Par Ramzy Baroud
Amarneh, un ingénieur civil de 30 ans originaire du village de Farasin, dans le nord de la Cisjordanie sous occupation, vit avec sa famille dans une grotte. Pendant de nombreuses années, la famille Amarneh a tenté de construire une maison en bonne et due forme, mais à chaque fois, sa demande a été rejetée par l’armée israélienne.
À bien des égards, la lutte des Amarneh est un microcosme de la lutte collective de Farasin, et en fait, de la grande majorité des Palestiniens.
Ceux qui ont la malchance de vivre dans les secteurs de la Cisjordanie désignés par l’accord d’Oslo II de 1995 comme faisant partie de la zone C, ont été laissés dans un vide perpétuel.
La zone C représente près de 60 % de la superficie totale de la Cisjordanie. Elle est riche en ressources – principalement des terres cultivables, de l’eau et de nombreuses ressources minérales – mais relativement peu peuplée. Il n’est pas surprenant que le Premier ministre israélien d’extrême-droite, Benjamin Netanyahu, veuille annexer cette région.
Plus de terres avec moins de Palestiniens, a été le principe directeur du colonialisme sioniste depuis son apparition.
Il est vrai que le plan d’annexion de Nétanyahu, du moins l’élément de jure de ce plan, semble avoir été reporté. Dans la pratique, cependant, l’annexion de facto s’est déroulée depuis de nombreuses années et, dernièrement, elle s’est accélérée.
En juin dernier, par exemple, Israël a démoli 30 maisons palestiniennes en Cisjordanie, principalement dans la zone C, laissant plus de 100 Palestiniens sans abri.
En outre, selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), les bulldozers de l’armée israélienne ont également détruit 33 structures non résidentielles. C’est “le même nombre (de structures) démolies tout au long des cinq premiers mois de 2020”, selon OCHA.
Hélas, Farasin, comme de nombreux autres villages et communautés palestiniens de la zone C, est l’objet d’un projet de complète destruction. Une petite population d’environ 200 personnes est soumise au harcèlement de l’armée israélienne depuis des années.
Si Israël tient à implanter des communautés juives au cœur de la Cisjordanie occupée, il tient également à contrecarrer la croissance naturelle des communautés palestiniennes – les véritables propriétaires de la terre – dans la zone C.
Le 29 juillet, les forces israéliennes ont envahi Farasin, terrorisant les habitants, et ont affiché 36 ordres de démolition, a rapporté le chef du conseil du village.
Il s’agit là du début d’un nettoyage ethnique de toute la population du village par Israël.
Ahmed Amarneh et sa famille ont également reçu un ordre de démolition, bien qu’ils ne vivent pas dans une maison en béton, mais dans une grotte de montagne. “Je n’ai pas fait la grotte. Elle existe depuis l’antiquité”, a-t-il déclaré aux journalistes. “Je ne comprends pas comment ils peuvent m’empêcher de vivre dans une grotte. Les animaux vivent dans des grottes et ne sont pas jetés dehors. Alors qu’ils me traitent comme un animal et me laissent vivre ici”.
La colère d’Amarneh n’est pas feinte. Dans un rapport récent, le groupe de défense des droits israéliens B’tselem a dressé la liste de certaines des méthodes les plus insidieuses ou brutales utilisées par Israël pour expulser de force les Palestiniens de leurs maisons dans la zone C ou pour bloquer tout développement au sein de ces communautés.
“Israël a bloqué le développement palestinien en désignant de vastes étendues de terre comme des terres d’État, terres d’arpentage, zones de tir, réserves naturelles et parcs nationaux”, selon B’tselem. À en juger par la destruction systématique de l’environnement palestinien en Cisjordanie, Israël ne s’intéresse guère non plus à la préservation de la vie animale.
Le but ultime est l’attribution de “terres aux colonies et à leurs conseils régionaux”, affirme B’tselem.
Par conséquent, il ne faut pas s’étonner qu’en novembre 2017, par exemple, seules 16 des 180 communautés palestiniennes de la zone C ont eu une approbation pour leur développement. Les autres n’ont récolté que de strictes interdictions.
Entre 2016 et 2018, sur les 1485 demandes palestiniennes de construction et de développement dans ces zones, seuls 21 permis ont été accordés.
Ces mesures d’une cruauté insigne ne laissent aux familles palestiniennes d’autre choix que de construire sans permis, ce qui fait d’elles des cibles pour les bulldozers militaires israéliens.
Des centaines de familles, comme celle d’Ahmed Amarneh, ont opté pour des solutions alternatives. Faute d’obtenir un permis et par crainte d’une démolition imminente si elles construisent malgré tout, elles finissent par s’installer dans des grottes de montagne.
Ce phénomène est particulièrement manifeste dans les régions d’Hébron [al-Khalil] et de Naplouse.
Dans le désert montagneux situé à la périphérie de Naplouse, les ruines de maisons abandonnées – certaines démolies, d’autres inachevées – témoignent d’une guerre permanente entre l’armée israélienne d’occupation et le peuple palestinien.
Une fois leur bataille perdue et en l’absence d’autre choix, de nombreuses familles palestiniennes prennent leurs affaires et émigrent vers les grottes à la recherche d’un foyer.
Bien souvent, la lutte ne s’arrête pas là, car les communautés palestiniennes, en particulier dans la région des collines d’Hébron, se retrouvent à nouveau visées par des ordres d’expulsion.
La guerre des Palestiniens pour leur survie ne connaît pas de répit.
Le cas d’Ahmed Amarneh, cependant, est particulièrement notable car il est très rare qu’Israël émette un ordre militaire de démolition d’une grotte… Si la grotte est démolie, où la famille Amarneh peut-elle aller ?
Cette question, symptomatique du grand dilemme palestinien, rappelle un des premiers poèmes de Mahmoud Darwish, “La Terre nous est fermée” :
Où devons-nous aller après les dernières frontières ?
Où les oiseaux devraient-ils voler après le dernier ciel ?
Où devraient dormir les plantes après le dernier souffle d’air ?
Aussi triste que soit la réalité, la métaphore est indéniablement puissante, celle d’un colonialisme sauvage qui ne connaît pas de limites, mais aussi de la fermeté palestinienne (sumoud) qui est immortelle.
Souvent masquée dans les détails techniques de l’oppression – zone C, démolition de maisons, nettoyage ethnique, etc… – se trouve la ténacité de l’esprit humain, celle de la famille Amarneh et de centaines d’autres familles palestiniennes qui ont fait de grottes des foyers remplis de chaleur familiale. C’est cette persévérance sans égale qui rend possible la quête de la justice en Palestine, malgré les innombrables obstacles.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
19 août 2020 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah