Par Romana Rubeo, Ramzy Baroud
Une guerre menée par les sionistes contre un festival culturel palestinien à Rome a révélé la fragilité du système politique italien lorsqu’il s’agit de débattre de la Palestine et d’Israël. La triste vérité est que, bien que l’Italie ne soit pas souvent considérée comme un “puissant” lobby pro-Israël comme c’est le cas à Washington, l’influence pro-Israël en Italie est tout aussi dangereuse.
Le dernier épisode a commencé le 24 septembre, lorsque la communauté palestinienne de Rome a annoncé son intention d’organiser le “Falastin – Festival della Palestina”, un événement culturel qui vise à illustrer la richesse de la culture palestinienne dans toute sa grandeur. L’idée derrière ce festival n’est pas simplement d’humaniser les Palestiniens aux yeux des Italiens ordinaires, mais d’explorer les points communs, de cimenter les liens et de construire des ponts.
Cependant, pour les alliés d’Israël en Italie, même des objectifs aussi peu menaçants étaient trop lourds à supporter.
Le festival, parrainé par le II Municipio de Rome – une des subdivisions administratives de la municipalité centrale de Rome – s’est retrouvé au centre d’une controverse des plus bruyantes – et ridicule.
Le 25 septembre, un étrange message pro-Israël est paru sur le Partito Democratico II Municipio – le parti politique italien de centre-gauche qui contrôle cette subdivision en articulier. Sans contexte ni occasion particulière, ce message, qui arborait le drapeau israélien, célébrait l’amitié entre le Parti démocratique et Israël tout en condamnant le Mouvement palestinien de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS).
Les circonstances de la publication et son timing suggèrent que le Parti démocrate était attaqué pour son parrainage du festival palestinien. Submergée par les commentaires de colère sur les médias sociaux, la page Facebook du parti a brusquement supprimé le post anti-palestinien sans réelle explication.
Mais tout s’est ensuite éclairé lorsque, le 30 septembre, la communauté juive de Rome a publié une déclaration exprimant son indignation à la II Municipio pour avoir prétendument parrainé “un festival antisémite”. Usant de l’escroquerie délibérée de mélanger antisémitisme et critique légitime de l’Israël de l’apartheid, les représentants de la communauté juive se sont enragés au sujet du BDS et du prétendu boycott des entreprises juives.
La déclaration, dont nous traduisons ici une partie, affirme que “… le mouvement BDS assistera à l’initiative (le Festival), ce qui est inacceptable et dangereux (car) le mouvement de boycott nie l’existence même de l’État d’Israël et il est lié aux groupes terroristes du Hamas et du Fatah”.
Outre les affirmations sans fondement – plus précisément, complètement fallacieuses – la déclaration fait référence à la “définition de l’antisémitisme de l’IHRA”, qui a été reprise par le gouvernement italien ainsi que par les parlements français et autrichien. Sur la base de cette logique, la déclaration concluait que, premièrement, “le mouvement BDS est antisémite” et, deuxièmement, “la II Municipio légitime la haine anti-juive”.
Dans une initiative clairement coordonnée, le Centre Wiesenthal, qui se présente souvent comme une organisation progressiste, est également passé à l’attaque. Le jour même où la communauté juive de Rome publiait sa déclaration, le Centre a envoyé une lettre au Premier ministre italien, Giuseppe Conte, qui reprenait également les mêmes fausses alccusations d’antisémitisme du BDS, la définition de l’IHRA, etc…
Le Centre s’est abaissé au point de comparer le mouvement BDS au programme nazi allemand. Il a affirmé que le mouvement de boycott palestinien était, en fait, inspiré par le boycott des Juifs par les nazis, faisant référence au slogan “Kaufen nicht bei Juden” (N’achetez pas aux Juifs).
Les retombées ont été rapides et, à en juger par la lâcheté typique des politiciens européens, tout à fait prévisibles. La conseillère municipale du IIe arrondissement, Lucrezia Colmayer, a brusquement annoncé sa démission, “prenant ses distances” par rapport à la décision de la présidente du IIe arrondissement, Francesca Del Bello, de parrainer le festival.
“Par ce geste, je veux réaffirmer ma proximité avec la Communauté juive de Rome, avec laquelle j’ai partagé cet important parcours culturel et administratif”, a écrit Mme Colmayer.
Del Bello a rapidement fait suivre sa propre déclaration. