Une interview de Mustafa Barghouti : la défaite israélienne à Gaza, la normalisation saoudienne, la guerre en Cisjordanie

p><Mustafa Barghouti, secrétaire général du Palestinian National Initiative - Photo : capture vidéo

Par Jeremy Scahill, Sharif Abdel Kouddous, Mustafa Barghouti

Le leader politique palestinien est interviewé par Drop Site à la veille d’un nouvel échange de captifs.

Drop Site News : Des milliers de Palestiniens déplacés au sud de la bande de Gaza par le régime d’occupation israélien se préparent à retourner dans le nord ce week-end, pour la première fois depuis des mois. Selon les termes de l’accord de « cessez-le-feu » entré en vigueur dimanche, les Palestiniens seront autorisés à se rendre à pied vers le nord en empruntant une route côtière d’où les troupes israéliennes devraient se retirer.

Les Palestiniens pourront également revenir en véhicule ou en charrette à âne par une autre route, la route de Salah al-Din, mais ils seront soumis à des inspections par des entreprises de sécurité privées, y compris des entreprises de sécurité américaines.

Pendant la guerre génocidaire, l’armée israélienne a coupé la bande de Gaza en deux avec ce qu’elle a appelé le corridor de Netzarim, une zone militaire de sept kilomètres de large et d’est en ouest, où les militaires israéliens ont installé des bases après avoir évacué de force les habitants et démoli toutes les constructions.

« La question du retour des habitants du sud vers le nord est cruciale, car elle contrecarre l’objectif de l’agression israélienne à Gaza », a déclaré Mustafa Barghouti, secrétaire général de l’Initiative nationale palestinienne et homme politique de premier plan, lors d’une longue interview accordée à Drop Site News. Barghouti, qui est un ancien candidat à la présidence et a été élu au parlement en 2006, a participé à des discussions avec les principaux partis politiques palestiniens, dont le Hamas, à Doha récemment.

Mustafa Barghouti : « L’agression israélienne, ces 15 derniers mois, n’avait qu’un seul but : le nettoyage ethnique de la population palestinienne de Gaza. Netanyahu n’a pas caché ses intentions ; il a toujours dit qu’il voulait vider la bande de Gaza de ses habitants palestiniens, en les tuant et en les bombardant pour les forcer à partir en Égypte, dans le Sinaï, mais il a échoué et la population a fait preuve d’un grand héroïsme en restant inébranlable sur sa terre.

« Netanyahu a pratiquement détruit quatre villes du nord – il a détruit Jabaliya, le camp de Jabaliya, Beit Lahia et Beit Hanoun – mais la résistance a survécu, et les habitants n’ont pas cédé et ils se battent toujours au bout de 15 mois de destruction », a déclaré Barghouti.

« Maintenant, [Netanyahu] est obligé de les laisser rentrer s’il veut récupérer ses captifs. Le retour des Palestiniens au nord de la bande de Gaza, une zone qu’Israël voulait entièrement dépeupler, sera l’ultime défaite des plans israéliens, car cela signifie que l’objectif de nettoyage ethnique n’a pas été atteint ».

Drop Site News : Le bilan confirmé de l’assaut génocidaire israélien, qui dure depuis 15 mois, s’élève à plus de 47 000 morts et, malgré l’arrêt récent des bombardements israéliens, il continue de s’alourdir chaque jour, à mesure que les Palestiniens exhument les corps et les restes de leurs proches ensevelis sous les décombres.

Peu après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, Israël a lancé une vaste campagne militaire en Cisjordanie, baptisée « Opération mur de fer ». Des ministres israéliens et des médias ont laissé entendre que cette campagne militaire s’inscrivait dans le cadre d’un accord conclu par Netanyahu avec son cabinet avant le cessez-le-feu à Gaza. Mardi, les chars et les troupes israéliens ont pris d’assaut Jénine et le camp de réfugiés de Jénine, avec le soutien des frappes aériennes, des drones et des hélicoptères Apache. Au moins 14 personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées à Jénine.

Les forces israéliennes brûlent et détruisent les maisons des Palestiniens, procèdent à des arrestations massives et déplacent de larges pans du camp de réfugiés de Jénine, où quelque 2000 familles ont été contraintes de quitter leur foyer. Dans toute la Cisjordanie, les soldats israéliens ont effectué des raids dans plusieurs villes et villages, fermé les points de contrôle et bouclé les entrées des grandes villes, tandis que les colons israéliens se sont déchaînés, attaquant les habitants et incendiant les maisons et les véhicules des Palestiniens.

Mustafa Barghouti : « Ce que l’on voit en Cisjordanie est une escalade de ce qui se produisait déjà auparavant, mais il s’agit maintenant d’une escalade très importante. C’est en fait une véritable guerre qui est menée contre le peuple palestinien en Cisjordanie », a déclaré Barghouti. « C’est une situation très dangereuse, sans précédent depuis 2002, lorsque l’armée israélienne a réinvesti toutes les villes et tous les villages de Cisjordanie. »

Drop Site News : À Washington, le premier dirigeant étranger que le président Trump a appelé jeudi, après son élection, a été le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman. Bin Salman a déclaré à Trump que l’Arabie saoudite avait l’intention d’augmenter ses investissements et ses échanges commerciaux avec les États-Unis d’au moins 600 milliards de dollars au cours des quatre prochaines années, selon l’agence de presse officielle saoudienne.

L’une des principales priorités de l’administration Trump au Moyen-Orient est de persuader l’Arabie saoudite d’adhérer aux accords d’Abraham et de normaliser ses relations avec Israël. Si les Saoudiens parviennent à un accord avec Israël, de nombreux analystes de la région pensent que d’autres nations musulmanes, dont l’Indonésie, leur emboîteront le pas. Les diplomates saoudiens ont affirmé qu’ils ne normaliseraient pas leurs relations avec Israël tant qu’il n’y aurait pas un accord précis sur la création d’un État palestinien.

Mustafa Barghouti : « La normalisation a été utilisée comme un instrument pour imposer aux Palestiniens une solution qui ne répond pas à nos besoins ou à notre avenir, et elle a été utilisée comme un instrument pour liquider complètement la question palestinienne », a déclaré Barghouti, en faisant référence aux accords conclus durant le premier mandat de Trump.

Drop Site News : Trump s’est néanmoins montré optimiste quant aux perspectives de normalisation avec les Saoudiens, déclarant aux journalistes lundi : « Je ne pense pas qu’il faille les pousser. Je pense que cela va arriver, mais peut-être pas tout de suite. Mais ils finiront par se retrouver dans les accords d’Abraham ».

Selon Barghouti, si les Saoudiens normalisent leurs relations avec Israël et abandonnent la question de la création d’un État palestinien, cela ne changera rien à la lutte pour la libération nationale et l’autodétermination.

Mustafa Barghouti : « Permettez-moi de vous dire quelque chose, en tant que Palestinien qui suit cette situation depuis tant d’années et qui a été témoin du déclin du soutien des pays arabes et musulmans à la cause palestinienne et qui a constaté un terrible manque de soutien lors de l’attaque contre Gaza et la position inique de très nombreux pays de la communauté internationale, sans que cela nous fasse jamais renoncer », a déclaré Barghouti.

« Je vous assure que même si tous les pays arabes normalisent leurs relations avec Israël, cela n’arrêtera pas la lutte des Palestiniens. Nous ne nous arrêterons pas et nous continuerons parce qu’honnêtement, nous n’avons pas grand-chose à perdre et la lutte est notre seul moyen de survivre.

« Je ne considère plus la question palestinienne comme une question purement arabe ou islamique », a-t-il poursuivi, » c’est une question d’humanité. C’est la question qui doit préoccuper toutes les forces qui, dans le monde, soutiennent le droit des gens à la liberté, comme l’a dit un jour Nelson Mandela – la cause palestinienne est devenue la première cause de liberté dans le monde.

« Je pense que nous devrions envisager les choses de cette manière. Nous ne voulons pas de la normalisation, nous lutterons contre elle jusqu’à ce que nous obtenions notre liberté. Mais même si elle se produit, cela n’arrêtera pas notre combat ».

Auteur : Sharif Abdel Kouddous

* Sharif Abdel Kouddous est un journaliste indépendant qui a réalisé des reportages dans le monde arabe, aux États-Unis et à l'international. Il a reçu un prix George Polk pour son enquête sur l'assassinat de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh, un Emmy Award pour sa couverture de l'interdiction de voyager pour les musulmans décrétée par l'administration Trump, et un Izzy Award pour sa couverture de la révolution égyptienne de 2011. Son travail a été publié et présenté dans The Nation, Washington Post, Los Angeles Times, Foreign Policy et Democracy Now.