La nouvelle charte du Hamas : « un signe de maturité politique » ?

Photo: Ahmad Al-Bazz/Activestills.org
Les Palestiniens de la ville de Naplouse, en Cisjordanie, manifestent leur soutien à la résistance du Hamas dans la bande de Gaza, trois jours après qu'un accord signé par Israël et le Hamas ait mis fin à une attaque israélienne de 50 jours, le 29 août 2014 - Photo: Ahmad Al-Bazz/Activestills.org

Par Ramzy Baroud

Maintenant que le Mouvement islamique palestinien, le Hamas, a officiellement modifié sa Charte, la question est de savoir si cette décision est un acte de maturité politique ?

Sans aucun doute, la première Charte du Hamas, rendue publique en août 1988, reflétait une grande faiblesse intellectuelle et de la naïveté politique.

“Allah est grand, Allah est plus grand que leur armée, Allah est plus grand que leurs avions et leurs armes”, déclarait, entre autres choses, la Charte originelle.

Elle appelait les Palestiniens à écraser l’armée d’occupation israélienne, à chercher “le martyre ou la victoire”, et se moquaient des dirigeants et des armées arabes : “Votre zèle national est-il mort et votre orgueil est-il épuisé alors que les Juifs commettent quotidiennement leurs crimes épouvantables contre notre peuple et ses enfants?”

Cela peut sembler aujourd’hui une rédaction un peu simpliste, mais à l’époque le contexte était bien différent.

Le document a été publié quelques mois après la formation du Hamas, créé lui-même suite à l’insurrection palestinienne de décembre 1987, qui a vu le meurtre de milliers de Palestiniens, principalement des enfants.

À l’époque, la direction du Hamas était une organisation émergente composée de maîtres d’écoles et d’imams de quartiers, et presque entièrement composée de réfugiés palestiniens.


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Alors que les fondateurs du Hamas ont ouvertement attribué leur inspiration idéologique au Mouvement des Frères musulmans, leur politique est en fait née dans les camps de réfugiés palestiniens et les prisons israéliennes.

En dépit de leur désir de voir leur mouvement comme une composante d’une plus grande dynamique régionale, ce fut surtout le résultat d’une expérience avant tout palestinienne.

Certes, le vocabulaire usé dans leur Charte, à l’époque, reflétait une grave immaturité politique, un manque de vision réelle et une sous-estimation de la puissance de leur appel.

Cependant, cela reflétait également une certaine sincérité, car ce mouvement représentait sans aucun doute un courant populaire croissant en Palestine, qui était las de la domination du Fatah et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

Le Fatah, avec d’autres factions de l’OLP, était de plus en plus à l’écart de la réalité palestinienne après l’invasion israélienne du Liban en 1982.

L’invasion du Liban a vu la dispersion du mouvement national palestinien à l’étranger dans les différents pays arabes, avec son siège principal en Tunisie. À Tunis, les dirigeants palestiniens se sont enrichis, mais sans offrir aucune nouvelle perspective à l’exception de clichés usés d’une époque révolue.

L’Intifada de 1987 était le reflet de la frustration populaire, non seulement face à l’occupation militaire israélienne mais aussi face à l’échec, la corruption et au mépris affiché par l’OLP.

La formation du Hamas dans cette période spécifique de l’histoire palestinienne ne peut être comprise séparément de l’Intifada, qui a introduit une nouvelle génération de militants, de dirigeants et d’organisations palestiniennes de base.

En raison de l’accent mis sur l’identité islamique (avant l’identité nationale), le Hamas s’est développé en parallèle et a rarement convergé avec d’autres groupes nationaux en Cisjordanie et à Gaza.

Les mouvements nationaux ont fonctionné sous un groupe “parapluie”, le Front national uni pour l’Intifada, représentant les affiliés de l’OLP en Palestine. Le Hamas s’activait en grande partie en marge.

Vers la fin de l’Intifada, les factions se sont divisées et ont dirigé une grande partie de leur violence contre les autres Palestiniens. Suite aux divisions internes, l’Intifada s’est épuisée de l’intérieur, autant qu’elle a été combattue sans pitié de l’extérieur par les soldats israéliens d’occupation.

Pourtant, le Hamas a continué à grandir en popularité.

Cela était dû en partie au fait que le Hamas était la réinvention d’un mouvement islamique plus ancien à Gaza et dans certaines parties de la Cisjordanie.

Au moment où les groupes islamiques se fédéraient dans le Hamas, le nouveau mouvement a immédiatement mobilisé toute sa zone d’influence, ses mosquées, ses centres communautaires et de jeunesse ainsi que de larges réseaux sociaux pour faire écho à l’appel de l’Intifada, définissant prioritairement celle-ci comme un “éveil islamique”.

Le Hamas a étendu son influence en atteignant la Cisjordanie grâce à ses mouvements d’étudiants dans les universités, entre autres lieux de prosélytisme.

La signature des Accords d’Oslo en 1993, mais surtout l’échec de ces accords et du soi-disant “processus de paix” à répondre aux attentes minimales du peuple palestinien, ont donné une autre impulsion au Hamas.

Puisque la période de “paix” a vu l’expansion des colonies juives illégales, le doublement du nombre de colons juifs et la perte d’encore plus de terres palestiniennes, la popularité du Hamas a continué de se renforcer.

Dans le même temps, l’OLP était mise à l’écart pour laisser la place à l’Autorité palestinienne (AP).

Installée en 1994, l’AP a été le résultat direct d’Oslo. Ses dirigeants n’étaient pas les dirigeants de l’Intifada, mais surtout des rapatriés riches inscrits au Fatah et autrefois basés à Tunis et dans d’autres capitales arabes.

Il n’a fallu que quelques mois pour que l’AP se retourne contre les Palestiniens et les militants du Hamas en particulier.

L’ancien dirigeant palestinien, Yasser Arafat, avait bien compris la nécessité de maintenir un semblant d’équilibre dans son traitement des forces d’opposition palestiniennes. Bien qu’il ait subit une énorme pression israélo-américaine pour réprimer l'”infrastructure du terrorisme”, il avait compris qu’une répression trop sévère à l’encontre du Hamas et d’autres ne pourrait que hâter les gains en popularité de ce mouvement.

Un an environ après son décès, les élections palestiniennes locales – auxquelles le Hamas a participé pour la première fois de son existence – ont changé la dynamique de pouvoir politique en Palestine pour la première fois depuis des décennies. Le Hamas remporta en effet la majorité des sièges au Conseil législatif palestinien (PLC).

La victoire électorale du Hamas en 2006 a entraîné un boycott occidental, une répression israélienne massive contre le mouvement et des affrontements entre le Hamas et le Fatah. En fin de compte, Gaza a été placée sous blocus et plusieurs guerres israéliennes ont tué des milliers de Palestiniens.

Au cours des dix dernières années, le Hamas a été forcé de chercher des alternatives. Il a été forcé de sortir des tranchées pour gouverner et gérer économiquement l’une des régions les plus pauvres de la planète.

Le blocus s’est transformé en statu quo. Les tentatives de certains pouvoirs européens de parler au Hamas ont toujours été confrontées à un puissant rejet israélo-américain.

L’ancienne charte du Hamas était souvent utilisée pour faire taire les voix qui appelaient à mettre fin à l’isolement de cette organisation ainsi qu’au blocus imposé à Gaza. Prise hors de son contexte historique (un soulèvement populaire), la Charte du Hamas pouvait être considérée comme un document archaïque, peu avisé politiquement.

Le 1er mai, le Hamas a introduit une nouvelle Charte, intitulée : “Un document sur les principes généraux et les politiques“.

La nouvelle Charte ne fait aucune référence aux Frères musulmans. Au lieu de cela, elle réoriente les perspectives politiques du Hamas pour se situer entre les sentiments nationaux et islamiques.

Le nouveau document consent à l’idée d’établir un État palestinien sur les frontière de juin 1967, mais insiste sur la revendication juridique et morale du peuple palestinien à l’égard de la Palestine historique.

Il rejette les accords d’Oslo, mais parle de l’Autorité palestinienne comme d’un fait acté. Il soutient toutes les formes de résistance, mais insiste sur la résistance armée comme un droit de toute nation occupée.

Comme on pouvait l’anticiper, il ne reconnaît pas l’État d’Israël.

La nouvelle Charte du Hamas semble être une tentative très prudente de trouver un point d’équilibre dans des limites politiques extrêmement strictes.

Le résultat est un document qui représente – bien qu’il puisse être interprété à l’aune du nouveau contexte politique de la région – une rupture importante avec le passé.

Le Hamas de 1988 pouvait sembler dépourvu de raffinement et de certaines connaissances, mais sa création a été l’expression directe d’un sentiment réel et partagé par de nombreux Palestiniens.

Le Hamas de 2017 est beaucoup plus mature et prudent dans son expression politique et ses actes, mais il est oblige de naviguer dans un nouvel espace régi par l’argent arabe, la politique régionale et internationale et une pression vieille de dix ans sous le blocus et la guerre.

En définitive, l’avenir du mouvement, son identité politique et de résistance, seront déterminés par le résultat de cette dialectique.

11 mai 2017 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah