Par Ali Anouzla
Loin des projecteurs des grands médias, le Maroc traverse une période d’agitation inhabituelle liée aux événements de Gaza.
Plus l’agression sioniste s’intensifie, plus la colère monte dans la rue marocaine et plus l’embarras des autorités marocaines, qui continuent à s’accrocher à leurs relations avec Israël, augmente, créant un fossé qui se creuse au fil du temps entre les autorités et la rue en colère.
La première raison de cette colère est la position des autorités sur l’attaque israélienne en cours contre les Palestiniens.
La réalité est que la majorité du peuple marocain, qui a traditionnellement sympathisé avec le peuple palestinien, a continuellement et à plusieurs reprises exprimé sa frustration dans les rues depuis de nombreux mois à travers des protestations et des manifestations que les autorités s’efforcent de contenir.
L’inquiétude réside dans le fossé qui se creuse entre les sentiments de la majorité du peuple et la position ambiguë des autorités qui ont obligé – par une décision unilatérale et de la plus haute autorité du pays – le gouvernement, le parlement et le peuple à établir des relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël.
Pour limiter les dégâts, il y a quelques jours, une position officielle marocaine, considérée comme la plus claire et la plus stricte dans la critique de l’agression israélienne, a été émise par le Roi du Maroc Mohammed VI en sa qualité de Président du Comité Al-Quds, à l’occasion du 15ème sommet de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI), qui s’est tenu les 4 et 5 mai à Banjul, la capitale de la Gambie.
Non à la trahison : le peuple marocain refuse la normalisation avec Israël
C’est la première fois qu’il qualifie la guerre israélienne contre les Palestiniens d’« agression brutale et sans précédent ». Il a également qualifié ce qui se passe à Gaza de « déplacement forcé, de punition collective et d’actes de vengeance » contre les Palestiniens, contrairement aux déclarations du ministère marocain des affaires étrangères, qui parlait d’« attaques » et d’« actes de violence », assimilant la victime au bourreau.
Cependant, avec la poursuite de la guerre d’agression israélienne contre Gaza, l’autorité marocaine continue de se trouver dans une position très précaire et peu enviable, entre le maintien de ses relations avec l’ennemi sioniste avec lequel elle a des accords de normalisation depuis 2020, et la prise en compte des sentiments de la majorité du peuple marocain, qui a historiquement soutenu la cause palestinienne et organise constamment des marches populaires pour demander à l’État marocain de cesser toute forme de normalisation avec Israël.
Plus la guerre contre Gaza durera et plus le nombre de morts palestiniens augmentera, plus la pression de la rue sur les autorités marocaines sera forte.
L’opinion publique marocaine n’a pas cessé de manifester, malgré l’affaiblissement de la mobilisation populaire par rapport aux premiers jours de la guerre, ce qui ne signifie pas pour autant que le grand élan de sympathie populaire qui s’est manifesté soit en déclin.
Les Marocains se passionnent pour la question palestinienne, les autorités marocaines en sont conscientes et tentent de la contenir en prenant des initiatives politiques timides, telles que des déclarations dénonçant les crimes israéliens ou l’octroi d’une aide limitée aux habitants de Gaza.
D’autre part, les autorités elles-mêmes font preuve de fermeté, en fonction de leurs intérêts, pour envoyer des messages clairs aux opposants aux accords de normalisation avec Israël, qu’elles poursuivront la normalisation coûte que coûte, avec une sorte d’obstination et d’insistance inexplicables.
Cela pousse de nombreux observateurs à se demander s’il n’existe pas des accords ou des engagements inavoués entre les autorités marocaines et l’entité sioniste qui les rendent incapables de défaire ces accords funestes que le palais a imposés au peuple sans tenir compte des sentiments de la majorité des Marocains qui sortent aujourd’hui dans des manifestations massives.
Ces démonstrations représentent des référendums populaires dans plus d’une ville marocaine, exprimant leur rejet des accords.
La coupe du monde de foot et l’universalité de la cause palestinienne
Dans le contexte des positions contradictoires des autorités marocaines entre leurs efforts pour contenir la colère de la rue et, en même temps, permettre les manifestations afin d’éviter l’explosion, nous constatons que toute action contre la normalisation comporte de nombreux risques qui peuvent exposer son auteur à diverses interdictions, voir à l’emprisonnement.
C’est le cas du blogueur Saeed Boukyoud, condamné à cinq ans de prison pour des posts Facebook critiquant la normalisation des relations avec Israël. Son collègue blogueur, Abdel Rahman Zankad, a également été condamné à la même peine pour des articles critiquant la normalisation.
Un autre militant anti-normalisation, Mustafa Dakar, est actuellement détenu pour avoir publié des articles critiquant la normalisation. Les trois hommes sont membres du groupe Justice et Bienfaisance, le plus grand groupe islamique du Maroc, qui est à l’origine des grandes manifestations qui ont lieu en permanence dans de nombreuses villes marocaines pour dénoncer la guerre contre Gaza.
Par conséquent, de nombreuses personnes considèrent ces initiatives répressives comme des messages des autorités marocaines au groupe et à tous ceux qui s’opposent à la normalisation, afin de faire taire leurs voix.
Cela inclut également les voix affiliées aux mouvements de gauche ou indépendants, que ce soit à travers l’interdiction imposée à certaines activités ou les procès auxquels sont confrontés 13 militants de gauche et indépendants qui sont détenus pour leur participation à un événement contre la normalisation économique avec l’entité sioniste.
La normalisation arabe et la lutte palestinienne pour la libération
Comme leurs homologues dans de nombreux pays arabes, les autorités marocaines ne cachent pas leur crainte des développements de la guerre contre Gaza et de ses répercussions sur la situation dans leurs pays.
Beaucoup de gouvernements dans ces pays, y compris le gouvernement marocain, expriment leur crainte des changements majeurs que cette guerre provoque quotidiennement dans l’opinion publique populaire internationale, ainsi que des vagues de colère qui montent chez les jeunes occidentaux dans les universités et se propagent dans les sociétés occidentales.
Dans le cas des pays arabes, la crainte est double, car les gouvernements se rendent compte que la guerre à Gaza, avec toutes ses répercussions, a relancé le projet d’islam politique que les contre-révolutions ont tenté de faire avorter pendant le printemps arabe.
C’est ce qu’avait déjà révélé, au début de l’agression israélienne sur Gaza, l’ancien diplomate américain Dennis Ross, qui avait déclaré que la volonté des dirigeants arabes qu’il avait rencontrés était de détruire le mouvement Hamas, car toute victoire de celui-ci, même morale, alimenterait l’idéologie du rejet au sein de leurs pays.
C’est cette même position qui a été récemment révélée par Malcolm Hoenlein, vice-président exécutif de la Conférence des présidents des grandes organisations juives américaines, qui a déclaré que tous les dirigeants arabes avec lesquels il s’est entretenu lui ont dit de détruire le Hamas.
Entre les tentatives de contenir les sentiments de leurs peuples et de préserver leurs intérêts, les régimes arabes vivent leurs jours les plus misérables, leurs cœurs sont sur leurs trônes et leurs épées sont contre tout ce qui les menace, même s’il s’agit d’une victoire morale pour un mouvement de résistance qui pourrait faire renaître l’espoir dans la volonté du peuple lorsqu’il veut décider de son destin pour lui-même.
Auteur : Ali Anouzla
* Ali Anouzla est un journaliste et écrivain marocain, directeur et rédacteur en chef du site d'information Lakome.com. Il est le fondateur et l'ancien rédacteur en chef de plusieurs journaux marocains. Ali Anouzla est un défenseur des droits de l'homme, qui dénonce les violations des droits perpétrées au Maroc et au Sahara Occidental. Cela lui vaut de nombreux démélés avec le pouvoir et donc la justice, au Maroc.
10 mai 2024 – Middle-East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine