Par Shahd Abusalama
Près de dix ans après la mort de milliers de Palestiniens lors de l’opération « Bordure protectrice », la violence incessante d’Israël se poursuit. Mais un mouvement de solidarité internationale grandissant donne de l’espoir à la résistance palestinienne, écrit Shahd Abusalama.
Le 8 juillet 2014, Israël a lancé son quatrième assaut, le plus meurtrier, contre Gaza en moins de huit ans, sous le nom de code « Opération Bordure protectrice ».
J’ai expérimenté les « punitions collectives » de Gaza depuis ma naissance dans le camp de réfugiés de Jabalia, mais c’était la première fois que je vivais l’horreur de ma famille à distance, pendant les 51 jours qui resteront à jamais gravés dans ma mémoire.
À chaque anniversaire, nous déplorons que l’occupation israélienne ait à plusieurs reprises transformé en bain de sang les périodes festives entourant le mois sacré du Ramadan, l’Aïd et les vacances d’été. Le premier jour de l’Aïd al-Fitr de ma famille a été transformé en funérailles : mon oncle Muhammed Abu Louz a été tué, laissant derrière lui une veuve et deux enfants.
L’assaut de l’été 2014, que j’ai suivi avec un choc et une rage extrêmes depuis Istanbul, a ravivé les souvenirs des « Pluies d’été » israéliennes de 2006, qui ont transformé les vacances en un véritable cauchemar pour les écoliers comme moi.
Les bombes tombaient tout autour de nous comme une pluie, pour reprendre la métaphore israélienne.
Ces assauts meurtriers depuis la terre, la mer et l’air sont un rituel pour Israël, intégré dans son horrible stratégie de « tonte de la pelouse », qui dicte une violence perpétuelle contre les Palestiniens pour briser notre volonté de libération et de résistance, et pour renforcer ses systèmes d’apartheid.
L’été 2014 a été le témoin le plus explicite et le plus intense de cette politique terroriste.
Les statistiques souvent citées sur le nombre de victimes ne rendent pas compte de ce que les civils palestiniens ont réellement souffert ; néanmoins, leur déséquilibre est révélateur du déséquilibre de pouvoir entre le colonisateur et le colonisé :
- 2251 Palestiniens ont été tués, dont 551 enfants et 299 femmes
- 11 100, dont 3 436 enfants et 3540 femmes, ont été blessés, laissant des milliers de personnes avec un handicap permanent
- 18 000 logements ont été détruits en tout ou en partie, déplaçant environ 30 % de la population et évoquant le souvenir traumatisant de la Nakba de 1948 au sein de la population de Gaza, composée essentiellement de réfugiés.
Parallèlement, 71 Israéliens ont été tués : 67 soldats et quatre civils.
Malgré les attaques aveugles et disproportionnées qui ont caractérisé cette offensive israélienne, le chef de l’armée israélienne de l’époque, Benny Gantz, s’est vanté avec une impunité éhontée que sous son commandement, « des parties de Gaza ont été renvoyées à l’âge de pierre » lorsqu’il s’est présenté au poste de Premier ministre en 2019.
Il est évident que les colons et les troupes israéliens n’ont pas évacué Gaza en 2005 pour nous libérer de leur domination, mais plutôt pour expérimenter une occupation à distance qui offre un contrôle maximal avec une responsabilité minimale envers l’occupé.
Le soi-disant désengagement d’Israël de Gaza a déclenché une nouvelle stratégie pour les territoires occupés. Comme le dit le professeur israélien Ilan Pappé dans son livre Gaza in Crisis, « contrôler la bande de Gaza de l’extérieur tout en découpant la Cisjordanie en bantoustans gérables semblait être la meilleure solution au ‘problème palestinien’ ».
La capacité d’Israël à appliquer et à maintenir une telle « solution » pendant des années démontre la nature criminelle de cet État colonial soutenu par l’Occident, qui a survécu grâce à la négation et à la diabolisation des Palestiniens autochtones.
Le sort des enfants palestiniens montre à lui seul la gravité de la culture d’impunité d’Israël. Selon Defence for Children International, la plupart des enfants tués lors de l’opération « Bordure protectrice » avaient douze ans ou moins.
Parmi eux, les quatre enfants Bakr, âgés de 9 à 12 ans, ont été tués en plein jour alors qu’ils jouaient au football sur la plage de Gaza. Les quatre garçons ont été l’un des moments les plus marquants de l’assaut de 51 jours et sont devenus un exemple emblématique de la vie des enfants palestiniens pendant l’occupation devenue distante, mais toujours meurtrière, de Gaza après 2005.
Le crime a eu lieu au vu et au su d’un hôtel rempli de correspondants étrangers en reportage sur le soi-disant « conflit », ce qui a donné lieu à de nombreux récits directs et écrits de première main de l’attaque, largement diffusés dans les médias grand public (et sociaux).
L’affaire impliquant des soldats israéliens armés de drones, réputés dans le commerce mondial des armes pour leur haute précision, contre des enfants armés d’un ballon, Israël a été poussé à soit-disant « enquêter » sur le crime.
En définitive, les affirmations d’Israël selon lesquelles les opérateurs de drones avaient pris les garçons pour des « militants du Hamas » ont suffi à clore l’enquête et à se dégager de toute responsabilité. Neuf ans plus tard, malgré les preuves accablantes de crimes de guerre, la famille Bakr se bat toujours pour obtenir justice.
L’impunité continue d’Israël pour ses violations du droit international et des droits de l’homme est entretenue par le soutien occidental et la couverture médiatique totalement malhonnête.
Comme l’a noté Diana Buttu, la couverture médiatique occidentale a omis d’exposer l’impact dévastateur de l’attaque de 2014 sur Gaza, construisant Israël comme un État agissant en « défense » contre des « acteurs irrationnels islamiques de type ISIS » et la résistance légitime des Palestiniens contre leur force d’occupation comme du « terrorisme ».
Dans un exemple notable, le 8 juillet 2014, alors que les bombardements israéliens ont tué 23 Palestiniens, dont sept enfants, et qu’Israël n’a subi aucune perte, un titre de la BBC se lit comme suit : « Israël sous une nouvelle attaque du Hamas », détournant ainsi l’attention des crimes israéliens.
Les Palestiniens et les militants ont rapidement condamné la hiérarchisation des morts et la couverture biaisée qui a détourné l’attention des crimes israéliens.
Le titre a ensuite été reformulé : « Israël intensifie ses plans pour mettre fin aux tirs de roquettes depuis Gaza », invoquant la désignation par Israël de Gaza comme « entité hostile » tout en occultant l’impact immédiat et à long terme du colonialisme, de l’occupation militaire, du blocus et des attaques régulières contre Gaza, ininterrompus depuis la création d’Israël en 1948, bien avant la fondation du Hamas en 1987.
La bataille idéologique qui conserve le soutien occidental à Israël repose sur la perpétuation du militarisme, du racisme et, en particulier, de l’islamophobie. La répression des Palestiniens par Israël n’est pas isolée du reste du monde par son mur d’apartheid.
Les connexions sont nombreuses et ces chaînes de complicité ont été dénoncées par de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty et l’ONU.
La résistance internationale croissante aux systèmes de domination israéliens, ainsi que les dénonciations dans les réseaux au cours des dernières décennies, ont de plus en plus mis Israël et ses alliés dans l’impasse pour justifier leurs crimes et défendre l’image de démocratie et de moralité qu’ils se donnent.
Le mouvement international de boycott, de désinvestissement et de sanctions, qui ne cesse de prendre de l’ampleur, fait subir à Israël de lourdes pertes matérielles et de réputation. Face à l’inaction internationale, Palestine Action au Royaume-Uni offre de l’espoir, avec des gens de la société qui mettent régulièrement leur corps en jeu pour fermer la plus grande usine d’armement privée d’Israël, Elbit Systems, qui commercialise notoirement ses armes comme étant « testées au combat ».
Alors qu’Elbit a célébré de manière choquante des profits sans précédent en 2014, y compris des contrats avec des partenaires internationaux en Suisse et à travers l’Amérique latine – impressionnés par son utilisation de drones tueurs contre les civils à Gaza – Palestine Action leur a coûté cher avec la fermeture réussie de deux sites d’Elbit à Oldham et à Londres et des pertes estimées à des millions.
L’anniversaire de l’assaut de l’été 2014 sur Gaza intervient à un moment où la violence et l’impunité israéliennes se poursuivent, de Jénine, en Cisjordanie occupée, à la bande de Gaza. Il nous rappelle la capacité et la volonté incessantes d’Israël de poursuivre ses ravages.
Pour éviter de nouveaux meurtres et imposer la justice en Palestine, nous avons besoin d’un mouvement international antiraciste cohérent qui s’oppose fermement à Israël. Sans le démantèlement de son régime d’apartheid et de colonisation, il n’y aura pas de paix, ni pour les Palestiniens, ni pour les Israéliens.
Auteur : Shahd Abusalama
* Shahd Abusalama est une universitaire palestinienne dont le doctorat à l'université de Sheffield Hallam a exploré les représentations historiques de Gaza dans les films documentaires coloniaux, humanitaires et palestiniens, qui sera publié par Bloomsbury sous le titre « Between Documentary and Reality » (Entre le documentaire et la réalité).Shahd est une artiste, une militante et l'auteur du blog Palestine from My Eyes, également publié sous forme de livre en Italie en 2013. Elle est également cofondatrice de la Hawiyya Dance Company, qui présente les dabke et la musique folkloriques de Palestine au public britannique et au-delà, afin d'amplifier les causes anticoloniales et antiracistes.
13 juillet 2023 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine