Téhéran, Iran – Portant une perruque blonde, une cravate rouge et un costume bleu mal ajusté, un homme légèrement en surpoids a pris la scène et a commencé à animer la petite foule comme si elle était dans un rassemblement de campagne électorale.
Mais ce n’était pas le bon rassemblement.
Tandis que l’imitateur grassouillet souriait et faisait signe aux voitures qui passaient, un autre homme est entré sur scène pour lui annoncer la nouvelle : c’était Téhéran, la capitale iranienne, et non une ville des États-Unis.
Troublé, Donald Trump – dans cette version iranienne improvisée – laissa involontairement échapper un cri et partit en courant pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Le bref sketch sur le président américain insufflait une pointe d’humour aux événements qui se déroulaient à quelques mètres à peine, où des milliers de personnes se sont réunies dimanche pour marquer le 39e anniversaire de la Journée de l’étudiant.
Tenu chaque année, ce rassemblement soutenu par le gouvernement commémore un moment crucial de l’histoire de la République islamique, lorsque des étudiants des universités soutenant l’ayatollah Ruhollah Khomeiny, ont pris d’assaut les portes de l’ambassade américaine, fait prisonniers 52 américains et déclenché une crise de prise d’otages longue de 444 jours.
L’événement de 1979 avait provoqué une rupture complète des liens entre Washington et Téhéran et a marqué le début d’une longue période d’hostilité entre les deux pays.
Cette année, les commémorations dans l’ancienne ambassade des États-Unis au cœur de Téhéran ont eu lieu quelques heures avant l’échéance fixée pour le renouvellement des sanctions imposées par les États-Unis, qui avaient été [partiellement] levées en 2015 dans le cadre d’un accord multinational sur le nucléaire.
Le pacte, négocié depuis des années par des diplomates du monde entier, est maintenant suspendu à la suite de la décision controversée de Trump en mai dernier de retirer unilatéralement la signature des États-Unis et de réimposer des sanctions à l’Iran.
Par une seule signature de Trump, la bonne volonté établie entre les Iraniens et le reste du monde s’est écroulé en quelques mois.
“Ne menacez jamais l’Iran”
Lundi, trois mois après le retour de la première vague de sanctions américaines, l’Iran est frappé par la deuxième série de mesures – qui aura le plus de poids – qui lui interdira de vendre du pétrole librement sur le marché international.
Sans surprise, la réimposition des sanctions pesait lourdement sur le rassemblement de dimanche, où des manifestants de tous horizons ont scandé d’une seule voix le slogan anti-américain bien connu, “Death to America”.
Le chef de l’armée iranienne, le général Mohammad Ali Jafari, du corps des Gardiens de la révolution, a profité de son discours lors du rassemblement pour mettre Trump en garde de ne pas aller trop loin avec Téhéran.
“Je veux dire quelque chose à l’Amérique et à son bizarre président”, a déclaré Jafari.
“Ne menacez jamais l’Iran, car nous entendons encore aujourd’hui les cris de terreur de vos soldats dans le désert […] et vous le savez mieux que nous combien de vos anciens soldats dans la société américaine se suicident chaque jour à cause de la dépression et de la peur qu’ils ont subies sur les champs de bataille.
“Alors, ne nous menacez pas militairement, ne tentez pas de nous effrayer avec des menaces militaires”, a-t-il ajouté.
L’année dernière, Téhéran a accusé Trump de mener une “guerre économique” et de vouloir dévaster son économie.
Dans son discours, Jafari a assuré à la foule que les attaques de Trump sur l’économie iranienne constituaient une tentative désespérée de vaincre la république – une tentative vouée à l’échec.
Mais son ton optimiste contraste avec le chaos économique généralisé que l’Iran a connu au cours des 12 derniers mois, avec notamment une chute de la valeur de sa monnaie, un remaniement de l’équipe économique du président Hassan Rouhani – qui a démis de ses fonctions plusieurs ministres – et des manifestations à l’échelle nationale contre les hausses de prix et les conditions économiques difficiles.
Hostilité envers Washington
Que Téhéran choisisse ou non de rester lié à l’accord de 2015 sur le nucléaire, les Iraniens sont en colère et disent que le prochain président américain ne sera peut-être pas en mesure de rétablir le lien que Trump a rompu avec leur pays.
Dimanche, les Iraniens ont semblé abandonner les critiques de leur propre gouvernement sur la mauvaise gestion de l’économie et ont plutôt élevé leur voix pour exprimer le genre de mépris familier qui a fini par définir les relations de leur pays avec les États-Unis.
“Mon message aux États-Unis est qu’un grand nombre de leurs présidents précédents, avant l’entrée en fonction de Trump et leur imposition de nombreuses sanctions, ont également annoncé que ‘[toutes] les options [sont] sur la table’, mais rien ne s’est produit”, a déclaré une jeune femme qui n’a pas voulu donner son nom.
“Comme notre chef suprême l’a dit, nous voyons des signes du déclin de l’Amérique”, a-t-elle ajouté, faisant référence aux récents commentaires de l’ayatollah Ali Khamenei.
Faramarz, une employée du gouvernement, âgée de 48 ans, a déclaré qu’il n’y avait aucune chance que les États-Unis et l’Iran soient de nouveau amis. “C’est impossible”, dit-elle avec passion.
“C’est comme une amitié entre un mouton et un loup. Comment est-il possible d’être amis avec un ennemi qui a juré de détruire vos racines et votre religion et la révolution [islamique] ? L’Amérique comprendra enfin que tant que cette arrogance et que sa nature sauvage criminelle subisteront, pas seulement l’Iran mais n’importe quel pays libre ne l’acceptera pas.”
Parveen, une ingénieure en télécommunications âgée de 50 ans et vivant aux États-Unis, a déclaré que l’Iran avait eu raison d’envahir et de fermer le “nid d’espions”, une expression couramment utilisée par les Iraniens pour qualifier le bâtiment de l’ambassade américaine.
“Sinon, la révolution aurait été détruite et l’Amérique aurait contrôlé [l’Iran]”, a-t-elle ajouté.
“Je ne suis peut-être pas d’accord avec certaines politiques de l’establishment [iranien] mais je suis d’accord avec la politique étrangère du pays et je suis fier d’être iranienne”.
5 novembre 2018 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine