Le 20 mars 2018 à partir de 18h30 la campagne BDS France Montpellier appelait à un rassemblement pour protester contre la programmation, au théâtre municipal Jean Vilar d’un spectacle israélien soutenu officiellement par le ministère de la culture israélien. Face à ce qui a été vécu par l’immense majorité des habitants du quartier populaire de La Paillade comme une provocation, BDS Montpellier avait sollicité pour ce rassemblement, la participation vidéo en direct et sur grand écran de deux Palestiniens : Bassem Tamimi, le père de Ahed Tamimi, la jeune palestinienne qui a giflé un soldat israélien venu envahir sa maison et qui a écopé de 8 mois de prison ferme pour cet acte et Haidar Eid, professeur de littérature à l’université de Gaza et coordinateur BDS de la Bande de Gaza. Tous deux ont témoigné de leur situation d’oppression et exprimé leur total soutien au boycott de ce spectacle et d’une manière plus générale ont encouragé les participants à s’engager dans les actions de BDS France. La police (municipale et nationale) mobilisée en surnombre face à un rassemblement non-violent avec de nombreux enfants a fait preuve d’arrogance, « nassant » sans cesse les participants-tes dans un périmètre de rassemblement de plus en plus petit. Néanmoins l’événement s’est déroulé comme prévu et la rencontre avec les Palestiniens invités a eu lieu.
Quatre militant-tes BDS munis-es de billets et qui voulaient faire une déclaration avant le début du spectacle se sont vus-es refuser l’accès au spectacle accusés-ées préventivement ( !) de risquer provoquer des troubles à l’ordre public. C’est révélateur de la nature sélective de la prétendue ouverture au dialogue de la direction du théâtre. Précisons enfin qu’au moment même où les quatre militant-es BDS se faisaient refouler par la police, l’ex président AFPS34 , la nouvelle présidente et une poignée de militant-tes AFPS34 sont passés-ées devant les BDS sans un mot de solidarité et sans aucune difficulté puisqu’ils avaient organisé avec le directeur du théâtre Le « dialogue » avec le réalisateur à la fin du spectacle rappelons-le, soutenu par le ministère de la culture israélien. Dialogue que le directeur du théâtre a ouvert en précisant que l’échange ne devait pas aborder les problèmes politiques, ni parler de ce qui se passait dehors… La collaboration était totale.
Le BDS palestinien, en rupture avec la stratégie d’Oslo de part ses trois revendications (fin de la colonisation, retour de réfugiés et égalité absolue pour les Palestiniens d’israël) soulève les questions de fond et impose un remaniement en profondeur de la stratégie du mouvement de solidarité à la Palestine. Ce qui s’est passé le soir du 20 mars à La Paillade, a mis en évidence deux conceptions de la solidarité à la Palestine qui renvoient plus largement à deux visions du monde.
Deux mondes…
Dans le théâtre Jean Vilar, il y avait un monde protégé par la police municipale et nationale en armes, la même qui en France multiplie les contrôles au faciès, qui violente les jeunes des quartiers populaires, les « flingue » en toute impunité, qui harcèle les réfugiés-ées et fait la chasse aux sans papiers… Un monde confortablement installé dans des fauteuils de velours rouge, bien au chaud, se distrayant avec un spectacle dans lequel le problème de la Palestine sert de décor et de faire valoir. Un spectacle détourné au profit de la propagande de l’État d’apartheid israélien, État voyou qui viole avec arrogance le droit international et les droits humains.
Dehors dans la rue, au froid et au vent, progressivement parqué et acculé dans un espace de plus en plus restreint par une police agressive et arrogante, armée jusqu’aux dents, casques et boucliers sous la main, il y avait un autre « monde ». Un monde de papas, de mamans et d’enfants du quartier, beaucoup de mamans, beaucoup d’enfants. Un monde – non-violent – venu exprimer sa chaleureuse solidarité aux Palestiniens-nes et sa détestation du racisme et de l’apartheid. Un monde pour qui les vies humaines et celles des enfants en particulier l’emportent sur n’importe quelle autre considération, tout simplement.
Le monde confortablement assis est sourd aux appels palestiniens qu’il méconnait ou ignore délibérément. Convaincu de la supériorité des valeurs occidentales et à mille lieux des réalités vécues par les palestiniens, il pense, analyse et décide ce qui est bon pour les pauvres palestiniens. Confondant charité paternaliste et solidarité, il se targue d’agir pour eux, pour leur bien.
Le monde de la rue, à La Paillade, largement issu de l’immigration coloniale, est sensible aux réalités palestiniennes car ce sont des réalités qu’il a partagé et qu’il partage aujourd’hui encore. Par l’expérience directe ou la transmission mémorielle il connaît les méfaits de la colonisation, l’emprisonnement, la torture et la « Hogra » : le mépris et l’humiliation inhérents aux rapports coloniaux. Ce soir là, il est confronté, une fois de plus, à la violence de la « gestion coloniale des quartiers populaires». Le combat des Palestiniens est intimement lié au sien, il n’agit pas pour les palestiniens, il se bat ici, avec les palestiniens là-bas, pour les mêmes valeurs de Liberté, de Justice et d’Égalité.
Le monde bien au chaud est pour le « dialogue », pour « l’ouverture », pour la « liberté d’expression » sans doute aussi pour «Les Lumières» et … le racisme d’époque qui les constituent. C’est pourquoi ils aiment le « dialogue» par dessus tout, même avec l’État d’apartheid. C’est un monde qui ne remet pas en cause l’existence d’un État juif, exclusivement pour les juifs, qui se développe officiellement depuis la création de l’État d’Israël, au prix du nettoyage ethnique que la colonisation de peuplement engendre. Au prix du lent génocide des Palestiniens de la Bande de Gaza et de bien d’autres crimes …
Le monde qui affronte ici, quotidiennement, le racisme d’État et ses discriminations a vite compris que l’appel BDS palestinien est un appel à « combattre » – de façon non-violente- toutes les manifestations, apparitions et présences étatiques, économiques, culturelle, académiques et sportives de l’État d’apartheid. Car le sionisme c’est l’apartheid, c’est à dire la «séparation », il ne porte en lui aucune possibilité de dialogue car il vise la pureté par l’exclusion systématique de ce qui n’est pas juif. Que le prétendu « dialogue » des accords d’Oslo n’était qu’un « enfumage » destiné à masquer la continuation du nettoyage ethnique.
Le monde de la charité n’a pas hésité à tourner le dos aux résistants Palestiniens invités par skype sur grand écran le 20 mars à 20h heure, au même moment que le spectacle israélien. Sous protection policière et derrière les grilles fermées il a assisté, sans hésiter à un spectacle que ces résistants palestiniens appelaient à boycotter. Le monde de la charité a jugé plus important et bien sûr, plus utile pour la cause palestinienne, d’aller voir un spectacle promu par Israël et d’en discuter à la fin avec un artiste qui a déclaré pour toute justification : «Qu’un artiste a besoin de subventions pour vivre ». Sans doute, mais à n’importe quel prix ? Au prix d’un contrat qui en fait un instrument de la « hasbara » israélienne ? L’aveu est accablant. Le monde de la charité parmi lesquels certains organisent des rassemblements pour les prisonniers palestiniens (!) n’a pas daigné tendre l’oreille aux propos de ces résistants palestiniens sur les prisonniers.
Le monde de la solidarité est venu pour rencontrer ces Palestiniens. Malgré leur situation dramatique, fille et femme emprisonnées ainsi que d’autres membres de la famille pour Bassem Tamimi, père de l’héroïque Ahed Tamimi, le blocus terrible et l’impossibilité de déplacement pour Haidar Eid et ses frères et sœurs de Gaza, ils ont témoigné de leur situation et ont réaffirmé combien cette initiative et combien tous les boycotts sont importants et combien le BDS est aujourd’hui la meilleure façon de soutenir le peuple palestinien et l’aider à se débarrasser de l’apartheid israélien.
Le monde de la solidarité fraternelle, plein de respect et d’admiration pour la force morale et la dignité de ces héroïques militants à la fois si simples et humbles, s’est senti tellement honoré de leur présence qu’il en a été profondément touché et renforcé dans sa détermination. Car ce sont des palestiniens, de leur courage, de leur stratégie, de leur direction du BDS international que ce monde de la solidarité tire la légitimité de ses engagements et de ses actes.
Alors le monde de la solidarité, acteur et non spectateur de cet événement de rue, assis à même le bitume ou debout, a oublié le froid et le vent, le spectacle et ses spectateurs-trices, la police et sa hargne, le racisme et l’islamophobie pour fabriquer et partager, sans subvention aucune, un intense moment fait d’humanité et de fraternité dans et pour la lutte contre l’apartheid.
27 mars 2018 – BDS 34