Canada). Chercheuse indépendante, elle participe activement à l'initiative Faculty4Palestine – Alberta.Son nouveau livre, Apartheid in Palestine: Hard Laws and Harder Experiences, est à paraître aux éditions University of Alberta Press (Canada).
26 décembre 2023 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine