Par Ismaïl Haniyeh
Gaza : un statut spécial
En 1948, environ 700 000 Palestiniens ont été contraints de quitter leurs domiciles et leurs terres. Des centaines de villes et de villages arabes ont été détruits. Malheureusement, tout cela s’est passé au vu et au su de la communauté internationale, qui était même souvent de connivence. Plusieurs résolutions de l’ONU ont été adoptées après la Nabka palestinienne en 1948 et la création de l’État d’Israël.
Leur objectif était de rendre justice au peuple palestinien. Surtout, parmi elles figurait la résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU, votée en décembre de la même année, qui a accordé aux Palestiniens le droit au retour dans les foyers dont ils avaient été chassés.
Les Palestiniens ont attendu pendant sept décennies, durant lesquelles ils ont enduré injustices, privations et errance tout en espérant qu’un jour, ils pourraient gagner leurs droits fondamentaux à la liberté, à l’indépendance et au retour. Pendant cette période, les Palestiniens ont beaucoup sacrifié et ont tout tenté pour recouvrer leurs droits fondamentaux, mais en vain.
En fait, leur situation n’a cessé de se détériorer, jour après jour, et la communauté internationale n’a rien fait pour leur rendre justice ou pour adopter les mesures nécessaires pour empêcher l’occupation israélienne de perpétrer davantage de crimes à leur encontre. Les Nations unies n’ont pas réussi à mettre en œuvre la moindre de leurs résolutions concernant la Palestine, lesquelles ont pourtant été adoptées par une écrasante majorité.
Au cours des soixante-dix dernières années, Gaza a bénéficié d’un statut spécial par rapport à d’autres régions palestiniennes, et ce pour plusieurs raisons.
L’image de la souffrance palestinienne
La bande de Gaza est une étroite enclave côtière d’une superficie n’excédant pas 360 kilomètres carrés, avec une population d’environ deux millions de personnes, dont 70 % de réfugiés. En ce sens, la bande de Gaza est la zone la plus densément peuplée au monde. Pour des raisons politiques, géographiques et sociétales, la bande de Gaza a toujours été l’image la plus reconnaissable de la souffrance palestinienne.
Outre l’occupation continue depuis 1967, la bande de Gaza est soumise à un siège oppressif et illégal depuis plus de douze ans, ce qui en fait la plus grande prison à ciel ouvert du monde, comme l’a décrite l’ancien Premier ministre britannique Gordon Brown.
Une telle sanction collective des Palestiniens de la bande de Gaza, telle que décrite par Amnesty International dans ses rapports, a mené à l’apparition d’une crise humanitaire profonde et chronique au point que les Nations unies ont prédit que Gaza deviendrait inhabitable d’ici 2020, selon ses propres études détaillées.
La crise humanitaire a pénétré l’ensemble des aspects de la vie. Nous parlons ici d’un taux de pauvreté de 80 %, d’un taux de chômage de 50 %, de 95 % d’eau non-potable, d’une alimentation en électricité n’excédant pas 3-4 heures par jour, de passages frontaliers refusés à une écrasante majorité de la population et de profonds problèmes psychologiques qui affectent la majorité de la population et en particulier les enfants.
La crise humanitaire dans la bande de Gaza a été aggravée par trois guerres majeures ces dernières années, provoquant la mort et la mutilation de milliers de Palestiniens ainsi que la destruction de milliers de maisons et d’infrastructures déjà fragiles.
Malheureusement, pour tout cela, Israël et ses dirigeants ont réussi à s’en sortir en toute impunité. En dépit de toutes les résolutions de l’ONU, ils ont été encouragés à poursuivre leur agression à l’encontre de notre peuple.
Tout ceci rend la vie dans la bande de Gaza insupportable. C’est comme si les Palestiniens étaient punis d’avoir fait un choix démocratique libre lors des élections libres et équitables qui ont été organisées en 2006, comme en ont témoigné de nombreuses institutions européennes et de nombreux partis politiques.
La Marche du Droit au Retour
Dans ces circonstances si complexes, les Palestiniens, avec toutes leurs composantes politiques et sociales, dont le Mouvement de résistance islamique Hamas, ont décidé cette année, à l’occasion de la Journée de la Terre le 30 mars, d’organiser des marches pacifiques vers la barrière frontalière à l’est de la bande de Gaza.
Ils l’ont fait avec trois objectifs en tête. Le premier objectif est de déclarer leur adhésion au droit au retour, lequel est déjà confirmé par les résolutions de l’ONU. Le deuxième objectif est d’exprimer leur rejet de la décision de l’administration Trump de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem et sa décision de reconnaître la ville comme la capitale d’Israël.
Par là même, l’administration américaine a défié la communauté musulmane mondiale en transgressant l’un des lieux les plus importants et les plus sacrés de l’islam. Cette récente initiative fait des États-Unis un complice de l’agression perpétrée contre les Palestiniens.
Le troisième objectif est d’envoyer un message fort au monde affirmant que Gaza ne succombera pas à une mort lente et d’exiger la fin immédiate et sans conditions du siège. Depuis des semaines, des dizaines de milliers de Palestiniens – hommes et femmes, jeunes et vieux, et de tous bords politiques – ont répondu à l’appel.
Selon le droit international, la bande de Gaza est toujours un territoire occupé. Israël a le contrôle total de la terre, de la mer et de l’air, dans toutes les directions. En tant que puissance occupante, Israël est entièrement responsable de la vie des civils à Gaza et il lui incombe de satisfaire leurs besoins.
La communauté internationale est invitée à exercer des pressions et à prendre les mesures nécessaires pour forcer Israël à lever le siège immédiatement et sans conditions avant que la crise humanitaire ne provoque une explosion dont les répercussions sont susceptibles d’être risquées pour toutes les parties concernées.
Un État palestinien
Les Palestiniens en général ont donné tout ce qu’ils ont été invités à donner au cours des dernières décennies pour préserver la stabilité dans la région. Pourtant, le résultat a été plus d’obstination israélienne, l’anéantissement de toutes les occasions de résoudre le conflit, plus de vols de terres afin de construire des colonies et de transformer Jérusalem en une ville exclusivement juive, la détention de milliers de personnes et un siège oppressif imposé sur Gaza.
Quant au Hamas, en sa qualité de mouvement national de libération palestinien, il a fait preuve à plusieurs reprises d’un haut niveau de flexibilité et a fait des propositions et adopté des politiques qui auraient pu contribuer au calme et à la stabilité et éviter une nouvelle escalade.
Dans son dernier document politique, publié en mai 2017, le Hamas a affirmé son respect pour un accord national palestinien et a déclaré accepter un État palestinien au sein des frontières de 1967 avec Jérusalem comme capitale, avec le retour de notre peuple dans les foyers dont il a été chassé.
Voilà pour ce qui est du conflit avec l’occupation israélienne. Au niveau national, et pour dépasser l’état de division nuisible, le Hamas a demandé à plusieurs reprises que des élections libres et équitables soient organisées à tous les niveaux et partout où il y a des Palestiniens, pour mettre fin à l’autocratie avec laquelle les affaires palestiniennes sont menées et pour donner au peuple palestinien la possibilité de choisir ses propres dirigeants et le programme politique qu’il juge approprié pour la réalisation de ses objectifs.
Propagande israélienne
Bien que, en tant que peuple palestinien, nous ayons pris une décision nationale unie pour manifester pacifiquement contre l’occupation et contre le siège, la propagande israélienne, avec le soutien de certains grands médias internationaux, parle de la « violence palestinienne ».
Comment une personne sensée pourrait-elle croire à une propagande aussi absurde au moment où les statistiques officielles indiquent qu’environ 15 000 Palestiniens ont été blessés, certains gravement, dont 20 % d’enfants, et plus de 120 Palestiniens ont été tués, dont de nombreux enfants, alors que pas une seule blessure n’a été enregistrée de l’autre côté de la clôture.
Même les journalistes et les secouristes n’ont pas été épargnés, notamment Razan al-Najjar, âgée de 21 ans, qui se précipitait pour sauver des Palestiniens blessés. Il est très regrettable que certaines puissances internationales, au premier rang desquelles les États-Unis, insistent pour soutenir l’oppresseur contre les victimes et soutenir l’injustice au détriment de la justice.
Certaines personnes parlent du risque d’infiltration des frontières et du droit d’autodéfense de l’occupant. Il faut savoir qu’il ne s’agit pas de frontières internationalement reconnues. Même les autorités d’occupation décrivent cela comme une barrière de sécurité et de séparation et non comme une frontière, reflétant ainsi leur désir d’expansion et d’agression.
Même la ligne d’armistice convenue en 1949 autorise la bande de Gaza à s’étendre sur plus de 200 kilomètres carrés à l’est et au nord. L’occupant s’est emparé de tout cela par la brutalité et l’agression, tout comme il le fait aujourd’hui sur nos terres, en les volant de manière à étendre ses colonies illégitimes.
À cette occasion, nous voudrions saluer toutes les voix libres, en particulier en Occident, qui ont soutenu nos peuples dans leurs tribulations, et les efforts sincères, que ce soit en manifestant dans la rue ou en publiant des protestations ou en publiant d’autres matériaux dans les médias pour confirmer la nature pacifique de nos marches et réfuter les allégations de la propagande israélienne.
Nous voudrions également saluer la récente résolution du Conseil des droits de l’homme adoptée le 18 mai 2018 lors de la session extraordinaire consacrée à la détérioration de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés et son appel à la création d’une commission d’enquête internationale et indépendante chargée d’examiner les graves violations des droits de l’homme perpétrées contre la Grande marche de retour.
Nous avons le droit d’avoir une enquête équitable sur ce qui s’est passé et de voir les criminels, les soldats d’occupation et les commandants poursuivis devant les tribunaux internationaux, afin que la primauté du droit prévale et que la justice soit respectée. Sinon, Israël continuera d’agir en toute impunité et, par conséquent, la loi de la jungle prévaudra.
Nos droits légitimes
Nous continuerons nos marches populaires pacifiques pour réclamer nos droits légitimes, au premier rang desquels celui de vivre dans la dignité. La première étape pour y parvenir serait de lever immédiatement et sans conditions le siège de Gaza afin de donner à la nouvelle génération l’occasion de voir la lumière au bout du tunnel obscur, au lieu d’être conduits vers le désespoir, la frustration et l’extrémisme en raison des conditions de vie misérables.
Nous continuerons de frapper aux portes de cette immense prison pour en sortir et nous finirons par faire tomber ses murs.
Nous sommes un peuple qui aime la vie et qui désire voir la stabilité et la prospérité. Nous souhaitons à tous le meilleur. La mort et la guerre ne sont pas nos passe-temps. Chaque personne que nous perdons en chemin nous est chère et cette perte est douloureuse. Ainsi, si nous étions en mesure d’obtenir notre droit d’être libres, d’être indépendants et de vivre une vie honorable et paisible, ce serait notre meilleure option.
Mais si on ne nous le permet pas, nous sommes en droit de résister à l’occupation par tous les moyens possibles, y compris la résistance armée, un droit légitime garanti par le droit international.
Notre peuple aspire toujours à un avenir meilleur dans lequel le siège sera levé et l’occupation terminée, dans lequel nous construirons notre État indépendant avec Jérusalem comme capitale et contribuerons activement à servir les meilleurs intérêts de l’humanité.
Auteur : Ismaïl Haniyeh
* Ismaël Haniyeh est à la tête du bureau politique du Mouvement de la résistance islamique (Hamas).Son compte Twitter.
8 juin 2018 – Middle East Eye Traduction de l’anglais (original) : VECTranslation