Par Lubna Abuhashem
Mohammed Mousa, âgé de 24 ans, jouait aux cartes avec ses amis lorsqu’il a entendu le bruit des bombes à 9 heures précises, le samedi 15 avril.
Mousa étudie la médecine dans l’État soudanais de Gezira. Mais ce jour-là, il se trouvait dans la capitale, Khartoum, pour célébrer le mois sacré du Ramadan avec ses amis.
Ce jour-là, des combats entre l’armée soudanaise et les forces paramilitaires de soutien rapide (RSF) ont éclaté dans les rues de la capitale soudanaise. Depuis, des centaines de personnes ont été tuées et des milliers d’autres blessées.
Le Soudan : ma seconde patrie
Comme beaucoup d’autres Palestiniens et internationaux, Mousa a été pris entre deux feux. « Je ne m’attendais pas à ce que le conflit politique se transforme en guerre civile, car le peuple soudanais est pacifique et tolérant », a déclaré Mousa à The Palestine Chronicle.
« Je vis au Soudan depuis cinq ans et je n’ai jamais vu de gens se battre ou devenir violents. »
Pendant neuf jours, après l’éclatement des combats, Mousa est restée à l’ « espace palestinien », un logement spécial pour les Palestiniens vivant à Khartoum, qui accueillait environ 40 étudiants palestiniens.
Le deuxième jour des combats, le transformateur électrique du quartier a été bombardé et l’électricité a été coupée. Le troisième jour, l’eau a été coupée et la connexion internet est devenue instable.
Après trois jours de combats, les épiceries ont fermé leurs portes, simplement parce qu’elles n’avaient plus rien à vendre. La seule nourriture qui restait aux étudiants était une quantité limitée de conserves. « Nous étions six et nous avons mangé deux boîtes de haricots en une journée », raconte Mousa.
Pour ce qui est de l’eau potable, les étudiants remplissaient un ou deux seaux à partir d’un robinet situé près de l’espace palestinien. Et encore, cet approvisionnement en eau n’était pas toujours disponible.
L’ambassade palestinienne à Khartoum a informé les Palestiniens du Soudan que leur évacuation ne serait pas facile en raison de l’intensité de la guerre. Lorsque le premier cessez-le-feu est entré en vigueur, l’ambassade a organisé leur évacuation, à l’aube, le 25 avril.
Deux jours plus tôt, les étudiants avaient déjà quitté Khartoum, mais ils sont revenus dans la ville. Le jour de l’évacuation, ils ont dormi dans l’ambassade.
« Nous avons vu de nombreux cadavres dans les rues. Ils étaient recouverts de carton car personne ne pouvait les enterrer », raconte Mohammed.
Le voyage depuis Khartoum jusqu’au point de passage d’Arqeen, à la frontière égyptienne, a duré 22 heures.
Les étudiants ont ensuite attendu au point de passage de 2 heures du matin à 5 heures de l’après-midi. Il y avait des centaines de voyageurs de différentes nationalités. Certains d’entre eux avaient déjà passé trois jours sur place.
Après un long et pénible voyage, Mohammed est arrivé à Gaza le 28 avril.
« Mon cœur est brisé pour le Soudan. J’y ai vécu pendant cinq ans. C’est ma deuxième maison », nous a-t-il confié.
Mohammed est étudiant en quatrième année de médecine. Il ne lui restait plus que trois semestres avant d’obtenir son diplôme.
« Mon avenir universitaire est semé d’embûches. J’ai déjà terminé sept semestres, mais si je décide de terminer mes études à Gaza, seuls quatre ou six semestres seront reconnus par l’université, car le système académique est différent ici », explique Mohammed.
« Et si je termine mes études en Égypte, je devrai couvrir toutes les dépenses et je perdrai définitivement la bourse que j’avais au Soudan. »
Mohammed suit à présent de près l’actualité du Soudan, et il prend régulièrement des nouvelles de ses amis.
Lorsque Mohammed était encore au Soudan, son père, Ghassan, est intervenu auprès du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, pour que soit accélérée l’évacuation des étudiants de Gaza.
« Lorsqu’il a quitté l’État de Gezira à l’aube, ce fut le moment le plus difficile de ma vie », a avoué Ghassan à The Palestine Chronicle. « L’Internet fonctionnait mal et il n’était pas facile de communiquer. J’ai pensé que quelque chose de terrible était arrivé à mon fils », a-t-il poursuivi.
« Dieu merci, mon fils est aujourd’hui parmi nous. J’espère que les autorités palestiniennes trouveront une solution pour l’avenir universitaire de ces étudiants. J’espère qu’il deviendra un grand médecin et qu’il servira son peuple. »
Un avenir incertain
Alaa Al-Ghalban, âgée de 23 ans, est également étudiante en médecine et termine ses études au Soudan. Hélas, elle aussi est retournée à Gaza avec Mohammed et d’autres étudiants.
Alaa a passé les cinq premiers jours de la guerre civile à Khartoum avant l’évacuation.
« Notre voyage jusqu’au point de passage d’Arqeen, en Égypte, a été extrêmement difficile. Nous avions très peu à manger », a déclaré Alaa à The Palestine Chronicle.
Alaa étudie la médecine à ses frais à l’université de Garden City à Khartoum.
Elle devait obtenir son diplôme en novembre prochain, mais aujourd’hui, comme de nombreux étudiants palestiniens au Soudan, son avenir universitaire est incertain.
Après la révolte de 2019 au Soudan, les étudiants palestiniens ont déjà subi les conséquences de la hausse du coût de la vie.
« Avant la révolte, 200 dollars par mois suffisaient à une personne pour vivre confortablement au Soudan, mais maintenant nous pouvons à peine vivre avec 400 dollars », déplore-t-elle.
Sans eau
Heba et Yaser n’ont eu guère plus de chance.
Il y a trois mois, ils se sont mariés. Le 8 mars, Heba s’est rendue au Soudan pour rejoindre son mari, Yaser, qui travaille depuis cinq ans comme directeur d’un hôpital local.
Lorsque la guerre civile a commencé, Heba et Yaser ont réussi à évacuer Khartoum avec d’autres ressortissants jordaniens le 23 avril, à leurs frais, car ils ne pouvaient pas compter sur l’ambassade palestinienne.
Chaque voyageur a payé 250 dollars pour le voyage ; ils ont atteint l’Égypte le 26 avril à 22 heures et y sont restés.
« Nous n’avions plus d’eau en route vers le point de passage d’Arqeen, nous avons donc dû en emprunter à d’autres », raconte Heba.
Lorsqu’ils ont fui le pays, ils ont tout laissé derrière eux, leur maison, leur argent et leur voiture. Tout ce qu’ils ont réussi à sauver, ce sont leurs sacs à dos contenant quelques vêtements et un peu d’argent.
« Nous vivons maintenant au Caire avec l’espoir que les choses changeront bientôt », dit-elle.
« Si la situation au Soudan empire, je crains que nous ne soyons obligés de nous séparer. Nous pourrions retourner ensemble à Gaza, mais le taux de chômage y est trop élevé », explique-t-elle avec une tristesse bien visible.
« Il se peut donc que je doive retourner à Gaza et que mon mari s’expatrie, à la recherche d’un emploi. »
Auteur : Lubna Abuhashem
* Lubna Abuhashem est journaliste freelance et traductrice. Elle vit à Gaza.
17 mai 2023 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine