Netanyahu veut-il faire couler l’AP de Ramallah ?

Photo: Yotam Ronen/Activestills.org
Le chef de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, lors des funérailles du ministre de l'AP, Ziad Abu Ein, à Ramallah, le 11 décembre 2014. Ziad Abu Ein a été assassiné par un soldat israélien lors d'une manifestation en Cisjordanie - Photo: Yotam Ronen/Activestills.org

Par Jonathan Cook

La décision d’Israël de retenir une partie des taxes qu’il perçoit pour le compte de l’Autorité palestinienne [AP] et de plonger celle-ci plus profondément dans la crise, illustre clairement les hypocrisies et les déceptions qui sont au cœur des relations entre les deux gouvernements.

Aux termes des accords d’Oslo, vieux d’un quart de siècle, Israël est responsable de la perception d’environ 200 millions de dollars de taxes par mois, qu’il est censé transférer à l’Autorité palestinienne, le gouvernement palestinien en gestation en Cisjordanie.

L’argent appartient aux Palestiniens, mais Israël l’a retenu temporairement à plusieurs reprises dans le passé, en guise de gourdin permettant de convaincre les dirigeants palestiniens de “rester dans le rang”.

Mais cette fois-ci, toutefois, les enjeux sont beaucoup plus importants.

La semaine dernière, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a promulgué, après avoir temporisé, une loi adoptée l’été dernier exigeant que ses responsables conservent une partie des taxes dues aux Palestiniens, correspondant aux sommes que l’Autorité palestinienne transfère aux familles des prisonniers politiques sous forme d’allocations mensuelles.

Il fait écho au Taylor Force Act, une loi adoptée par le Congrès américain en 2016, qui refuse toute aide économique américaine à l’Autorité palestinienne jusqu’à ce que celle-ci cesse d’envoyer ces mêmes allocations aux 35 000 familles de prisonniers et de ceux tués et mutilés par l’armée israélienne.

L’Autorité palestinienne a tenté d’écarter cette menace en faisant passer les paiements par l’intermédiaire d’un organisme distinct, l’Organisation de libération de la Palestine.

Israël et Washington considèrent les prisonniers simplement comme des “terroristes”. Mais la très grande majorité des Palestiniens les considèrent comme des héros, ceux qui ont payé le prix fort dans la lutte pour la libération nationale.

A cause des sacrifices endurés, le public palestinien refuse que leurs familles devraient être abandonnées, pas plus que les républicains irlandais ont tourné le dos à ceux qui ont combattu le régime britannique ou que les Sud-Africains noirs ont tourné le dos à ceux qui se sont battus contre l’apartheid.

L’ex-président palestinien Mahmoud Abbas a qualifié les actions d’Israël de “vol” et a déclaré qu’il préférait réduire le financement de la santé et de l’éducation plutôt que celui affecté aux prisonniers et à leurs familles. “Ils sont la partie la plus respectée et appréciée du peuple palestinien”, a-t-il déclaré.

Puis il a joué son atout. Il a dit qu’il refuserait venant d’Israël tout l’argent des taxes dues jusqu’à ce que la somme totale soit rétablie.

Cela risquerait de plonger l’Autorité palestinienne dans une crise financière et – un problème surtout pour Israël – d’aboutir à la dissolution des services de sécurité palestiniens. Leur travail tout au long des années, a été d’agir en tant que sous-traitant de la répression et de maintenir l’ordre israélien en Cisjordanie.

Les forces de police et de renseignement ont mobilisé 20% du budget de 5,8 milliards de dollars de l’Autorité palestinienne l’année dernière.

L’Autorité palestinienne est déjà sous le choc d’une série de coups de marteau à l’économie palestinienne. Il s’agit notamment de la décision de Donald Trump de supprimer tout financement de l’UNRWA – l’agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens – et des hôpitaux de Jérusalem-Est sous occupation israélienne.

En outre, Abbas aurait refusé le mois dernier une aide annuelle de 60 millions de dollars des États-Unis à ses services répressifs, de peur de placer l’Autorité palestinienne sous le coup d’une action en justice. En effet, une nouvelle mesure décidée par le Congrès américain soumet les bénéficiaires de l’aide comme l’Autorité palestinienne aux lois américaines antiterroristes.

Mais le bras de fer actuel entre Netanyahu et Abbas met à nu la duplicité de la situation à la vue de tous.

Le chef de l’Autorité palestinienne peut dire que les prisonniers sont la composante palestinienne la plus estimée, mais il décrit également la coordination de ses services de sécurité avec Israël comme “sacrée”.

Le rôle des services de sécurité est d’aider l’armée israélienne à déjouer les attaques palestiniennes et à capturer les même Palestiniens qu’il félicite. Si l’on est réaliste, Abbas ne peut pas assumer les deux rôles en même temps.

En revanche M. Netanyahu n’a rien à gagner à nuire aux services de sécurité palestiniens, sur lesquels l’armée israélienne compte.

La décision de retenir une part des taxes dues à l’AP a été prise principalement pour accroître sa popularité dans un contexte où des partis de droite rivaux se disputent la place de celui qui apparaîtra le plus intransigeant avant les élections législatives d’avril.

Paradoxalement, en retenant l’argent des taxes de l’AP, Netanyahu punit Abbas, son prétendu partenaire pour d’éventuelles négociations, tout en manifestant une préférence pour le Hamas, le grand rival d’Abbas à Gaza.

Bien qu’Israël ait classé le Hamas dans la catégorie des organisations terroristes, Netanyahu permet à des fonds en provenance du Qatar d’entrer à Gaza pour améliorer les conditions de vie catastrophiques dans l’enclave.

En outre, il y a quelque chose d’éminemment ironique dans la décision de Netanyahu de faire payer à l’AP le fait de récompenser les “terroristes” palestiniens la semaine même où il négocie un accord avec Otzma Yehudit – le Parti du Pouvoir Juif – pour permettre à ce dernier d’entrer au parlement israélien.

Ce parti est la version israélienne du Ku Klux Klan, disciple de feu le rabbin Meir Kahane dont le parti Kach, violemment anti-arabe a été interdit il y a 25 ans car considéré comme organisation terroriste.

La perspective de cette alliance contre nature est si effroyable que même des groupes de pression pro-Israël comme l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) et l’American Jewish Committee se sont sentis obligés de faire des déclarations condamnant le Pouvoir Juif comme “raciste et condamnables”.

Netanyahu pense que les suffrages supplémentaires que Pouvoir Juif attirera à la droite lors de cette élection lui assureront le soutien nécessaire pour former une coalition pour se maintenir au pouvoir.

Il y a cependant un autre défaut flagrant dans la décision de Netanyahu de ponctionner des taxes.

Si les caisses d’Abbas se vident, il enverra tout simplement encore moins d’argent à Gaza qui est déjà étranglé par le blocus imposé de longue date par Israël.

Cela intensifierait les troubles à dans l’enclave assiégée, et pourrait déclencher des tirs de roquettes contre Israël et des manifestations de masse des Palestiniens encore plus importantes le long de la clôture qui les encagent.

Dans le même temps, si les choses ne sont pas résolues, une AP déjà fragilisée se rapprochera de l’effondrement et il se pourrait que le Hamas soit prêt à combler le vide créé en Cisjordanie.

La perte de pouvoir pour Abbas, combinée à la perte d’un relais répressif pour Netanyahu, semble rendre cette confrontation mutuellement autodestructrice – à moins que Netanyahu et la droite n’aient une autre carte dans leur manche.

Hani Al Masri, analyste politique palestinien, se demande si Netanyahu n’est pas en train de préparer le terrain pour l’annonce par le président états-unien Donald Trump de son “accord de paix” après les élections israéliennes.

Une bonne partie de la coalition de Netanyahu est très désireuse d’annexer les zones palestiniennes qui entourent les principales villes de Cisjordanie, anéantissant tout espoir que puisse un jour émerger un état palestinien. M. Trump pourrait être favorable à cette perspective.

Dans ce scénario, selon Al Masri, Israël viserait à “mettre fin à ce qui reste du rôle politique de l‘AP, ne préservant que son rôle administratif et répressif”. Elle en serait réduite à la collecte des ordures et au maintien de l’ordre.

Si l’AP rejetait ce processus consistant à la vider de toute substance, Israël et les États-Unis chercheraient alors une solution de rechange, comme le règne de chefs de guerre locaux dans chaque ville palestinienne et l’extension des pouvoirs des responsables de l’armée israélienne en Cisjordanie.

Le refus de verser les taxes à l’AP n’est peut-être pas encore le présage de sa disparition. Mais il laisse envisager un avenir où l’autonomie des Palestiniens risque de devenir une perspective définitivement éloignée.

Jonathan Cook * Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.

24 février 2019 – Jonathan-Cook.net – Traduction : Chronique de Palestine – MJB & Lotfallah