Par Daniel Vanhove
Sujet délicat s’il en est, dans la guerre coloniale du régime sioniste contre la Palestine, certains citoyens juifs de par le monde ont le courage de se désolidariser des gouvernements israéliens qui se succèdent mais gardent la même politique d’expansion coloniale. Ainsi en Israël, du mouvement israélien Shalom Arshav (La Paix maintenant) qui n’est plus que l’ombre de lui-même et dont l’une des figures les plus connues était celle d’Uri Avnery, journaliste et écrivain «de gauche», décédé en août 2018.
En Europe existe EJJP (Juifs Européens pour une Paix Juste), organisation basée à Londres qui regroupe plusieurs mouvements de divers pays – Autriche, Belgique, France, Italie, Suisse, … – soutenant tous le mouvement BDS mondial, prônant la fin immédiate de la colonisation, le démantèlement des colonies tant en Cisjordanie qu’à Jérusalem-Est, la fin du siège de Gaza, la destruction du Mur d’apartheid, et la reconnaissance des frontières de 1967 ou autrement dit la «Ligne Verte» qui serait la délimitation à l’intérieure de laquelle les Palestiniens pourraient enfin créer leur propre État.
En résumé, une position assez proche des Accords d’Oslo signés à la Maison blanche en septembre 1993, qui préconisaient à terme «deux États pour deux peuples vivant côte à côte, dans une paix juste et durable».
Certes, la formule est belle et pleine de promesses… sur papier. Et en a fait rêver beaucoup. Mais dans les faits et 35 ans plus tard, elle est morte et enterrée, et ne correspond plus en rien aux réalités de terrain Les calculs sordides, l’acharnement colonial et l’hypocrisie des sionistes et de leurs complices aux manœuvres l’ont fait échouer.
Les Palestiniens à travers Y. Arafat d’abord et M. Abbas ensuite, ont cédé sur quantité de points, allant même jusqu’à l’impensable : collaborer avec les forces occupantes pour en assurer la sécurité, espérant toujours aboutir à leur État sur les lambeaux de territoires restants.
Dans un tel paysage qui chaque jour a vu la possibilité d’un État viable se rétrécir comme une peau de chagrin pour les Palestiniens, il n’est pas étonnant de voir les jeunes générations rejeter ces Accords ainsi que toutes les chancelleries, ONG et autres soi-disant «soutiens» qui répètent ce mantra ad nauseam, au profit désormais d’un seul État fédéral ou bi-national où pourront vivre tous les citoyens qui le souhaitent, dans le respect d’autrui et basé sur les normes des démocraties modernes, mais sous autorité palestinienne ou peut-être mixte palestino-israélienne si cela s’avère possible. Quant à ceux qu’un tel projet ne convaincrait pas, ils pourront rentrer d’où ils sont arrivés.
Et c’est-là que nombre de militants et «mouvements juifs pour la paix» s’arrêtent. La plupart d’entre eux ne peuvent l’imaginer et leur solidarité avec les Palestiniens est incapable de voir au-delà de cette limite: un État israélien distinct, délimité par la «Ligne Verte». Ainsi, comble du paradoxe, ils restent attachés à la base même du sionisme que pourtant ils affirment combattre. Contradiction qui les rend dès lors peu crédibles.
Les récents bombardements qui se sont abattus pendant 11 jours sur Gaza ont donné lieu à de nombreux commentaires, dont ceux de ces mouvements juifs qui ont chacun à leur manière, livré leur analyse de la situation. Ainsi, en Belgique, un membre de l’UPJB (Union des Progressistes Juifs de Belgique) s’est-il fendu d’un article qu’il a diffusé sur la toile, ayant pour titre: «Palestine: une critique du Hamas». Vrai qu’au vu des événements, la priorité devait se focaliser sur cette «critique» -là…
Cet article illustre bien toute l’ambiguïté de la majorité de ces mouvements dont la réflexion semble s’arrêter à un moment de l’histoire: 1967 et la ‘guerre des six jours’. A l’issue de cette guerre éclair, la puissance coloniale a pris le contrôle de la bande de Gaza et de la péninsule du Sinaï, les hauteurs du Golan syrien, la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Le tracé initial délimitant la partition de la Palestine historique en 1947 et qui prévoyait deux États, l’un arabe et l’autre juif en a été complètement modifié.
