Par Ramzy Baroud
Le gouvernement pakistanais ne devrait jamais, en aucune circonstance et quelques soient les pressions, normaliser ses relations avec Israël.
Le faire n’est pas seulement dangereux, car cela enhardira un Israël d’apartheid déjà raciste, violent, et vile, mais ce serait aussi considéré comme la trahison d’un l’héritage historique de solidarité mutuelle, d’affinité collective et de fraternité qui lient les Palestiniens et les Pakistanais depuis de nombreuses générations.
Le lien qui unit la Palestine et le Pakistan n’est pas de pure forme. Il a, au contraire, été scellé dans le sang et les sacrifices, les combattants pakistanais ayant pris part à la tentative arabe-palestinienne désespérée de repousser en 1948 la colonisation sioniste de la patrie des Palestiniens.
A chaque fois que les Palestiniens pensent à ceux qui étaient à leurs côtés dans les périodes de dures épreuves et de douleur collective, le Pakistan figure toujours en bonne place sur la liste.
Mais ce n’est pas tout. L’armée de l’air pakistanaise a aussi pris part à la guerre de 1967 (*) quand Israël a occupé le reste de la Palestine historique et, plus important encore, dans la guerre déterminante de 1973, quand les Arabes et les musulmans ont riposté.
Il n’a guère été surprenant d’apprendre que le gouvernement pakistanais a reconnu l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) en tant que “seul représentant légitime du peuple palestinien” avant que la Ligue arabe ne le fasse à la conférence de Rabat au Maroc en 1974.
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Il est affreusement triste de constater que le Maroc, malgré l’amitié collective partagée par le peuple marocain et le peuple palestinien, a succombé aux desseins politiques de normalisation avec Israël de Jared Kushner. Le gendre de Trump a lancé une campagne résolue pour normaliser Israël aux yeux des Arabes et des musulmans, sans obliger Tel Aviv à faire la moindre concession politique aux Palestiniens occupés et opprimés.
Des pays comme le Maroc, Bahreïn, les Émirats arabes unis, et le Soudan ont vendu la Palestine à bas prix, en échange de gains égoïstes limités, et pis encore, non garantis.
Le Pakistan ne peut pas rejoindre ce club fourvoyé. Un pays de la taille du Pakistan, à la vaste population dynamique, et qui jouit de l’autorité morale qui est la sienne n’a pas vocation à être un laquais américain, à danser au son du tambour de l’administration américaine, d’hommes politiques du genre Kushner, qui sont incapables de comprendre les conséquences à long terme de leurs actions.
Si le Pakistan normalise ses relations avec Israël par des échanges diplomatiques, culturels, commerciaux quels qu’ils soient, il enverra un message sans précèdent au reste de l’Oumma musulmane ; en fait, au monde entier, que les musulmans sont maintenant prêts à coexister dans une réalité où l’injustice est, dans toutes ses manifestations, tout simplement normale et acceptable.
Quel type d’autorité morale cela conférerait-il au Pakistan, d’autant plus qu’il mène la lutte contre l’occupation du Cachemire et les injustices et les violences perpétuelles que subissent quotidiennement des millions de Cachemiris ?
Dès le plus jeune âge, tous les Palestiniens apprennent que la lutte pour la Palestine fait partie intégrante de la lutte plus vaste contre les maux de l’occupation militaire partout dans le monde, à commencer par le Cachemire.
Toutes les mosquées palestiniennes terminent souvent leur sermon du vendredi par une prière sincère à Allah, pour qu’il soit mis fin aux malheurs de l’humanité, de la Palestine au Cachemire, en passant par l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie etc.
Par moments, cette camaraderie est tout ce qui reste aux Palestiniens, car la soi-disant communauté internationale a depuis longtemps tourné le dos au peuple palestinien et à sa tragédie apparemment sans fin.
Mais que gagnerait le Pakistan, de toute façon, d’une normalisation de ses relations avec Israël, à part de belles promesses qui seront probablement oubliées dès la prise de fonction de l’administration Biden à la Maison Blanche ? Qu’est-ce que l’Égypte et la Jordanie ont gagné de leur normalisation et de leurs liens diplomatiques avec Israël, au cours de 40 et 26 ans respectivement ?
Elles ne sont certainement pas en meilleure posture. Depuis lors, la livre égyptienne a été de nombreuses fois dévaluées par rapport au dollar ; elle ne vaut quasiment plus rien. La Jordanie, quant à elle, est en proie à une crise économique prolongée qui semble s’aggraver avec le temps.
En outre, la géopolitique du Moyen-Orient n’a jamais autant fluctué. Depuis la décision américaine déstabilisante de “pivoter vers l’Asie” en 2012, et le fait de “diriger en coulisse” la guerre menée par l’OTAN en Libye et tous les autres évènements importants survenus dans la région depuis lors, il est on ne peut plus clair que les États-Unis ne sont plus l’acteur dominant dans la région étendue du Moyen-Orient.
Comme, de toute évidence, leur domaine asiatique se rétrécie en raison de la puissance économique et politique, et le rayonnement croissants de la Chine, et que leur “ruée sur l’Afrique” est confrontée à de nombreux obstacles, les États-Unis ne sont plus en mesure de dicter, au Pakistan ou à un quelconque autre pays, la façon de mener sa politique étrangère.
Il est probable que la nouvelle administration soit très occupée des années durant à mener une offensive désespérée pour remédier certains des dégâts infligés par l’Administration Trump, en commençant par amender certains de leurs liens avec leurs alliés européens et au sein de l’OTAN.
Ce n’est pas le moment d’ajouter davantage de paris politiques américains, en alignant des Arabes et des musulmans dans le camp d’Israël pour combattre une menace iranienne imaginaire.
C’est au contraire le moment pour des pays influents et bien considérés comme le Pakistan de promouvoir leurs propres initiatives, avec l’aide d’autres pays épris de justice et de liberté, de forcer Israël à respecter le droit international, de mettre fin à son occupation militaire de la Palestine et de démanteler son système d’apartheid raciste.
Ceci conférera sûrement au Pakistan le respect et le leadership qu’il mérite en tant que puissance musulmane et asiatique mondiale.
Les peuples palestinien et pakistanais ont besoin l’un de l’autre en tant que fer de lance dans la lutte contre le racisme, l’occupation militaire et l’injustice. Ils doivent restés unis à l’avant-garde de ce combat décisif, quels que soient les sacrifices et les pressions. Si le Pakistan abandonne cette noble lutte, cette perte sera douloureusement ressentie par chaque Palestinien pendant des générations.
Je vous en conjure, Pakistan, ne validez pas l’apartheid ; ne normalisez pas l’occupation militaire !
Note :
(*) A cette occasion les aviateurs volontaires pakistanais ont détruit un total de 10 avions de chasse israéliens, et sans perdre un seul des leurs. L’un des noms les plus fameux de la guerre de 1967 a été le capitaine Saiful Azam, qui détient le record d’être le seul pilote de chasse de l’histoire à avoir abattu, de façon confirmée, trois avions israéliens dans des combats en vol, et endommagé un avion qui s’est ensuite écrasé au sol.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
3 février 2021 – Middle East Monitor – Traduction: Chronique de Palestine – MJB