Par Yara Hawari
Israa était une maquilleuse enthousiaste et compétente sur le point d’être fiancée. Sa vie a pris fin brutalement la semaine dernière quand elle a – selon toutes les apparences – été assassinée par des membres de sa propre famille pour avoir publié une photo sur Instagram avec son futur fiancé.
Il a été rapporté que ses frères l’avaient battue si fort qu’en tentant de leur échapper, elle était tombée par la fenêtre et avait subi de graves blessures à la colonne vertébrale qui ont entraîné son hospitalisation. Elle a ensuite été agressée à l’hôpital, où, selon des témoins, elle aurait été entendue criant à l’aide et appelant la police.
Sa famille a nié toute culpabilité et affirmé qu’Israa avait été possédée par un esprit maléfique (un Jin) et qu’elle a subi une crise cardiaque. L’Autorité palestinienne a ouvert une enquête sur sa mort mais une grande partie des médias l’appelle déjà “meurtre d’honneur”, c’est-à-dire le meurtre d’une femme ou d’une fille par un parent de sexe masculin pour prétendument préserver l’honneur de la famille.
La ministre palestinienne de la condition féminine, la Dr. Amal Hamad, a publié sur Facebook une déclaration affirmant que le système judiciaire devrait être revu de manière à offrir une meilleure protection aux femmes, ainsi que des mécanismes de prévention de la violence avant son aggravation. Entre-temps, les militants et les féministes arabes sur les médias sociaux ont condamné ce meurtre horrible et ont insisté pour que le terme “crime d’honneur” soit abandonné et que le crime s’appelle simplement un meurtre.
En effet, le problème du terme “crime d’honneur” est qu’il permet de conforter le récit selon lequel ce crime est en quelque sorte exceptionnel ou distinct du crime plus général de féminicide. Le terme encourage également les gens à considérer qu’il s’agit d’un problème spécifique au Moyen-Orient ou en Asie. Pourtant, les femmes sont tuées partout dans le monde par des hommes qui invoquent des questions de honte, de jalousie, de déshonneur et d’humiliation dans une manifestation de masculinité toxique.
C’est pourquoi il est important que ces crimes soient compris et traités dans le contexte de la violence structurelle du patriarcat.
Le meurtre d’Israa fait partie d’un phénomène mondial de violence à l’égard des femmes infligée par des partenaires intimes et/ou des proches. Ce phénomène est provoqué et entretenu par des systèmes patriarcaux qui assurent la domination et la hiérarchie masculines. Alors que le patriarcat affecte tout le monde, ses manifestations violentes affectent les femmes de manière disproportionnée.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que une femme sur trois dans le monde a subi des violences physiques et / ou sexuelles de la part d’un partenaire intime. Selon des chiffres récents, il est également estimé que, dans le monde en moyenne 137 femmes sont tuées par des membres de la famille chaque jour. Ce qui permet ce type de violence est une prétention de propriété masculine sur les femmes et leur corps, où les femmes et la féminité sont considérées comme inférieures aux hommes et à la masculinité.
L’histoire d’Israa est un exemple horrible et brutal des manifestations violentes du patriarcat en Palestine et peu de mécanismes institutionnels et juridiques ont été mis en place pour protéger les femmes de ce type de violence dans la sphère privée. Beaucoup d’autres femmes palestiniennes ont subi divers degrés de violence physique et psychologique de la part d’un partenaire masculin ou de membres de leur famille. Selon les Nations Unies, environ 30% des femmes mariées de Cisjordanie ont été victimes de violences domestiques de la part de leurs maris; à Gaza, ce nombre atteint 50%.
Il est également important de reconnaître que la violence patriarcale se manifeste aussi de manière plus insidieuse – s’insinuant dans notre langage et comportement quotidiens, affectant de multiples façons la manière dont les stéréotypes sur le genre s’imposent dans les environnements familiaux et professionnels.
C’est pourquoi le féminisme ne peut être simplement une idéologie, il doit être intégré aux valeurs sociales, politiques et nationales et respecté en tant que tel. Cela signifie non seulement de constamment remettre en question et refuser les normes de nos sociétés et de nos communautés qui imposent la domination masculine, mais également de s’organiser pour la démanteler.
Des mécanismes institutionnels doivent être établis et des outils juridiques doivent être disponibles pour que les auteurs de tels crimes, tels que les membres de la famille d’Israa, puissent être poursuivis et punis. Les femmes ne peuvent pas rester seules dans cette lutte. Les hommes doivent non seulement y participer activement mais aussi faire confiance aux femmes pour leur engagement. C’est ainsi que nous pouvons collectivement honorer Israa et toutes les femmes qui ont vu leur vie prise au piège d’une culture empoisonnée de domination masculine et de patriarcat.
Auteur : Yara Hawari
* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire.En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera. Son compte twitter.
5 septembre 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine