L’occupant affame des existences broyées

11 mars 2025 - Des Palestiniens se pressent autour de Tekiyat al-Saada (cuisine solidaire) à Khan Yunis pour recevoir des repas Iftar pendant le mois sacré du Ramadan. Depuis des jours, Israël bloque l'approvisionnement de Gaza en nourriture et autres aides humanitaires. Après avoir coupé toute aide, Israël a également coupé l'électricité à Gaza, aggravant encore la crise humanitaire - Photo : Doaa Albaz / Activestills

Par Marie Schwab

Les survivants d’un génocide sont en droit d’attendre réparation. Mais pas à Gaza. À Gaza, après le génocide, le génocide continue. Celui, silencieux, par le siège.

L’occupant affame les survivants d’un génocide. Depuis deux semaines, l’occupant inflige aux deux millions de Palestiniens de Gaza un blocus total sur tout. Ni eau, ni nourriture, ni biens médicaux.

« Si l’occupant ne veut pas qu’on les compare aux Nazis, qu’ils arrêtent de se comporter comme des Nazis », conseille l’écrivain palestinien Mohammed al-Kurd.

L’occupant affame des humains aux existences broyées : des parents qui tout le jour cherchent les corps de leurs enfants sous les décombres, des enfants traumatisés souffrant déjà de malnutrition.

À Gaza, où l’âge médian est de 18 ans, les Palestiniens ont perdu en moyenne 18 kg depuis octobre 2023.

La France, le Royaume-Uni, l’Allemagne se distinguent une nouvelle fois par leur hypocrisie abjecte et leur lâcheté servile, s’inquiétant de ce que le blocage de l’aide « risque d’enfreindre le droit humanitaire ».

On ne saurait mieux, en une seule phrase, donner à la fois son blanc-seing à l’occupant, euphémiser le génocide, verser dans une amnésie plus perverse et déclarer le droit international nul et non avenu. En en pervertissant l’esprit et en s’essuyant les pieds sur les décisions des deux plus hautes juridictions au monde, la CPI et la CIJ.

Le génocide n’est pas une opinion. Il est constaté par les plus hautes Cours. Empêcher l’accès aux soins d’une population est un acte de génocide. Empêcher l’accès à l’eau d’une population est un acte de génocide. Empêcher l’accès à la nourriture d’une population est un acte de génocide.

Mais l’Occident minimise, et l’impunité continue.

« L’occupant tente d’obtenir par la faim notre soumission. C’est une nouvelle forme de terrorisme. Elle n’aura pas de prise sur la résistance qui s’en tient aux termes de l’accord de cessez-le-feu » : la parole de Hazem Qassem.

Dans le même temps, l’occupant prend d’assaut et détruit le système de soins en Cisjordanie, où les Nations Unies ont documenté plus de 54 attaques contre des centres médicaux depuis janvier 2025.

À Gaza, des milliers de blessés, malades, prématurés, privés d’oxygène et de traitements, sont en danger de mort.

Muhannad Hadi, coordinateur humanitaire chevronné des Nations Unies : « Je n’avais jamais rien vu approchant ce que j’ai vu à Gaza. Cette année a été plus éprouvante pour moi que mes 34 années dans l’humanitaire. Je pensais avoir assez d’expérience pour appréhender la situation à Gaza, mais j’ai rapidement réalisé que j’avais en fait encore tout à apprendre. »

150 Palestiniens ont été tués à Gaza par ciblage direct depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu selon Euromed Monitor. Parmi eux, de nombreux enfants.

« Si l’occupant ne veut pas qu’on le traite d’assassin d’enfants, qu’ils arrêtent d’assassiner des enfants », déclare Mohammed al-Kurd.

Si l’on rendait hommage par une minute de silence à chacun des enfants assassinés à Gaza, il faudrait plus de 300 heures (et cela sans prendre en compte les milliers d’enfants dont on n’a pas retrouvé le corps).

Mohamed Gomaa commente, depuis Beit Lahiya, en janvier : « Tout cela n’est pas la conséquence d’une catastrophe naturelle, non. Ce qui s’est passé, c’est une guerre d’extermination. »

« Crime d’extermination », c’est ainsi que le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies qualifie dans un rapport remis le 12 mars la destruction systématique et intentionnelle des conditions nécessaires à la survie de la population de Gaza.

« En coupant l’eau et la nourriture, vous privez les personnes des conditions nécessaires à leur survie », résume Sari Bashi, une des auteures du rapport.

Ce rapport fait aussi état d’actes de génocide dans la destruction systématique et intentionnelle de la capacité reproductive et de la santé sexuelle à Gaza.

Le moins qu’on puisse dire, me semble-t-il, c’est que ce rapport n’a pas suscité un grand intérêt médiatique. Pas plus que l’annulation par la Suisse, suite aux pressions d’Israël, d’une conférence mandatée par l’Assemblée générale des Nations Unies sur les crimes de l’occupation dans les Territoires occupés, qui devait se tenir à Genève le 7 mars.

Les médias n’ont pas non plus jugé utile de faire grand cas de la nouvelle proposition du Hamas de déposer les armes dans le cadre d’une trêve de cinq à dix ans.

Cette proposition, aussitôt décriée comme une « offensive de paix » par l’occupant, a été faite par la résistance lors de discussions directes ayant eu lieu dimanche dernier avec l’envoyé américain Adam Boehler – qui a été démis de ses fonctions ce matin. La même proposition avait été formulée par le Hamas en avril 2024.

À de nombreuses reprises, le Hamas a proposé des trêves de longue durée à l’occupant, des hudna de deux ou trois décennies en échange de la création d’un État palestinien sur 22% de la Palestine historique. Ces mains tendues se sont souvent traduites par l’assassinat de celui qui en prenait l’initiative : Ahmad Jabari en 2012, Ahmad Yassine en mars 2004, Abdelaziz al-Rantissi trois semaines plus tard.

À Gaza, il n’y a plus rien à détruire que les survivants du génocide. À Gaza, il y a deux millions d’histoires tristes.

Ces petits corps au visage couvert de poussière, alignés dans des flaques de sang ; cet homme mort les yeux écarquillés, se bouchant les oreilles, pour ne pas entendre le bruit de sa mort ; cette femme projetée à des dizaines de mètres par le souffle de la bombe, serrant toujours son bébé contre elle, nous les gardons dans nos cœurs.

Notre cœur saigne, mais que notre lutte soit joyeuse. Ne laissons pas à l’occupant le plaisir de nous gâcher notre joie de vivre. Ne laissons pas les prédictions fatalistes nous décourager.

S’appesantir sur les pires éventualités, c’est les normaliser, leur paver la voie. Notre seule direction, c’est le droit. C’est le droit qu’il faut porter, plébisciter, et les opportunités qu’il ouvre aux Palestiniens.

« Où que tu sois, jette du sable dans les rouages du génocide, jette-le maintenant. Si c’est une poignée, jette-la. Si ce ne sont que quelques grains, rassemble-les et jette-les. Mets-toi en travers, comme tu peux » – Rasha Abdelhadi, poétesse palestinienne.

Je voudrais terminer par une pensée pour Hamoudi, 10 ans, qui se retrouve à nouveau seul après l’assassinat par l’armée d’occupation de son oncle Moussa, 59 ans, à Rafah, la semaine dernière.

Une pensée pour Omar, qui passe ses journées à chercher les corps de sa femme et de ses quatre filles dans les charniers de l’hôpital al-Shifa.

15 mars 2025 – Transmis par l’auteure

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