Par Sally Hayden
Les réfugiés et les groupes internationaux d’aide confirment le décès d’au moins 22 personnes depuis septembre dans le centre de détention de Zintan.
Des réfugiés et des migrants se trouvant dans le centre de détention de Zintan, dans le nord-ouest de la Libye, ont déclaré à Al Jazeera qu’ils se rassemblaient tous les matins devant une église de fortune pour prier pour leurs morts.
Le lieu de culte est fabriqué à partir de cartons d’emballage alimentaire et d’un matelas en éponge – coloré en rouge avec des bouts de serviettes, en vert avec des découpages de feuilles et en blanc avec du dentifrice Colgate, le tout distribué dans des paquets d’aide.
Au moins 22 migrants et réfugiés sont morts à Zintan depuis septembre dernier, selon des réfugiés et des membres du personnel d’organisations internationales en Libye.
Parmi les personnes décédées, il y avait un père et un fils gambiens décédés à quelques semaines d’intervalle, racontent d’autres détenus. La mère du garçon a survécu et a ensuite été relâchée, disent-ils.
Beaucoup de ceux qui sont décédés sont chrétiens et n’ont pas encore été enterrés à cause du manque de moyens relatifs aux inhumations non musulmanes. Certains corps ont été entreposés dans le centre de détention avant d’être transférés dans les morgues des hôpitaux locaux, où ils sont encore, selon les détenus et les travailleurs humanitaires.
Les employés d’organisations internationales travaillant en Libye ont refusé de commenter cet enregistrement car ils risquaient de perdre l’accès au centre de détention situé à 180 km au sud-ouest de Tripoli, qui est apparemment sous le contrôle du “Département libyen de la lutte contre la migration illégale”. Sous couvert d’anonymat, l’un d’entre eux a qualifié le nombre de décès de « scandale majeur ».
Les autorités libyennes n’ont pas répondu à plusieurs demandes de commentaires.
Les détenus encore à Zintan ont fourni à Al Jazeera une liste des noms, photos et nationalités de la plupart des morts. Un grand nombre de ceux qui sont décédés avaient été renvoyés en détention pour une durée indéterminée par les garde-côtes libyens, qui bénéficient d’un soutien de l’UE, après qu’ils aient tenté de rejoindre l’Europe en traversant la mer Méditerranée.
L’UE fournit formation et équipement aux garde-côtes libyens depuis deux ans dans le but de contrecarrer les passeurs et de freiner la migration vers l’Europe, dans le cadre d’un accord maintes fois condamné par des groupes de défense des droits de l’homme.
Des centaines de réfugiés et de migrants ont été transférés de Tripoli à Zintan en septembre dernier, après que des centres de détention de la capitale se soient retrouvés au milieu des affrontements.
La région est difficile d’accès depuis Tripoli en raison de problèmes de sécurité sur la route, notamment de combats entre milices rivales.
Les détenus à Zintan affirment que l’aide médicale fait défaut et que, ces dernières semaines, les médecins de l’International Medical Corps, l’organisation chargée des soins de santé à Zintan, ont rendu visite aux réfugiés et aux migrants uniquement à travers une petite fenêtre, sans entrer dans le hall où ils sont détenus.
Auparavant, seuls quelques détenus étaient autorisés à chaque visite à sortir voir des travailleurs de la santé, tandis que les autres étaient gardés sous clé, racontent-ils.
Les réfugiés et les migrants ont besoin d’être soignés pour la tuberculose, les infections thoraciques, l’anémie, la diarrhée et la gale, entre autres maux, mais on ne leur offre que du paracétamol et de l’ibuprofène.
« Pensez-vous que par ces méthodes, ils nous guériront ? » dit un homme érythréen.
L’International Medical Corps n’a pas répondu à une demande de commentaire.
Les détenus disent qu’ils sont nourris au maximum une fois par jour et que les robinets d’eau ne sont ouverts que 10 minutes le matin : le temps tout plus de verser une tasse d’eau pour chacun.
Plus tôt cette année, après que le nombre de corps a commencé à s’accumuler à Zintan, des dizaines de réfugiés parmi les plus malades ont été transférés dans un autre centre de détention à Gharyan, situé à 113 km au nord-est par la route, selon les détenus et le personnel d’organisations en visite.
Au moins sept des personnes qui ont été déplacées sont également décédées depuis, selon certaines sources, y compris une femme qui aurait fui Gharyan.
« Nous avons besoin d’une aide urgente »
Le centre de détention de Zintan n’a pas été construit pour servir d’hébergement : la salle réservée aux réfugiés était autrefois utilisée pour stocker des récoltes. Il y a actuellement sept toilettes pour plus de 500 personnes.
Un homme érythréen détenu sur place, qui a communiqué avec Al Jazeera en utilisant un téléphone caché et a demandé à ne pas être nommé, par crainte de représailles, a lancé un appel.
« En ce moment, nous avons besoin d’une aide urgente. Nous sommes dans de très mauvaise conditions », a-t-il déclaré.
Un autre Erythréen a déclaré: « Nous sommes malades, nous avons faim et nous mourons, et nous sommes exposés à différentes maladies. Combien de personnes meurent dans ces détentions indicibles ? »
L’homme a ajouté que des dizaines de personnes avec lui avaient la tuberculose. Quatre détenus ont tenté de se suicider en saisissant un fil électrique traversant le hall avant que l’électricité ne soit coupée il y a trois semaines. Les autres détenus ont lié leurs mains pour les empêcher de réessayer, dit-il encore.
Sur des photos et une vidéo envoyées à Al Jazeera, on peut voir une grande pile de déchets dans une partie de la salle, avec des insectes qui la parcourent.
Une autre photo montre des détenus qui protestaient en écrivant sur un matelas en éponge avec du concentré de tomate : « Nous avons besoin d’une aide d’urgence », « Nous sommes des réfugiés innocents » et « Nous sommes en train de mourir de faim ».
Lundi, 96 personnes ont été transférées de Zintan au centre de rassemblement et de départ de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés à Tripoli.
Dans une déclaration à Al Jazeera, un porte-parole du HCR s’est déclaré « profondément préoccupé x par les informations faisant état de décès à Zintan, et il a qualifié les conditions de désastreuses.
« Les espaces de vie sont gravement surpeuplés et manquent de ventilation. Dans certaines parties du centre, les toilettes débordent et doivent être remises en état de toute urgence. En conséquence, des déchets solides et liquides se sont accumulés dans la cellule depuis des jours et constituent un grave menace pour la santé [des détenus]. »
Plus de 650 personnes sont toujours dans le centre de détention de Zintan, selon le HCR.
« Beaucoup de gens sont morts en peu de temps. Même nous, nous sommes sur le point de mourir », a déclaré l’un des Erythréens laissés pour compte. « Nous sommes des victimes, nous avons besoin d’une vie en sécurité, nous avons besoin de nos droits. Pour nous, c’est une histoire très sombre. Nous avons peur, nous souffrons émotionnellement, psychologiquement. »
Les réfugiés et les migrants continuent d’être interceptés en Méditerranée et amenés dans des centres de détention à un rythme beaucoup plus rapide que leur évacuation.
En mai, les garde-côtes libyens ont renvoyé 1224 personnes en Libye, soit plus que de janvier à avril.
Auteur : Sally Hayden
7 juin 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine