Par Jonathan Cook
Le parti Likoud de Benjamin Netanyahu a gagné les élections israéliennes de mardi, à égalité avec le parti Bleu et Blanc dirigé par Benny Gantz et d’autres généraux de haut rang. Bien que chaque parti dispose de 35 sièges au parlement de 120 sièges, Netanyahu est fermement confirmé dans son poste.
Les petits partis d’extrême droite et d’extrémistes religieux qui sont nécessaires pour constituer une majorité parlementaire n’ont pas tardé à déclarer leur soutien à Netanyahu. Cela lui permettra de mettre en place son quatrième gouvernement consécutif.
Netanyahu a maintenant tout loisir de choisir entre un gouvernement étroit avec ces partis d’extrême droite et un gouvernement d’unité nationale de droite avec Gantz. Cette dernière option pourrait leur assurer les quatre cinquièmes des sièges de la Knesset israélienne.
Quelle que soit sa décision, à l’été, Netanyahu deviendra le Premier ministre israélien qui sera resté le plus longtemps en poste, battant le record établi par le fondateur d’Israël, David Ben Gurion.
La loi d’immunité
Le seul obstacle à l’horizon – à savoir les multiples accusations de corruption contre Netanyahu annoncées par le procureur général pendant la campagne – sera balayé dès que Netanyahu sera officiellement installé à la tête du prochain gouvernement par le président israélien Reuven Rivlin.
Les partenaires de la coalition de Netanyahu insistent pour voter une loi spéciale sur l'”immunité” – qui rendrait impossible l’inculpation d’un Premier ministre en exercice – avant de confirmer leur soutien à Netanyahu.
Bezalel Smotrich, de l’Union des partis d’extrême droite, a déclaré qu’une telle loi “donnerait aux membres de la coalition l’assurance que le prochain gouvernement restera en place pendant tout le mandat”.
Ils savent que Netanyahu, compte tenu de ses antécédents, est leur meilleur ticket pour un poste à long terme au gouvernement.
Et les électeurs de Netanyahu ont démontré qu’ils se moquaient pas mal qu’il soit corrompu, tant qu’il continue à promouvoir un programme suprémaciste juif.
Fiers du saccage de Gaza
C’est un grand succès pour Gantz d’avoir remporté autant de sièges que Netanyahu, étant donné qu’il présidait un tout nouveau parti dont le seul programme semblait être : “Il est temps de se débarrasser de Netanyahu.”
Cela montre qu’une partie importante de la société israélienne est fatiguée de Netanyahu, de la politique qu’il mène depuis dix ans et de sa corruption.
Mais cela souligne également la vénération inaltérable des Juifs israéliens pour leur armée et leur propension à appliquer des solutions exclusivement militaires aux problèmes politiques – en particulier, celui d’arriver à un compromis avec les Palestiniens et leur demande d’État.
Et cela n’a rien à voir, malgré ce qu’on entend dire, avec un désir des Juifs israéliens de revenir à une politique de gauche. Gantz et ses compagnons généraux ne sont en aucune sorte des colombes*.
De fait, le principal argument de vente du parti Bleu et Blanc a été le fait que Gantz avait pulvérisé Gaza en 2014, lorsqu’il était chef d’état-major de l’armée en charge de superviser une opération militaire qui a assassiné plus de 500 enfants palestiniens.
L’effondrement de l’opposition
La victoire de Netanyahu confirme deux évolutions dramatiques dans l’électorat : l’effondrement des camps qui s’opposaient à la droite, dans l’électorat juif, d’une part, et dans la minorité palestinienne, un cinquième de la population d’Israël, d’autre part.
À bien des égards, ce qu’il y a de plus choquant c’est que le Parti travailliste, qui a fondé Israël et l’a dirigé pendant des décennies, n’ait obtenu que six sièges. Cela le réduit au rôle d’un lobby.
Combiné aux quatre sièges du parti de gauche Meretz, cela donne en tout 10 sièges à ce que l’on appelle communément en Israël le “centre-gauche”. Selon un récent sondage réalisé par l’Institut israélien pour la démocratie, seuls environ 12 % des Juifs israéliens se disent de gauche.
Le Parti travailliste a peu de chance de se redresser. Si cela continue, les travaillistes et Meretz devront sans doute fusionner aux futures élections pour pouvoir franchir le seuil électoral.
La “menace de gauche”
Le fait que le Parti travailliste soit – faussement – considéré comme un parti de gauche est un héritage de ses liens originaux avec les partis socialistes européens et de sa mise en place d’une économie planifiée au cours des premières décennies d’Israël.
L’accent mis par les travaillistes sur la politique ethnique et la ségrégation communautaire – l’idée que les citoyens juifs et palestiniens devraient vivre et étudier séparément – lui aurait valu d’être classé comme un parti ultra-nationaliste n’importe où ailleurs qu’en Israël.
Néanmoins, dans le passé, les travaillistes se sont montrés prêts à renoncer à certaines parties des territoires palestiniens occupés, principalement pour qu’un Israël élargi – qui inclurait certaines des colonies illégales les plus importantes – puisse rester majoritairement juif. Et la politique des travaillistes a été plus modérée que celle de la droite, parce qu’ils se souciaient de l’image d’Israël à l’étranger.
Le fait que le centre de gravité de la politique israélienne se déplace toujours plus à droite, permet à Netanyahu de faire croire aux Israéliens que le Parti travailliste est un parti d’extrême gauche qui menace la survie de l’État juif.
“La destruction de l’État d’Israël”
On l’a vu lors de l’élection précédente, lorsque Netanyahu avait semé la terreur chez les électeurs juifs en clamant que les citoyens palestiniens allaient venir voter “en masse”, et en accusant mensongèrement la gauche de vouloir les “amener en bus” aux bureaux de vote.
Cette rhétorique a atteint de nouveaux niveaux d’absurdité – et de danger – dans la campagne électorale actuelle.
Netanyahu n’a pas cessé de répéter que le parti de Gantz – dominé par des généraux qui s’appuyaient sur leur bilan en matière de répression sécuritaire des Palestiniens – faisait partie du centre-gauche.
Netanyahu a prétendu qu’en votant pour Gantz, les électeurs ferait des partis israélo-palestiniens des faiseurs de rois dans le prochain gouvernement, ce qui aboutirait à l’ “élimination” de l’État d’Israël.
Un taux de participation historiquement bas
Les quatre partis palestiniens en lice, qui se présentaient cette fois-ci sur deux listes plutôt qu’en une seule liste commune, ont également connu des difficultés. Ils semblent qu’ils n’auront que six à dix sièges, contre treize dans la précédente Knesset.
Cela tient au fait que le taux de participation des citoyens palestiniens d’Israël a atteint un creux historique lors de cette élection, oscillant autour de 50%. La campagne a été la plus morose de toutes celles menées par la communauté palestinienne en Israël.
Les chiffres des sondages contrastent fortement avec les taux habituels de participation électorale de la minorité palestinienne, qui étaient de près de 90 % dans les années 1960 et de 75 % il y a à peine deux décennies. Aux élections locales d’il y a seulement quelques mois ils étaient de 85 %.
L’effondrement du vote marque la grande désillusion de la minorité palestinienne à l’égard de la politique nationale israélienne et sa prise de conscience que la rupture entre elle et la majorité juive est irréversible.
Des caméras cachées espionnent les électeurs
Cette prise de conscience vient du vote, l’été dernier, de la loi sur l’État-nation, qui stipule explicitement qu’Israël est un État appartenant exclusivement aux Juifs, et non à tous les citoyens israéliens. Cette loi a scellé le statut de spectateur indésirable de la “démocratie juive” de la minorité palestinienne.
Comme l’a fait remarquer un analyste palestinien au quotidien Haaretz, la politique israélienne ressemble aujourd’hui à un jeu de football pervers, que se disputerait deux équipes juives avec comme ballon les citoyens palestiniens. “Tout le monde nous donne des coups de pied et aucune des deux équipes ne veut de nous”, a-t-il dit.
Netanyahu en a donné un exemple le jour même des élections, au cours d’une de ses tirades agressives contre la minorité palestinienne. Il a dépêché plus de 1 000 militants armés de caméras cachées pour filmer les bureaux de vote dans les communautés palestiniennes.
C’était une violation flagrante des lois électorales israéliennes. Mais la publicité autour de la confiscation des caméras par la police a été du pain béni pour la politique de terreur de Netanyahu. Il a défendu cette décision en affirmant que l’élection était “casher”, le terme utilisé pour désigner les aliments qui sont conformes aux lois juives sur la nourriture.
Comme dans ses précédentes sorties, il a clairement laissé entendre que la présence même des électeurs palestiniens subvertit un processus démocratique destiné uniquement aux Juifs, et que l’extrême droite qu’il représente est la seule capable de protéger l’État juif.
Les partis palestiniens ostracisés
On ne peut cependant pas blâmer Netanyahu à lui seul pour cet état de fait. Auparavant, le Parti travailliste, et désormais le parti des généraux de Gantz, avaient collaboré au récit soigneusement élaboré de Netanyahu, en présentant les citoyens palestiniens comme une cinquième colonne.
Gantz s’est régulièrement distancé des partis palestiniens en réponse aux incitations de Netanyahu contre les citoyens palestiniens, en jurant de ne siéger qu’avec des partis “juifs et sionistes”.
En faisant cette promesse, il a certes tiré une balle dans la tête de la minorité palestinienne, mais il s’est aussi tiré une balle dans le pied. Car il a laissé entendre qu’il n’avait aucun espoir d’avoir assez de sièges pour pouvoir former un gouvernement.
Aujourd’hui, il semble que les 1,8 million de citoyens palestiniens d’Israël aient bien compris la situation : tous les partis juifs, à l’exception du parti Meretz qui compte quatre sièges, ont cessé d’exiger le respect de leurs droits politiques légitimes au sein d’un État juif.
Le chantage à l’annexion
Il y a quelques autres conséquences importantes à noter.
Les partis extrémistes religieux sont maintenant les faiseurs de rois à droite. A eux tous, ils ont remporté plus d’un sixième du Parlement. Netanyahu en aura presque certainement besoin au sein de son gouvernement, et ils exigeront des ministères qui ont une influence sur la société, accélérant encore le passage au fondamentalisme religieux en Israël.
Dans la période précédant les négociations pour former la coalition, l’un de ces partis représentant les colons religieux a déjà exigé qu’on lui confie les ministères de l’éducation et de la justice.
Netanyahu est également en position de faiblesse pour résister – en supposant qu’il le veuille – aux demandes des partis d’extrême droite d’entamer le processus d’annexion officielle de pans importants de la Cisjordanie.
Les médias suggèrent déjà que ces partis d’extrême droite demanderont des annexions d’une forme ou d’une autre en échange de leur vote de la loi d’immunité qui protégera Netanyahu des poursuites pour corruption.
C’est ce qui explique pourquoi, dans les derniers jours de la campagne, il a promis d’annexer des territoires de la Cisjordanie où se trouvent les colonies.
Alors qu’il devenait clair, mardi, que Netanyahu allait se maintenir au pouvoir, il a fait un discours typique du politicien à la langue fourchue qu’il est. Il a dit : “Je veux être le premier ministre de tous les citoyens d’Israël, de droite et de gauche, juifs et non-juifs.”
Pour les gens de l’extérieur, cela peut sembler un discours de conciliation. Pour ceux en Israël qui connaissent Netanyahu, cela ressemblait davantage à la menace d’un homme qui sait qu’il n’y a personne en Israël – de droite ou de gauche, juif ou non juif – en mesure de résister à ses diktats.
Note :
* Les faucons de droite dure s’opposent aux colombes de gauche, partisans de la paix.
* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.
10 avril 2019 – Jonathan-Cook.net – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet