Lettres de Gaza : « Al hamdoulilah… Nous n’allons pas bien ! »

11 décembre 2024 - Des enfants palestiniens se font soigner après avoir été blessés lors d'une attaque aérienne des forces coloniales israéliennes sur le camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. Au moins sept personnes ont été tuées et plusieurs autres ont été blessées dans cette attaque. Les attaques génocidaires d'Israël sur Gaza ont tué plus 50 000 Palestiniens, dont près de 20 000 enfants, et des milliers d'autres sont toujours portés disparus - Photo : Yousef Al-Zanoun /Activestills

Par Ramzy Baroud

Au cours des 14 derniers mois, j’ai reçu des centaines de messages de membres de ma famille de toute la bande de Gaza. La nature de ces messages exprimait souvent un sentiment d’urgence et de panique, mais parfois aussi un sentiment de satisfaction dans la volonté de Dieu.

Certains de ceux et celles qui ont écrit ces messages ont été tués par des frappes israéliennes, comme ma sœur, le Dr Soma Baroud ; d’autres ont perdu des enfants, des frères et sœurs, des cousins, des voisins et des amis. Il peut sembler étrange qu’aucun de ceux qui ont communiqué avec moi tout au long de la guerre n’ait jamais remis en question leur foi et qu’ils aient souvent, voire toujours, commencé leurs messages en prenant de mes nouvelles et de celles de mes enfants.

Certains des exemples de messages ci-dessous ont pu être reformulés pour des raisons de longueur et de clarté.

Ibrahim :

« Comment allez-vous ? Nous allons tous bien. Nous avons dû quitter Shati (le camp de réfugiés). Les Israéliens sont arrivés au camp hier. Tout notre quartier a été détruit. Notre maison aussi a été détruite. Alhamdulillah – Dieu soit loué. »

Soma :

« Comment allez-vous ? Et comment vont les enfants ? Des moments comme ceux-ci me font comprendre qu’aucune richesse matérielle n’a d’importance. Seul l’amour de sa famille et de sa communauté compte. Nous avons dû fuir Qarara (à l’est de Khan Yunis, dans le sud de Gaza) ; les garçons ont fui plus au sud, et je suis à Deir Al-Balah avec ma fille et mon petit-fils. Je ne sais pas ce qui est arrivé à H (son mari). Les bulldozers de l’armée ont commencé à détruire le quartier alors que nous étions encore à l’intérieur. Nous nous sommes enfuis au milieu de la nuit. »

A’esha :

« E (son mari) a été tué le premier jour de l’invasion. A (son fils) a disparu après avoir appris que son père avait été tué. Il a dit qu’il voulait venger son père. Je suis inquiète. Je ne sais pas quoi faire ».

Salwa :

« Le fils de mon cousin, A, a été tué (il avait 19 ans). Il combattait à Jabaliya. Elle est quelque part à Rafah avec ses enfants survivants. Son nouveau-né a une malformation cardiaque congénitale. Connaissez-vous une organisation caritative qui pourrait l’aider ? Elle vit dans une tente sans nourriture ni eau. »

Ibrahim :

« Nous nous sommes enfuis à Al-Shifa (hôpital de la ville de Gaza). Ensuite, les Israéliens ont envahi la ville. Ils ont fait sortir tous les hommes et nous ont fait faire la queue. Ils m’ont épargnée. Je ne sais pas pourquoi. Tous les hommes ont été exécutés. Le fils de Nasser (son neveu) a été tué sous mes yeux. Nous sommes toujours coincés à Al-Shifa. »

Soma :

« Mon mari a été tué, mon frère. Ce pauvre homme n’avait aucune chance. Sa maladie l’avait empêché de s’enfuir à temps. Quelqu’un dit qu’il a vu son corps après qu’il a été abattu par un drone. Il a été touché à la tête. Mais quand nous sommes retournés sur place, nous ne l’avons pas trouvé. Il y avait un énorme tas de gravats et d’ordures. Nous avons creusé jour et nuit, en vain. Je veux juste lui donner une sépulture décente. »

A’esha :

« Salwa t’a-t-elle envoyé un message à propos de l’association caritative ? Mon bébé est en train de mourir. Je l’ai appelée Wafa’, du nom de sa tante (26 ans, qui a été tuée dans les premières semaines de la guerre avec son fils Zaid, cinq ans, et son mari, Mohammed, dans la ville de Gaza). Elle peut à peine respirer. Certaines personnes sont autorisées à quitter Gaza par Rafah. Ils disent que les Émirats arabes unis acceptent certains blessés et malades. S’il vous plaît, aidez-moi. »

Walid :

« Avez-vous entendu parler du cessez-le-feu ? Nous nous sommes enfuis vers le centre de Gaza après avoir été contraints de fuir vers le sud. Ils (l’armée israélienne) nous ont dit : ‘Allez dans les zones sûres.’ Puis ils ont tué les déplacés dans leurs tentes. J’ai vu mes voisins brûler vifs. Je suis trop vieux (il a 75 ans). S’il vous plaît, dites-moi que la guerre est sur le point de se terminer. »

Ibrahim :

« Comment vas-tu, cousin ? Je voulais juste te dire que Nasser (son frère) a été tué. Il faisait la queue pour avoir du pain à Zeitoun. Après le martyre de ses fils, il est devenu responsable de ses petits-enfants également. Ils (les Israéliens) ont bombardé la foule qui attendait les camions d’aide. L’explosion lui a sectionné le bras. Il s’est vidé de son sang. »

Soma :

« J’étais à Nuseirat lorsque le massacre a eu lieu (278 personnes ont été tuées et plus de 800 blessées le 8 juin). J’ai parcouru la zone, sans connaître l’ampleur du bain de sang. Je retournais à Qarara pour voir comment allaient les enfants. Des corps jonchaient le sol. La plupart étaient mutilés, mais certains gémissaient encore, s’accrochant désespérément à la vie. Je voulais aider, mais je ne pouvais rien faire. Je marchais d’un corps à l’autre, tenant les mains et regardant les yeux mourants. J’ai travaillé aux urgences pendant de nombreuses années. Mais à ce moment-là, je me suis sentie impuissante. J’ai eu l’impression que j’étais morte moi aussi ce jour-là. »

(Le Dr Soma a été tuée dans une frappe israélienne visant sa voiture le 9 octobre. Elle venait de quitter l’hôpital où elle travaillait pour aller voir ses fils.)

Ibrahim :

« Mes condoléances, cousin, pour le martyre de ta sœur. Elle restera toujours la fierté de notre famille. »

A’esha :

« Wafa’ est morte ce matin dans notre tente à Al-Musawi. Il n’y avait pas de médicaments. Pas de nourriture. Pas de lait. Ma seule consolation est qu’elle est maintenant un ange au paradis. »

Walid :

« Comment vas-tu, cousin ? Nous allons bien. Nous avons tout perdu, mais nous sommes toujours debout. Alhamdulillah. Sais-tu quand la guerre prendra fin ? Peut-être dans une semaine ou deux ? Je suis trop vieux et tellement fatigué. »

28 décembre 2024 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau

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