Monsieur le Ministre,
Vous êtes en train de faire expulser Brahim TOUNKARA vers le Mali. Au-delà du fonctionnement « normal » de vos services, votre responsabilité personnelle est engagée : j’ai appelé votre cabinet, le secrétariat de votre conseiller immigration Emmanuel CAYRON puis votre directeur de Cabinet Jean-Luc NEVACHE. J’ai fini par pouvoir m’entretenir avec un chargé de mission, M. ROUGIER. Je vous ai également envoyé un sms, au numéro de portable auquel il m’est arrivé plusieurs fois de vous alerter sur des expulsions particulièrement honteuses… mais vous n’étiez pas encore ministre.
Brahim TOUNKARA vit en France depuis 15 ans (2001), sa femme Coumba KONTE l’a rejoint en 2010. Ils ont deux enfants, Noukhoussa, trois ans et demi, scolarisé en maternelle aux Ulys (91) et Boubou deux ans. Ils attendent un troisième enfant. Je veux croire que vous mesurez la dévastation de la situation de cette jeune femme et de ses enfants, conséquence de votre décision. Pour parler clair, les enfants n’ont pas eu assez à manger depuis l’arrestation de leur père et des habitants des Ulis ont collecté nourriture et argent sur le marché pour subvenir à leurs besoins. Il est évident que Brahim Tounkara va tenter de revenir retrouver les siens. Que feriez-vous, à sa place ? Et que direz-vous à ses enfants s’il se noie en tentant de franchir la Méditerranées que vos collègues et vous-même transformez en tombeau pour des milliers de migrants chaque année ?
Brahima Tounkara a été arrêté parce qu’il n’avait pas de titre de transport dans l’autobus qu’il empruntait. On peut, en 2017, en France, être soupçonné du détournement d’un million d’€ grâce à des emplois fictifs, être soupçonnée de rétribuer son garde-du corps 7000 € pour un emploi à mi-temps et de faire rémunérer illégalement plusieurs de ses proches ou encore organiser une soirée à près de 400 000 € à Los Angeles aux frais de son ministère et être candidat aux élections présidentielles. Mais resquiller dans l’autobus est sanctionné de 15 jours d’emprisonnement, d’une expulsion ligoté et bâillonné et d’une interdiction du territoire de trois ans. Sans parler de la situation de ses enfants, rendus quasi orphelins.
Je suis d’autant plus amer, Monsieur le Ministre, que j’ai fait votre connaissance le 18 septembre 2005, dans des circonstances beaucoup plus honorables pour vous. Ce soir-là, un garçon de 19 ans, lycéen à Epinay-sur-Seine Guy E. devait être expulsé vers le Cameroun. Plusieurs dizaines de ses camarades, des enseignants, des militants de la LDH, de SOS-Racisme et du Réseau Education sans frontières, dont moi, étions dans le hall du Terminal 2 de l’aéroport Charles De Gaulle pour empêcher l’expulsion. Vous étiez député d’Epinay, vous nous avez rejoints. Un rang de policiers barrait l’accès à la douane. Vous avez demandé à rendre visite à Guy, en application du droit à l’accès des députés aux lieux de privation de liberté. Cela vous a été refusé. Vous nous avez alors fait reculer de plusieurs mètres, puis, votre carte de parlementaire à la main, vous avez chargé les policiers à plusieurs reprises, tentant de franchir leur barrage en force. J’avais été bluffé par votre détermination et votre courage. « Vous me réconciliez avec la fonction parlementaire » vous avais-je alors dit.
Vous n’avez pas réussi mais votre action et celle des manifestants ont dissuadé le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, de procéder à l’expulsion. Le lendemain, Guy devait comparaitre devant le TGI de Bobigny pour refus d’embarquement… mais son lycée –élèves et professeurs— était en grève et 400 personnes manifestaient devant le tribunal. L’audience était reportée, Guy était libéré et recevait un titre de séjour.
Ces événements ont plus de dix ans. Je devine –et je regrette profondément—qu’ils n’ont été pour vous que des étapes dans votre carrière. Hier, vous protégiez l’opprimé. Vous le maltraitez aujourd’hui.
Je tiens, Monsieur le Ministre, à vous faire part de ma consternation, aussi profonde que l’estime que je vous portais hier. Être à l’image de la présidence de François Hollande n’est pas une circonstance atténuante.
Insistant pour que vous suspendiez immédiatement l’expulsion de Brahima TOUNKARA, je vous prie, Monsieur le Ministre, d’agréer l’expression de mes salutations consternées.
Richard Moyon,
Membre du Réseau Éducation sans frontières
9 mars 2017 – Réseau Éducation Sans Frontières