Par Ramzy Baroud
« Tout ce que nous pouvons donner à Gaza est notre dou’a, nos prières ». On entend très souvent cette phrase chez les Arabes et les Musulmans saisis de fureur mais aussi d’impuissance face au génocide que commet là-bas Israël.
Mais est-il vrai que les prières et les supplications sont seules possibles alors que des dizaines de milliers de Palestiniens sont broyés par la machine de guerre israélienne ?
Non, beaucoup de choses peuvent être faites et elles sont déjà faites par d’innombrables personnes de par le monde.
Dans la tradition des Hadiths, les paroles attribuées au Prophète Mohamed, voici celle qui est le plus souvent citée pour appeler à l’action individuelle ou collective devant les situations d’injustice : « Quiconque parmi vous voit le mal, qu’il le combatte avec ses mains. S’il ne peut pas, qu’il le fasse avec sa langue et s’il ne peut pas encore, qu’il le fasse avec son cœur, témoignant là de la foi la plus faible. »
La Dou’a est une invocation adressée par le cœur. C’est une conversation du Musulman avec Dieu, qu’elle prenne forme verbale ou non. Dans les prières collectives et particulièrement dans le sermon du vendredi ou tout au long du Ramadhan, pour ne citer que ces occasions, la Dou’a peut-être accomplie collectivement.
La Dou’a collective porte l’aspiration la plus forte de tout groupe de Musulmans, que ce groupe soit une petite communauté ou une nation. Gaza, la Palestine, la mosquée d’el Aqsa sont parmi les grandes causes pour lesquelles les Musulmans supplient Dieu de les aider.
« Ô Allah, nous Te supplions de libérer la Mosquée el Aqsa », « Ô, Le Miséricordieux, protège les enfants de Gaza » , « Ô Le Tout-Puissant, libérez les Palestiniens de l’injustice » sont quelques unes des Dou’a prononcées par des millions de gens de la Mecque à Médine, de Jérusalem à Kuala Lumpur, dans chaque mosquée et par chaque Musulman à travers le monde.
Dans la Dou’a, l’homme est en relation directe avec la Toute-Puissance de Dieu. Ni sa pauvreté aussi extrême soit-elle, ni sa faiblesse ni les épreuves qu’il traverse ne peuvent l’empêcher de transcender toutes les relations terrestres pour s’adresser sans intermédiaire à la plus haute autorité qui soit.
« Votre Seigneur a dit , appelez-moi et je vous répondrai » (Sourat Ghafir, verset 60).
Ceci ne veut pas nécessairement dire que la Dou’a constitue un dernier recours. Elle ne se substitue pas à l’action, elle va avec l’action à laquelle elle donne plus de force. Dans la Dou’a collective, les âmes, mues par les mêmes grandes aspirations de paix, de justice et de compassion, communient pour s’adresser dans le même élan à Dieu.
La coupure entre l’élan du cœur et l’action à laquelle nous assistons trop souvent, a pour cause le sentiment très répandu qu’aucune action, qu’elle soit individuelle ou collective, petite ou grande ne peut être entreprise pour sauver Gaza de l’horrible sort qui lui est infligé. Il restera alors la Dou’a privée d’action.
J’ai visité l’Afrique du Sud plusieurs fois dans le passé et chaque fois, j’apprends énormément de choses. J’ai appris que le pouvoir du peuple est beaucoup plus puissant dans le long cours que l’oppression se donnant forme de pouvoir d’Etat. J’ai aussi appris qu’aucune loi terrestre, particulièrement quand elle cherche à imposer l’apartheid raciste, ne peut résister à notre rejet inné de l’injustice.
J’ai aussi appris que quand les peuples se lèvent, aucune force ne peut les arrêter.
Cette vérité s’est confirmée hier en Afrique du Sud dans la lutte anti-apartheid et elle se confirme encore aujourd’hui en Palestine , particulièrement à Gaza. Elle a puissamment été dite il y a un siècle par le grand poète tunisien Aboul Kacem Echabbi.
Quand un jour le peuple décidera de vivre
Force sera au destin de consentir
A la nuit de se dissiper,
Et aux chaînes de se briser
Ces mots puissants furent accompagnés d’une mise en garde qui résonne encore aujourd’hui, de choses redoutables à venir : « Ceux qui ne répondent pas à l’appel de la vie/S’évanouiront dans son souffle pour être jetés dans le néant », écrivit-il avant de mourir à l’âge de 25 ans.
L’Afrique du Sud et Gaza n’ont pas ignoré l’appel de la vie. Toutes les tentatives pour écraser ces peuples, que le combat a grandi, continuent d’échouer. Il sont là, tombent, se relèvent et continuent de se battre.
J’ai toujours eu la conviction que l’Afrique du Sud avait un rôle central dans la solidarité internationale avec le peuple palestinien. Mais sincèrement, je ne savais pas que cette solidarité était aussi ancrée dans son être, qu’elle soit animée d’une volonté aussi farouche – une volonté jamais vue auparavant – de pousser Israël à rendre compte de ses crimes en Palestine.
L’action de Prétoria visant à mettre Israël et ses criminels de guerre dans le banc des accusés devant la Cour Internationale de Justice et la Cour Pénale Internationale suit son cours, déterminée et imperturbable.
La force du soutien de l’Afrique du Sud au combat du peuple palestinien pour la justice ne vient pas de sa puissance militaire, économique ou politique mais de sa volonté en tant que nation et en tant que gouvernement de traduire par l’action résolue son aspiration à un ordre international régi par le Droit, un ordre plus équitable et plus juste.
L’Afrique du Sud aurait pu, pour justifier l’inaction, se réfugier dans l’auto-apitoiement qu’affectionnent les faibles qui se complaisent dans leur statut de faibles. Elle aurait pu se contenter d’assister impuissante aux actions de soutien menées par les puissances occidentales à l’entreprise génocidaire d’Israël.
Elle ne l’a pas fait, elle s’est déterminée clairement et a agi.
Elle est allée bien au delà des prières, invocations et supplications motivées par le sentiment d’impuissance. Elle a mobilisé tout son poids moral et diplomatique dans un combat judiciaire immense, jamais égalé auparavant devant les instances judiciaires internationales.
Tout cela contre l’injustice occidentale et la brutalité israélienne. Tout cela en faveur d’une cause qu’elle sait juste, la cause palestinienne
Le sentiment d’impuissance n’a pas de raison d’être devant un crime aussi énorme.
Gaza n’a pas renoncé à résister de toutes ses forces, pourquoi devrions-nous continuer à ne la soutenir qu’avec notre coeur ?
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
12 mars 2024 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Najib Aloui