Comme des millions et millions d’autres, Abdelrahman Nofal, âgé de 13 ans, est aujourd’hui collé à l’écran de télévision, regardant la Coupe du Monde en Russie.
Contrairement à la plupart d’entre eux, Nofal est lui-même un joueur de football ambitieux, bien que son rêve ait été étouffé dans la dangereuse réalité de Gaza.
“Je n’ai jamais entendu parler d’un footballeur palestinien qui fasse partie d’une grande équipe internationale”, a déclaré Nofal, du camp de réfugiés de Bureij dans le centre de la bande de Gaza, à The Electronic Intifada. Il veut être le premier.
Le garçon a quelque chose d’un héros local.
Le 17 avril, lors des récentes manifestations de la Grande Marche du Retour, il a été abattu par un tireur d’élite israélien.
Dans une opération chirurgicale d’urgence à Ramallah deux jours plus tard, sa jambe gauche a été amputée sous le genou. C’est ainsi qu’il a été applaudi chaleureusement non seulement pour être entré la première fois sur le terrain le 2 juin avec le nouveau Champions Team, mais également pour avoir marqué un but qui montre toute ses capacités, contrôlant le ballon avec sa poitrine avant de tirer avec son pied droit.
Nofal est le plus jeune joueur d’une équipe dont le membre le plus âgé a 42 ans. Cette équipe est la première du genre à Gaza et est déjà populaire à Deir al-Balah, dans le centre du territoire sous blocus où se trouve le camp de Bureij. Au total, l’équipe a 16 joueurs.
Tous ont perdu une jambe au cours des 11 dernières années de bombardements et de siège, et tous sauf deux d’entre eux ont perdu leur jambes en raison de la violence israélienne.
L’équipe a tenu sa toute première session de formation le 30 mars, le même jour que les manifestations de la Grande Marche du Retour. Nofal a rejoint les séances d’entraînement le 2 juin et sa formation a été interrompue par la nécessité de continuer la rééducation.
“Un moral élevé”
A présent, les rêves d’une carrière dans le football sont une source de réconfort pour le garçon.
“Penser au football fait que je me sens bien et cela m’empêche de penser à ma blessure”, dit-il. “Cela aide à garder un moral élevé.”
Nofal est l’une des près de 50 personnes qui ont été amputées lors des manifestations à Gaza qui ont marqué les 70 ans depuis l’expulsion des Palestiniens en 1948 et qui a fait de la grande majorité d’entre eux, dont la famille de Nofal, des réfugiés.
Quarante-huit des blessés ont perdu leurs membres inférieurs, selon Ashraf al-Qedra, un porte-parole du ministère de la santé de Gaza.
Ils ne sont qu’une petite partie des plus de 4000 personnes blessées par des tirs israéliens depuis le 30 mars. Plus de 140 Palestiniens à Gaza ont été abattus au cours de cette période, la grande majorité lors des manifestations de la Grande Marche.
Fouad Abu Ghalioun, âgé de 53 ans, membre du comité paralympique palestinien, a été inspiré par sa défunte mère, Amneh, pour lancer l’équipe de Deir al-Balah. Amneh avait perdu sa jambe droite en 1949 lors d’un bombardement israélien de la région de Deir al-Balah, et elle a quand même réussi à élever sept fils.
“J’étais la plus jeune de mes frères, et je restais avec ma mère pour l’aider dans les tâches ménagères”, a déclaré Abu Ghalioun.
Séance d’entraînement du Champions Team – Photo: Ashraf Umrah
“Le regarder faire face était parfois douloureux pour moi et mes frères, surtout en hiver où elle souffrait beaucoup de la jambe à cause du froid. Elle a toujours dit que la douleur était ressentie comme si elle était frappée avec des couteaux. ”
L’expérience d’Abu Ghalioun avec sa mère l’a amené à travailler avec des personnes handicapées. Il n’a jamais perdu son amour du sport.
Et c’est en regardant, à la fin de l’année dernière, un match international de football pour amputés entre l’Angleterre et la Turquie avec son ami Mahmoud al-Nawook – qui a perdu ses deux jambes en juillet 2014 lors de l’offensive israélienne sur Gaza – qu’il a voulu honorer la mémoire de sa mère Amneh en mettant en place une équipe de football pour les amputés à Gaza.
“J’ai commencé par appeler les gens directement pour rassembler une équipe”, raconte Abu Ghalioun. “J’ai recherché des équipes internationales d’amputés pour en savoir plus sur les besoins et la logistique. J’ai finalement trouvé une association à Deir al-Balah pour accueillir l’équipe.”
Al-Nawook, âgé de 37 ans, est maintenant le manager de l’équipe, tandis qu’Abu Ghalioun multiplie les initiatives pour aider à établir des équipes similaires dans toute la bande de Gaza.
“Le sport peut guérir”
Les règles du football pour amputés sont un peu différentes des règles habituelles du football. Une équipe se compose de sept joueurs au lieu de 11, permet un nombre illimité de remplacements, tandis qu’une partie dure 50 minutes au lieu de 90.
Il y a aussi des règles pour savoir qui peut ou ne peut pas participer. Les joueurs peuvent avoir leurs deux mains, mais ne doivent avoir qu’une jambe.
Ils ne sont pas autorisés à manipuler la balle avec leurs béquilles, ce qui serait considéré comme une faute. Et les gardiens de but peuvent avoir les deux jambes, mais seulement une main.
Il y a quatre ans, Islam Amoum, âgé de 27 ans, était considéré comme le meilleur gardien de Bureij. Mais en 2014, alors que l’armée israélienne pilonnait la bande de Gaza lors de l’offensive de juillet-août, Amoum a perdu son bras gauche dans les bombardements près de sa maison.
Amoum a par la suite renoncé à jouer et a obtenu un diplôme en littérature anglaise à l’Université islamique de Gaza en 2016. Quand il a été sollicité une première fois, il a refusé l’idée de jouer pour une équipe d’amputés.
“Après ma blessure, j’avais peur avec un seul bras. Je sentais le regard des gens”, raconte Amoum à The Electronic Intifada. “Je ne sortais que la nuit. Il m’a fallu près de sept mois pour apprendre à faire face à ma nouvelle situation.”
Mais finalement il s’est laissé persuader et après s’être familiarisé avec les nouvelles règles, ce père de trois enfants est heureux d’avoir recommencé à jouer.
“Le sport peut guérir le corps et l’âme”, nous assure-t-il.
Maintenant, il espère pouvoir aider d’autres personnes handicapées à recommencer à pratiquer un sport.
“Nous ne sommes pas faibles”
Il est encore très pour la nouvelle équipe, mais les joueurs essaient d’être aussi préparés que possible. L’entraîneur Khaled al-Mabhouh, âgé de 32 ans, et son assistant Muhammad Abu Sharif, âgé de 42 ans, ont conçu un programme de formation destiné spécialement aux personnes handicapées.
“Former ces jeunes hommes peut être une question très sensible”, explique al-Mabhouh à The Electronic Intifada. “Le mauvais usage des mots peut être blessant et je me concentre beaucoup sur le côté psychologique de l’entraînement.”
Le programme de formation a été préparé en collaboration avec les cinq membres du conseil d’administration de l’équipe. Tous ont de l’expérience avec des personnes handicapées, et l’un d’entre eux, al-Nawook, est lui-même handicapé.
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Sur le plan physique, Abu Sharif hésite à pousser les joueurs trop fort. “Nous devons toujours garder à l’esprit que la formation doit être légèrement différente. Il y a plus de pression sur moins de muscles et nous devons faire attention à ne pas trop solliciter le corps des joueurs.”
Les séances de formation sont suivies par des séances d’entretien individuel avec le psychologue Eyad al-Ghafary, âgé de 42 ans. Certains joueurs hésitent encore à jouer en public en raison de leurs sentiments d’infériorité, révèle al-Ghafary à The Electronic Intifada.
L’équipe est également confrontée à des problèmes matériels. La plupart des joueurs sont issus de milieux pauvres et ne peuvent pas se permettre l’achat de béquilles spécialisées, a déclaré al-Mabhouh.
Les béquilles sportives coûtent autour de 100 dollars chacune. Actuellement, les joueurs utilisent des versions moins chères, mais celles-ci s’abîment facilement.
Néanmoins, les joueurs commencent déjà à ressentir les avantages de retrouver leur passion, et ils sont déterminés à ne pas laisser les défis auxquels ils sont confrontés se mettre en travers de leur chemin.
“Nous ne sommes pas faibles”, dit Wahid Rabah, âgé 42 ans, le joueur le plus âgé de l’équipe et un ancien employé de l’Autorité palestinienne. “Nous sommes capables de pratiquer les sports que nous aimons.”
Cependant, ce père de cinq enfants estime que quelques améliorations simples seraient les bienvenues. “Nous avons besoin de vestiaires. Les gens arrêtent toujours de nous regarder quand nous nous sommes changés après l’entraînement.”
Auteur : Hamza Abu Eltarabesh
5 juillet 2018 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine