Un nouveau crime de guerre israélien est enterré dans le sable tandis que le monde regarde ailleurs

31 mars 2025 - Les familles et les collègues des quatorze secouristes du Croissant-Rouge palestinien et de la Défense civile froidement assassinés par les forces coloniales israéliennes, sont en deuil alors que les corps ont finalement été retrouvés et transportés à l'hôpital Nasser de Khan Yunis - Photo : Doaa AlBaz/ Activestills

Par Ghada Ageel

Quinze ambulanciers et secouristes palestiniens ont été froidement assassinés à Rafah. L’indifférence est tout ce qu’ils obtiennent.

Chaque jour, Mohammad Bahloul a joué avec sa propre vie dans l’espoir de sauver celle des autres. En tant qu’infirmier du Croissant-Rouge palestinien (CRP), il s’aventurait chaque jour dans l’inconnu, sans jamais savoir s’il reviendrait auprès de sa famille.

Une semaine avant l’Aïd al-Fitr, Mohammad a été envoyé dans le quartier de Tal as-Sultan, à Rafah, pour récupérer les blessés et les morts après les attaques israéliennes.

Peu après son arrivée sur les lieux avec une équipe de médecins et de secouristes, les troupes israéliennes au sol ont encerclé la zone et fermé toutes les routes d’accès et de sortie.

Alors que le Croissant-Rouge palestinien perdait le contact avec son équipe, des rumeurs ont commencé à se répandre à Rafah selon lesquelles les personnes bloquées à l’intérieur allaient être massacrées.

Pendant que les équipes de secours tentaient d’atteindre la zone, les travailleurs de l’ONU ont vu des civils qui tentaient de fuir être abattus.

Le 29 mars, ils ont finalement pu atteindre la zone où les équipes du Croissant-Rouge palestinien avaient été attaquées. Ils y ont découvert les restes endommagés d’ambulances et de véhicules de l’ONU et de la protection civile, ainsi qu’un seul corps, celui du collègue de Muhammad, Anwar Alatar.

Le 30 mars, premier jour de l’Aïd al-Fitr, ils y sont retournés et ont découvert 14 autres corps enterrés dans le sable d’une fosse commune. Tous étaient encore vêtus de leur uniforme et portaient des gants.

Parmi eux se trouvaient Mohammad et ses collègues Mustafa Khafaja, Ezzedine Sha’at, Saleh Moammar, Rifaat Radwan, Ashraf Abu Labda, Mohammad al-Hila et Raed al-Sharif.

Le meurtre de ces ambulanciers n’est pas un incident isolé. Israël a systématiquement pris pour cible les travailleurs médicaux et les secouristes dans le cadre de sa guerre génocidaire – une guerre contre la vie elle-même à Gaza.

Il n’y a qu’à Gaza que les uniformes médicaux et les ambulances n’offrent pas la protection que confère le droit international. Il n’y a qu’à Gaza que les uniformes médicaux et les ambulances peuvent désigner des personnes comme cibles à exécuter.

Pendant les sept jours angoissants au cours desquels le sort de Mohammad est resté inconnu, son père Sobhi Bahloul, ancien directeur du lycée Bir al-Saba’ de Rafah, que je connais depuis des décennies, et sa mère Najah, ont prié pour qu’un miracle sauve leur fils.

Ils imaginaient que Mohammad s’est échappé juste avant le bouclage de la zone, ou qu’il se cache sous les décombres d’une maison, ou encore qu’il a été kidnappé par des soldats israéliens mais qu’il est toujours en vie.

Comme l’a dit Mahmoud Darwish, le poète national palestinien, les Palestiniens souffrent d’une « maladie incurable : l’espoir ».

Mohammad Bahloul, tué le 23 mars par des soldats israéliens à Rafah – Photo : avec l’aimable autorisation de Sobhi Bahloul

Bien que la famille Bahloul ait osé espérer, elle portait en elle la crainte de ne plus jamais revoir Mohammad. Ils connaissaient les scénarios. En janvier 2024, les ambulanciers envoyés pour secourir la petite Hind Rajab, âgée de six ans, qui gisait dans une voiture, blessée et en sang, à côté de ses parents tués, ont également été pris pour cible et assassinés.

De même, en décembre 2023, les ambulanciers envoyés pour secourir le cameraman d’Al Jazeera, Samer Abudaqa, qui saignait dans une rue de Khan Younis après avoir été touché par un drone israélien, ont également été tués.

Pendant sept longs jours, l’espoir a lutté contre la peur. « Que Dieu te ramène sain et sauf, toi et tous tes collègues », a écrit M. Sobhi sur Facebook, au-dessus d’une photo de son fils altruiste.

La famille avait déjà beaucoup souffert pendant le génocide, ayant perdu de nombreux proches. Très tôt, ils ont dû fuir leur maison dans la partie orientale de Rafah pour se rendre à al-Mawasi à Khan Younis, à la recherche d’une illusion de sécurité.

Lorsque le cessez-le-feu a été annoncé, la famille est retournée chez elle, dans la partie orientale de Rafah, avec des milliers d’autres personnes.

Ils ont trouvé leur maison détruite, mais ont fait de leur mieux pour restaurer deux pièces et les rendre fonctionnelles, où ils pouvaient dormir. Pendant cette période, les enfants ont repris leurs cours sous des tentes de fortune, car de nombreuses écoles avaient été détruites.

Une semaine avant la disparition de Mohammad, un raid aérien a détruit la maison située en face du domicile familial et la voiture de son père a été gravement endommagée. Une fois de plus, la famille s’est enfuie, emportant le peu qu’il lui restait.

À chaque déplacement, leurs biens s’amenuisent, rappelant de manière insupportable qu’au fur et à mesure que les biens diminuent, la dignité s’amenuise elle aussi.

Mais Mohammad n’a pas eu le temps d’aider son père à monter une autre tente de déplacement. Il a immédiatement repris son devoir, travaillant 24 heures sur 24 avec ses collègues médecins à Khan Younis, répondant à d’innombrables appels à l’aide, se précipitant d’une horreur à l’autre.

Même pendant le Ramadan, le mois le plus sacré de l’année, il avait à peine le temps de rompre le jeûne avec sa famille et de jouer avec ses cinq enfants, dont Adam, son petit garçon de trois mois.

Le mois sacré s’est achevé sur la nouvelle déchirante de son assassinat.

Le jour de l’Aïd, j’ai essayé de joindre Sobhi, mais je n’ai pas eu de réponse. Sur son Facebook, j’ai trouvé ces mots douloureux : « Nous pleurons notre fils, Muhammad Sobhi Bahloul, un martyr du devoir et du travail humanitaire. C’est à Allah que nous appartenons et c’est à Lui que nous retournerons ».

Malgré la tentative de l’armée israélienne de dissimuler son crime en l’enterrant dans le sable, des preuves attestent de ce qui s’est passé.

Un communiqué publié par le ministère palestinien de la santé le 30 mars indique que les forces israéliennes ont procédé à une exécution sommaire et que certaines des victimes étaient menottées et présentaient des blessures à la tête et à la poitrine.

Le chef du bureau des affaires humanitaires des Nations unies en Palestine, Jonathan Whittall, a déclaré que les secouristes et les premiers intervenants avaient été tués « un par un ».

Bien entendu, Israël a eu recours à la tactique bien connue du déni et de la dissimulation. Il a d’abord prétendu que les ambulanciers étaient membres du Hamas et du Jihad islamique palestinien. Il a ensuite affirmé que ses soldats avaient tiré sur les ambulances parce qu’elles « avançaient de manière suspecte vers eux ».

Entre-temps, dans un acte de cynisme flagrant, le gouvernement israélien a annoncé qu’il envoyait une mission de sauvetage de 22 personnes en Thaïlande et au Myanmar à la suite du tremblement de terre meurtrier. Dix jours plus tôt, il avait envoyé une délégation médicale en Macédoine du Nord.

De l’Asie à l’Europe, il semble acceptable qu’un pays qui a massacré plus d’un millier d’agents de santé et de secouristes sur un territoire qu’il occupe illégalement puisse feindre l’humanitarisme à l’étranger.

Les conventions de Genève, qui protègent explicitement le personnel médical dans les zones de conflit, ont clairement été vidées de leur sens à Gaza. Les organismes internationaux, conçus pour défendre les droits de l’homme, continuent de s’indigner tout en s’abstenant d’agir.

Les gouvernements occidentaux continuent d’être activement complices du génocide en envoyant des armes et en invitant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu malgré le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale.

Combien de temps encore le monde assistera-t-il en silence à cette violence génocidaire ? La barbarie et les crimes semblent sans fin. L’exécution de ces médecins aurait dû être un tournant, un moment de prise de conscience. Au lieu de cela, elles sont un nouveau témoignage de l’impunité accordée au régime sioniste d’apartheid.

Que les âmes de ceux qui sont morts à Tal as-Sultan reposent en paix et que les dirigeants politiques du monde occidental soient couverts de honte.

1er avril 2025 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau

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