Par Marie Schwab
« Je me moque de mourir ; j’espère juste pouvoir voir mon enfant avant ! ». Ainsi s’exprimait le journaliste Ayman al-Jadi. Il n’a pas eu le bonheur de serrer contre lui son nouveau-né : il a été assassiné par l’armée d’occupation alors qu’il attendait la naissance du bébé, dans une voiture marquée « presse », à Nuseirat, devant l’hôpital, avec quatre collègues journalistes, le 26 décembre.
Nassim était parti chercher un sac de farine pour nourrir sa famille. Une bombe larguée par l’occupant l’a assassiné, avec 150 autres personnes attendant comme lui de la nourriture. Lui non plus n’a pas eu la joie de tenir son enfant dans ses bras : Nisma est née après sa mort.
Nisma et sa sœur Rahma grandiront son père, mais aussi sans grands-parents, ni oncles, ni tantes, ni cousins, tous massacrés dans le bombardement de leur abri, le lendemain de l’assassinat de Nassim.
Israël et ses soutiens savent pertinemment que rien ne peut justifier l’anéantissement par les bombes de tout un peuple, de toute une culture, de toute une histoire.
Israël et ses soutiens savent pertinemment que rien ne peut justifier le meurtre par la famine de quatre générations de Palestiniens. Que rien ne peut justifier de priver des soins les plus basiques toute une population. D’où le déni, le négationnisme israélien.
Selon le journaliste israélien Jonathan Ofir, « les Israéliens [sont] les plus grands négationnistes d’holocauste ». Pierre Stambul évoquait dès janvier 2024 le négationnisme israélien. [1]
Les soutiens d’Israël oscillent quant à eux entre déni et politique de l’autruche. Regarder la réalité du génocide en face les renverrait à leur propre culpabilité en tant que complices.
L’hiver à Gaza était une saison particulièrement enchantée et appréciée – les couleurs encore plus chatoyantes, les lignes encore plus harmonieuses, les parfums encore plus doux. Les premières pluies étaient accueillies avec gratitude, les récoltes d’hiver avec révérence.
À présent, l’hiver lui aussi est devenu meurtrier. Mais ne nous y trompons pas, ce n’est pas le froid qui tue les bébés, les enfants, les adultes. Ce sont les bombes israéliennes qui ont réduit en amas de gravats leurs maisons, les contraignant de vivre dans des abris de fortune perméables au vent, à la pluie, au froid, comme si jamais ces familles n’avaient habité de belles demeures entourées de jardins.
C’est le blocus infligé par l’occupant qui prive toute un peuple de vêtements chauds, de chaussures, de couvertures. C’est le blocus qui les affame et les affaiblit. Et c’est l’inertie complice et criminelle des nations qui laissent mourir, sous nos yeux, deux millions de personnes dans le labyrinthe qu’est Gaza, sans autre issue que la mort par les bombes, la faim, la maladie, le froid.
Israël ne s’arrêtera pas de lui-même. C’est à nous de tout mettre en œuvre pour que nos dirigeants mettent fin à l’impunité.
Les nations regardent ailleurs et l’impunité demeure, alors qu’en six mois, Israël a confisqué en Cisjordanie occupée plus de terres que durant les vingt dernières années cumulées. Depuis les accords d’Oslo, la Cisjordanie se réduit aux taches de plus en plus clairsemées d’une peau de léopard de plus en plus mitée.
Comment Israël peut-il prétendre avoir des droits sur une terre qu’il ne cesse de martyriser, arrachant par centaines des oliviers multicentenaires, mettant le feu aux autres, empoisonnant les cours d’eau, coulant du béton dans les sources, passant les cultures au bulldozer, empoisonnant les troupeaux ? *
Le seul rapport à la terre que l’occupant connaisse est celui de l’exploitation, la destruction, l’accaparement par la force. « Le sionisme est l’antithèse de la vie », résume Susan Abulhawa. « C’est l’extinction de la lumière. »
L’histoire de la Palestine est une histoire de partage, de pâturage en commun, de cultures communautaires. Gaza a toujours été une ville sans murailles, ouverte à l’étranger, à l’accueil, à l’échange. Le littoral de Beit Lahiya à Rafah, avant d’être une « bande », était une oasis, un carrefour des cultures, un lieu d’échanges intellectuels et marchands, un vivier humaniste, un verger opulent.
Husam Zomlot raconte comment la génération de ses grands-parents a ouvert sa porte aux immigrants venus de l’Est, leur offrant des oranges. « Nous devions le faire, et nous ne le regrettons pas », observe-t-il. [2]
Aujourd’hui, Gaza est saucissonnée par l’occupant, divisée par des corridors militaires de plus en plus nombreux [3], bordée à l’Ouest par une mer déclarée zone militaire et à l’Est par une frontière parmi les plus hermétiques et militarisées du monde, truffée de miradors, de « zones interdites » larges de 30 à 1500 mètres et de « zones de risque ».
La route Salah el-Din, qui reliait depuis l’Antiquité l’Égypte à la Syrie, n’est plus un lieu de passage mais de mort assurée dans le viseur des drones et des snipers.
Cette nuit, cinq personnes chargées de sécuriser l’acheminement de l’aide ont été assassinées sur cette route par un tir de drone, dans la volonté manifeste de favoriser le délitement de la société.
Les routes à Gaza ne sont plus destinées aux déplacements, transformées en champs de tir ; tout comme les hôpitaux ne sont plus des lieux où on sauve des vies, mais des zones de guerre où blessés et patients se voient subitement privés d’oxygène, sont torturés, exécutés à bout portant, ou, pour les plus chanceux, tirés des lits, déshabillés et poussés dehors.
L’ONU a dénombré 136 frappes aériennes contre des hôpitaux à Gaza entre le 12 octobre 2023 et le 30 juin 2024. (9)
Le monde assiste à la banalisation du bombardement et de la mise à feu des hôpitaux aussi facilement qu’il accepte la normalisation du massacre de masse des civils par les bombes et le blocus.
Pour Francesca Albanese, « Israël écrit une des pages les plus sombres de l’histoire des génocides avec de l’encre fabriquée en Occident. »
Je voudrais terminer par une pensée pour Ahmad, 5 ans, qui a perdu ses deux parents et une jambe il y a un an et qui, tous les jours, tous les jours, tous les jours, réclame ses parents. Une pensée pour Janna, 5 ans, et Hassan, 3 ans, criant de désespoir, s’agrippant aux corps sans vie de Maissa et Jawad, leurs parents, assassinés par l’occupant aux premières heures de la nouvelle année.
Envoyons à Ahmad, Janna et Hassan tout notre amour et notre force. Nous retournerons à Gaza. Nous reconstruirons. Nous ouvrirons nos bras aux enfants sans parents, aux parents sans enfants. Palestine vivra.
Notes :
- [1] Invité de Thomas Legrand, En quête de politique, L’antisionisme est-il forcément un antisémitisme ?, France Inter, émission diffusée le 30.3.2024, enregistrée en janvier 2024.
- [2] Husam Zomlot en conférence, 2024, citation exacte, source malheureusement égarée.
- [3] Mafalsim, Netzarim, Kissufim, Philadelphi.
Auteur : Marie Schwab
* Marie Schwab milite au Collectif Palestine 12 (Aveyron). Ses textes, lus à l'occasion des rassemblements hebdomadaires dans la ville de Millau, sont « des cris du coeur ! »
4 décembre 2024 – Tranmis par l’auteure
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