« Nous sommes le jour après la guerre »

Khalil Rayan, comme tant d'autres, est à la recherche des restes de ses proches [ici son fils et son petit-fils] - dans ce qui était autrefois un lieu plein de vie - Extrait : Vidéo Al-Jazeera

Par Marie Schwab

Gaza au lendemain du génocide, ce sont des dizaines de milliers de corps enfouis sous 40 millions de tonnes de gravats.

Bertold Brecht, dans les années trente, s’interrogeait : « Dans quelle époque vivons-nous, où une discussion sur les arbres est presque un crime, parce que cela revient à passer sous silence tant d’exactions ? »

Nous sommes là pour dire Gaza, pour dénoncer la Palestine sous occupation. Pour crier et chanter notre soutien aux Palestiniens, pour dire que leur lutte est la nôtre.

Nous sommes là pour évoquer Khalid, qui, comme des dizaines de milliers de personnes, passe ses jours à déblayer les gravats, à la recherche du corps de son fils et de son petit-fils. « J’ai perdu toute émotion », dit-il. « Plus rien n’a de sens. Mon seul souhait, c’est de retrouver le corps de mon fils, pour pouvoir dire à ma petite-fille : ‘Voici la tombe de ton papa’. »

Tous les jours, des centaines de corps sont extraits à main nue des décombres. Des corps auxquels il est souvent impossible d’associer un nom, un visage, une histoire. Qui pourtant, chacun, était unique, précieux, avait une famille qui l’aimait, des rêves.

Souvent aussi, il n’y a plus personne pour s’inquiéter de telle ou telle famille, car tout le voisinage n’est plus que gravats. Il n’y a plus de survivants, plus personne pour dire qui vivait là, qui a disparu, qui manque dans ces rues naguère vibrantes de bruits, d’odeurs, de vie.

Gaza au lendemain du génocide, c’est Samir rentrant chez lui après seize mois de torture et de traitements inhumains dans les prisons israéliennes. Samir a perdu 20 kg. Il est brisé. Il a besoin de soins. Mais aussi d’amour, de bras, de réconfort. Arrivé chez lui, à Shuja’iya, il ne reconnaît plus rien. Sa maison a disparu. Et avec elle, ses parents, son frère, ses sœurs, sa nièce, ses neveux. Ghida, sa femme. Ses enfants.

Gaza, pendant le génocide, c’est Sherin perdant sa maison, puis sa maman, et son frère et sa sœur, puis sa jambe, puis son papa. Puis la vie.

La Cisjordanie occupée, c’est Mustafa retrouvant son fils Abdelaziz. Par le jeu – si on peut dire – d’emprisonnements successifs, ils ont à eux deux passé 50 ans en prison, et 45 ans sans se voir.

Gaza, c’est Mohammed, 20 mois, perdant deux mamans. La première, assassinée par les bombes de l’occupant au début du génocide. La seconde, celle qui l’a recueilli, quand son père, déplacé de force, arrive à retrouver son bébé, 16 mois plus tard.

La Cisjordanie occupée, ce sont les 900 barrages militaires de l’occupant isolant les communes les unes des autres, coupant les villages des villes, créant des zones sans enseignants, sans médecins, sans flux, ni dans un sens ni dans l’autre, de nourriture ni de biens, engendrant pauvreté et souffrance.

La Cisjordanie occupée, c’est l’occupant aimant à détruire la maison d’un prisonnier juste avant sa libération. C’est l’occupant aimant à arrêter à nouveau homme, femme ou enfant palestinien, quelques jours après l’avoir relâché.

Cependant, ce n’est pas – seulement – parce que Palestine souffre que nous l’aimons. Mais parce qu’elle résiste, par tous les moyens. Parce que sa lutte est celle de l’olivier contre le char, des broderies face aux bulldozers, de ce que l’humanité a de plus beau face à l’horreur la plus perverse.

Chaque assaut de l’occupant, chaque manquement des nations à assurer aux Palestiniens un avenir de justice, grandit leur détermination à résister.

« Les Palestiniens nous apprennent ce que faire société signifie. Ils ont non seulement continué à survivre pendant tous ces mois d’horreur, mais aussi à oeuvrer ensemble. L’enjeu n’est pas seulement la terre, mais son peuple. La générosité des uns envers les autres à ce moment était aux antipodes d’un monde très laid qui n’a rien fait pour stopper le génocide. Les Palestiniens sont déterminés à créer un monde enraciné dans la liberté, la justice et la dignité » : la parole d’Aimee Shalan.

Les Palestiniens ne se contentent pas d’un cessez-le-feu au rabais – constamment présenté comme « fragile », mais sans qu’on nomme jamais qui le « fragilise » et le viole continuellement. Dans les faits, on dénombre plus de 269 violations du cessez-le-feu par Israël à ce jour à Gaza, dont 26 morts, selon le Hamas, tandis que le Ministère de la santé fait état de 92 morts par ciblage direct.

Ces chiffres ne tiennent pas compte des victimes du génocide par le blocus, qui n’a pas cessé : blessés et malades qui continuent de mourir dans un système de soins en ruines, enfants qui perdent la vie des suites de la famine.

Qu’on m’explique en quoi l’entrée de fournitures médicales, de nourriture en quantité, de vêtements, de tentes, de mobil homes, de fuel, de machines pour remettre en état les réseaux d’eau, d’équipement pour déblayer les gravats, de groupes électrogènes, de panneaux solaires, de matériaux de construction, mettent en péril la sécurité d’Israël.

Qu’on m’explique en quoi l’ouverture du point de passage de Rafah vers l’Égypte constitue une menace pour Israël. En quoi l’évacuation des blessés et des malades, qui, tous, sont condamnés à mourir s’ils restent à Gaza, représente un danger pour Israël.

Nos éditocrates s’indignent de ce que les otages israéliens aient perdu du poids à Gaza – occultant dans un cynisme sans nom, doublé d’une amnésie abjecte et complice, que Netanyahou est sous mandat d’arrêt international pour le crime contre l’humanité que constitue l’instrumentalisation de la faim comme arme de guerre à Gaza.

Passant aussi sous silence l’état de santé alarmant des otages palestiniens, leurs innombrables récits de torture, de privation de nourriture, de traitements dégradants subis dans les geôles de l’occupant.

Qu’on m’explique l’indignation sélective de l’Occident, la variabilité de ses degrés de tolérance à l’inacceptable.

L’Occident s’offusque à présent du plan américain de déplacement forcé de la population de Gaza. On ne saurait que s’en réjouir – si l’hypocrisie cynique et l’amnésie criminelle ne sourdaient, là aussi, de toute part.

C’est comme si rien ne s’était passé avant la déclaration du président américain. Comme si, pendant 16 mois, 1,9 millions de Palestiniens de Gaza n’avaient pas été déplacés de force. Comme s’il n’y avait pas eu de génocide, qui n’a jamais suscité de telles condamnations. Comme s’il n’y avait pas, en ce moment même, 40.000 Palestiniens déplacés de force dans le Nord de la Cisjordanie.

L’Occident se donne bonne conscience après avoir absout Netanyahou et Biden.

Mais surtout, l’Occident semble découvrir, sans pour autant le comprendre, que le projet sioniste est un colonialisme de remplacement, pour reprendre l’expression de Pierre Stambul. Que le nettoyage ethnique est intrinsèque au sionisme.

Les 2/3 de la population palestinienne en ont bel et bien été victimes en 1947-1948, lorsque 800.000 Palestiniens ont été expulsés de chez eux. Avant le 7 octobre, 80% des habitants de Gaza étaient des réfugiés, c’est-à-dire des personnes ayant subi le nettoyage ethnique sioniste. [1]

Je voudrais terminer par une pensée pour Aya. Elle vient de rentrer chez elle, à Gaza-Ville. De retrouver sa maison, en ruines. Elle est seule. Abdallah, son mari, Hamza, son fils de 4 ans, Raghad, sa fille de 2 ans, ne rentreront jamais chez eux.

Notes :

[1] L’UNRWA, créée en 1949 pour les secourir, vient entériner cet état de fait, et la démission des nations quant au droit au retour des réfugiés palestiniens. « L’ONU institutionnalise la transformation des Palestiniens en un peuple de réfugiés » : Pierre Stambul dans La Nakba ne sera jamais légitime (Acratie, 2018), p. 113.

15 février 2025 – Transmis par l’auteure

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