Et la Résolution 242 prise par le Conseil de Sécurité de l’ONU en cette même année 1967 réclamant la fin immédiate de l’occupation militaire reste à ce jour inappliquée sur la majorité de ces territoires (sauf les hauteurs du Sinaï que l’Égypte récupéra via l’accord de paix signé par A. al-Sadate avec M. Begin, sous l’égide du président américain J. Carter en 1978, et pour lequel ils obtinrent conjointement le Prix Nobel pour la Paix).
Face à l’accaparement incessant de territoires palestiniens, le Conseil de sécurité des Nations-Unies a voté en décembre 2016 la Résolution 2334 confirmant la «Ligne verte» de 1967 comme frontière entre les deux États.
Cet article enfonce des portes ouvertes et n’apporte rien que des formules toutes faites derrière lesquelles une solidarité timorée et peu convaincante s’abrite sous label «non-violent’ comme critère absolu, prenant les habituelles figures de Gandhi et Mandela comme icônes.
Ce qui non seulement, bien que l’auteur s’en défende, renvoie agresseurs et agressés dos-à-dos, mais permet au passage de torpiller le droit du Hamas et autres mouvements de la résistance – encore et toujours réduits à des groupes «terroristes» même sans l’exprimer explicitement – qui osent utiliser des moyens violents tels que les roquettes et missiles lancés sur les colonies et autres villes et postes israéliens. Ce qui implique l’autre mantra qu’il n’y aurait qu’Israël qui a «le droit de se défendre».
L’argumentaire développé dans l’article est le même que celui que l’on peut lire et entendre régulièrement de la part de ceux qui se prétendent aux côtés des Palestiniens, mais… Il y a toujours un «mais» dont la teneur est pratiquement la même partout et peut se résumer en une formule commode: sans violence! On en voit le résultat depuis des décennies, et encore récemment lors des «Marches du Grand retour» à Gaza où les Palestiniens non-violents se sont fait pointer par les snipers de l’infâme régime sioniste, faisant d’innombrables tués, blessés et estropiés à vie !
Il convient donc de rappeler à tous ces militants plein de bonnes intentions, qu’aucune lutte de libération n’a jamais abouti sans violence. Et que les grandes figures qu’ils convoquent pour étayer leur position «non-violente» se sont toujours abstenues d’en dresser un jugement définitif et parfois même y ont eu recours ou l’ont envisagée.
Que ce soit Gandhi, Mandela, Luther-King ou autre… Et même plus: quand il n’y a d’autre recours et que l’adversaire n’en laisse pas le choix, il faut être prêt au sacrifice de soi-même. Gandhi a eu cette phrase un jour de 1920 où la question lui était posée: «Je crois vraiment que là où il n’y a que le choix entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence (…) C’est pourquoi je préconise à ceux qui croient à la violence d’apprendre le maniement des armes.»
Même au niveau du Droit international la question a été tranchée de manière claire et sans équivoque: «La Résolution 2621 XXV, du 12.10.1970 des Nations-Unies affirme ‘le droit inhérent des peuples coloniaux de lutter par tous les moyens nécessaires contre les puissances coloniales qui répriment leur aspiration à la liberté et à l’indépendance.’ Cette légitimation du droit à la résistance est confortée par l’article 1er §4 du premier protocole additionnel de Genève du 08.06.1977 aux termes duquel, parmi les conflits armés internationaux, figurent ceux ‘dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes’…»
Aussi, à tous ceux qui s’imaginent toucher au summum de la pensée en continuant à prôner, quelles que soient les circonstances, que la non-violence serait indépassable, je conseillerais la lecture d’un récent ouvrage incontournable sur le sujet, écrit par Peter Gelderloos aux Ed. Libre : «Comment la non-violence protège l’État – Essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux»… Cela fera éclater cet espèce de tabou aisé d’une posture commode et qui, à l’observation s’avère toujours être celle d’une classe bourgeoise, bien à l’abri de toute forme de lutte et/ou de contestation contre l’oppression d’où qu’elle provienne.
Et derrière cette posture de principe, il faudrait avoir le courage et l’honnêteté de questionner ce qui la motive. En posant par exemple la question qu’une proche amie militante depuis toujours relevait : le sort de Gaza serait-il le même si en lieu et place d’une majorité musulmane il s’agissait d’une majorité chrétienne ?
Ainsi, toute militant qui affirme soutenir les aspirations du peuple palestinien à l’auto-détermination devrait s’interdire de se dresser en donneur de leçon et commencer par reconnaître le Hamas et les autres groupes armés en tant que résistants contre une puissance coloniale, laissant les Palestiniens choisir eux-mêmes les formes de leur résistance. Ce qui renvoie au camp d’en face en le reconnaissant clairement comme l’agresseur à combattre «par tous les moyens nécessaires» comme affirmé par le Droit international dans cette lutte pour l’auto-détermination.
Et dans le prolongement et pour être cohérent, il faut qu’à un moment du processus, la partition de la Palestine, origine du nettoyage ethnique auquel le régime sioniste procède depuis le début, soit remise sur la table et renégociée avec les principaux acteurs.
Dans l’article incriminé, la pauvreté de l’argutie est confondante et redondante dans la mesure où les mêmes plats de la «non-violence» sont resservis, en lieu et place de s’attarder plutôt sur une «critique» des choix que laisse cet odieux système colonial sioniste à une population qui a été occupée pendant des décennies, avant d’être encagée maintenant depuis bientôt 14 ans dans ce qui s’apparente à un camp de concentration, voire en périodes de bombardements, d’extermination.
L’auteur de ce papier devrait se rappeler que l’histoire nous apprend que seuls les peuples qui se sont révoltés de manière parfois violente quand ils n’avaient d’autres choix, ne se sont pas faits oublier. Tandis que d’autres comme les Amérindiens, après avoir été littéralement exterminés par les colons européens venus les piller, tentent de survivre «parqués en réserves», dans les pires conditions. Et sans doute les responsables du régime sioniste s’en sont-ils inspirés pour enfermer les Palestiniens à Gaza dans l’indifférence générale… jusqu’à l’oubli.
Au lieu d’une «critique» aisée sur le Hamas, il faudrait donc relever que c’est par des actes violents ayant ébranlé nos certitudes occidentales que le peuple palestinien se rappelle régulièrement à notre souvenir, refusant nos «sommets» et autres «conférences» qui ont l’art de nous donner bonne conscience en jouant aux généreux donateurs, plutôt que de prendre les décisions politiques courageuses obligeant le régime israélien de cesser ses pratiques criminelles en le condamnant et l’astreignant sans détour pour ses innombrables actes meurtriers, depuis la Nakba.
Et une fois ce courage affirmé, il faudra l’avoir jusqu’au bout et revenir sur l’erreur historique de la partition de la Palestine par l’ONU en novembre 1947 et entériné par la Résolution 181 qui donnait déjà 55% des terres aux juifs et les 45% qui restent aux Palestiniens alors que ces derniers étaient largement majoritaires dans leur propre pays.
D’aucuns diront que c’est inenvisageable et que cela suscitera des violences sans précédent pour beaucoup de juifs installés depuis des années en «Israël». Mais pourquoi cette violence ne devrait-elle être que le lot des Palestiniens qui ont été bafoués dans leurs droits depuis des décennies et que cela continue à être le cas?
Et pourquoi ne faire qu’une part du chemin en acceptant le retour à la «Ligne verte» qui, de toutes façons, provoquera des violences pour tous les juifs qui se sont arrogés le droit de s’installer où bon leur semble en terres palestiniennes ?
Par quelque bout que l’on prenne ce dossier, l’on se rend compte que «violence» il y aura puisqu’il est articulé sur une injustice fondamentale.
Mais puisqu’il s’agit manifestement d’une faute commise par les États qui ont participé à cette partition injuste de la Palestine, il faut qu’à présent et devant l’impossibilité de sortir de l’impasse qu’elle a provoquée, ces États s’engagent activement pour protéger un tel processus sur le terrain, et restent fermes et déterminés sur les moyens qu’ils mettront en œuvre pour démanteler ce qui a été mis en place et aider à reconstruire un État palestinien où pourront vivre tous ceux qui le désireront dans le respect de chacun.
Si la Palestine bénéficie d’un tel soutien populaire à travers les peuples de la planète, c’est parce qu’elle illustre cet adage que les responsables politiques devraient méditer d’urgence avant de prendre leurs décisions dans d’autres dossiers: «Pas de paix sans justice!»
Auteur : Daniel Vanhove
1e juin 2021 – Transmis par l’auteur