Par Benay Blend
En août 1963, Martin Luther King, Jr. écrit une lettre en réponse à une déclaration publique d’inquiétude et de prudence faite par huit leaders religieux du Sud de l’Amérique.
Le 16 janvier 2023 marque l’anniversaire de sa naissance, jour férié fédéral aux Etats-Unis. En réponse à l’accusation selon laquelle les problèmes du Sud étaient causés par des « troubles extérieurs » ML King eut cette phrase devenue célèbre : « Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice partout », tout autant à Birmingham qu’à Atlanta où il vivait.
« Nous sommes pris dans un réseau de réciprocité inextricable, » continua ML King, « liés dans le même et seul habit du destin … Quiconque vit aux Etats-Unis ne peut jamais être considéré comme une personne extérieure. » En 2022, le postulat de ML King devrait être étendu à l’oppression partout dans le monde, notamment à la Palestine contemporaine.
L’an dernier les Forces d’Occupation israéliennes ont détenu environ 7000 Palestiniens, faisant de cette année la plus meurtrière depuis 2005 pour ceux qui vivent sous occupation, en Palestine, la détention a pour objectif de briser l’esprit de résistance.
D’après James Patrick Jordan, Eduardo Garcia, et Natalia Burdyńska-Schuurman, l’incarcération politique aux Etats-Unis sert aussi « d’outil de répression raciste » qui cible de façon disproportionnée les personnes de couleur ainsi que d’autres participants de la lutte antiraciste.
En décembre 2022, l’Alliance for Global Justice a dressé une liste de prisonniers politiques qui illustre à quel point l’histoire américaine, tout comme celle de l’état sioniste, « est établie et portée » par des institutions racistes.
Parmi les prisonniers de longue date qui purgent de longues condamnations dans les prisons israéliennes, le secrétaire général du Front Populaire pour la Libération de la Palestine, le dirigeant révolutionnaire Ahmad Sa’adat, « Abu Ghassan, » a attiré l’attention par son extraordinaire sumoud (volonté indéfectible) et sa résistance fondée sur des principes.
Après son arrestation, Sa’adat a écrit : « Le Quartet (E.U, U.E, Russie et ONU) apporte une couverture à l’occupation. Ce qui s’est passé à la prison de Jéricho a fait des gouvernements britannique et états-unien une partie intégrante du conflit et a enterré à tout jamais l’illusion de leur neutralité » – faisant référence aux gardes américains et britanniques qui ont abandonné leur poste, permettant aux forces israéliennes de prendre d’assaut la prison, d’enlever Sa’adat et d’autres détenus, d’en tuer deux, et d’en blesser 23 autres.
A l’occasion du Premier mai 2017, Sa’adat présenta le mouvement comme la lutte contre l’exploitation de classe, l’impérialisme et le fascisme où qu’ils existent.
« Notre message d’aujourd’hui s’adresse à toutes les forces révolutionnaires d’Amérique latine, d’Afrique, des Philippines, de Turquie et de Grèce, » écrit-il, « dans toutes les ceintures de misère, et les villes en difficultés partout dans le monde : le Front populaire de Libération de la Palestine [FPLP] est à vos côtés en ce 1ier mai. »
Sa’adat conclut son message en appelant à « une alliance de la gauche la plus large possible pour combattre le camp de l’exploitation et du capital afin de construire une autre société, une société socialiste. »
De même, dans une lettre datée de décembre 1967, le Dr King a élargi le mouvement des droits civiques pour y inclure non seulement « les déshérités de cette nation – les pauvres, blancs et noirs » mais aussi tous les opprimés du monde entier.
De même que Sa’adat voyait le camp palestinien comme l’incubateur de la révolution et de l’intifada populaire, le Dr King était convaincu que le « noir américain » serait « l’avant-garde d’une lutte dans la durée qui pouvait changer la face du monde, tandis que des milliards de défavorisés secouent et transforment la planète dans leur quête de vie, de liberté et de justice. »
Il y a des similitudes entre le mouvement pour les droits civiques du Dr King et l’appel de Sa’adat depuis sa prison en faveur d’un mouvement anticolonial. Selon le Professeur, Rabab Abdulhadi, la justice est « indivisible », ce qui signifie que, d’une part, chaque lutte est unique, donc mérite d’être considérée pour elle-même, tandis que d’autre part, l’injustice commise n’importe où représente un danger pour tous ceux qui sont impliqués dans la lutte pour la justice sociale.
Par conséquent, si la lutte anticoloniale est universelle, chaque mouvement a sa propre histoire, qui varie en fonction des différences de l’évolution historique, des préférences stratégiques, ainsi que de l’opposition qu’il doit affronter.
Le Dr King n’a jamais dévié de sa stratégie privilégiée, la désobéissance civile. « La protestation non violente doit maintenant passer à un niveau supérieur pour être en phase avec une impatience noire accrue et une résistance blanche rigidifiée, » écrit-il en 1967.
« Ce niveau supérieur est la désobéissance civile de masse » dont il espérait qu’à un certain stade elle empêcherait la société de fonctionner.
Aurait-il changé d’avis s’il avait pu voir le pays changer et devenir moins enclin à considérer d’un œil bienveillant les manifestations, on peut se le demander. Comme le remarque Alexis Madrigal, King était passé maître dans l’utilisation des médias à son avantage, mais les réseaux avaient leur propre « vision étroite » de ce que le mouvement des droits civiques devait accomplir.
Les noirs dans la détresse, note Madrigal, servaient de message acceptable, tant que c’étaient les blancs qui choisissaient de donner aux noirs un tant soit peu de liberté. « Ce qui n’était pas acceptable » conclut-il, « c’était que les noirs exigent le pouvoir par tous les moyens. »
La stratégie de King le servit bien jusqu’à ce qu’avril 1967 il commençe à dénoncer la guerre du Vietnam qui soustrayait des fonds à la guerre contre la pauvreté aux Etats-Unis même.
« Je savais que je ne pourrais plus jamais élever la voix contre la violence faite aux opprimés dans les ghettos sans avoir d’abord parlé clairement au plus grand pourvoyeur de violence au monde aujourd’hui : mon propre gouvernement, » avertit King, propos qui devraient faire partie intégrante de toutes les commémorations qui honorent sa mémoire aujourd’hui.
« Pour que la non-violence fonctionne » a dit feu Kwame Ture (Stokely Carmichael), « vos adversaires doivent avoir une conscience. » Ayant vécu toute sa vie sous occupation brutale, Sa’adat comprit très bien que l’occupant engagé dans le nettoyage ethnique n’avait pas de conscience.
Dans une lettre de 2015 depuis la prison de Nafha, il appela toutes les forces populaires à maintenir et amplifier l’Intifada qui se développait et à soutenir sa poursuite dans la vie quotidienne, modifiant ainsi la nature de la relation entre l’occupation et le peuple palestinien.
En outre, il exhorta « à mettre un point final à la voie d’Oslo, y compris à cesser totalement tout rapport avec l’occupation. » La trajectoire de Sa’adat, axée sur la révolution plutôt que sur les négociations, s’oppose à celle de King qui privilégiait l’intégration afin d’obtenir les droits civiques dans le cadre du système. Ce serait impossible pour les Palestiniens étant donné la nature de l’occupation.
Le 25 décembre 2022, Samidoun, le Réseau de solidarité internationale avec les prisonniers palestiniens, a réimprimé un appel venant de Palestine à participer à une campagne internationale à l’occasion du 21ième anniversaire du kidnapping de Sa’adat.
Cette campagne se déroulant du 15 au 24 janvier 2023 rend également hommage aux martyrs de « l’opération plomb durci » de 2008, l’attaque brutale de l’entité sioniste contre Gaza, lancée le lendemain du procès du Camarade Sa’adat.
Pour citer Samidoun : « Ahmad Sa’adat et le mouvement des prisonniers résistent sur les lignes de front de la lutte et méritent nos efforts, notre implication et nos initiatives via toutes formes de solidarité et de soutien. »
Cet appel arrive à un moment crucial car Itamar Ben-Gvir sera bientôt le soi-disant « Ministre de la sécurité intérieure » pour la réalisation du projet sioniste, dont dépendent les dossiers des prisonniers.
En effet, préoccupé par une décision de la Haute Cour de justice en faveur d’une amélioration des conditions de détention, Ben-Gvir a récemment rendu visite à la prison Nafha pour s’assurer que les conditions de détention des prisonniers palestiniens ne s’étaient pas améliorées.
En 2010, Charlotte Kates, militante de Solidarité avec la Palestine et coordinatrice internationale de Samidoun, a écrit ce qui suit
« Il incombe à ceux d’entre nous prêts à se montrer solidaires des prisonniers palestiniens de reconnaitre que la détention administrative est un élément de tout un système mis en place pour étayer l’occupation et miner l’existence, la résistance, et l’organisation des Palestiniens. Afin de construire la solidarité, nous devons refuser d’accepter comme normale ou légitime la criminalisation de la résistance et de la politique palestiniennes par l’occupation israélienne. »
La solidarité est plus que jamais importante au moment où ce qu’Ilan Pappé appelle le gouvernement « voyou » nouvellement élu prend ses fonctions. Tout en reconnaissant qu’aucune entité précédente n’a respecté les droits des Palestiniens, il avertit que ce nouveau gouvernement a l’intention d’atteindre l’objectif du projet sioniste «posséder le plus possible du territoire de la Palestine historique avec le moins possible de Palestiniens sur ce territoire. »
En 2018, Sa’adat a écrit dans l’introduction d’une réédition de Revolutionary Suicide de Huey Newton :
« Qu’ils s’appellent Mumia Abu-Jamal, Walid Daqqa ou Georges Ibrahim Abdallah, les prisonniers politiques derrière les barreaux peuvent et doivent être une priorité pour nos mouvements…. Les prisonniers politiques ne sont pas simplement des individus ; ce sont des dirigeants organisationnels de la lutte de l’intérieur de la prison qui permettent de détruire et démanteler les barreaux, les murs, et les chaînes qui servent à nous séparer de nos peuples et des communautés combattantes. Ils sont confrontés à l’isolement répété, au confinement solitaire, aux actes cruels de torture de l’occupant et geôlier qui cherchent à briser la volonté du prisonnier et le lien étroit qui le lie à son peuple. »
Pendant la semaine d’action annuelle (14-25 janvier) pour la libération d’Ahmad Sa’adat, il est de la responsabilité de tous les militants de la solidarité de prendre ces paroles au sérieux ainsi que celles d’un Martin Luther King non aseptisé.
Auteur : Benay Blend
* Benay Blend a obtenu son doctorat en études américaines à l'université du Nouveau-Mexique. Ses travaux universitaires comprennent Douglas Vakoch et Sam Mickey, Eds. (2017), "'Neither Homeland Nor Exile are Words' : 'Situated Knowledge' in the Works of Palestinian and Native American Writers".
10 janvier 2023 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB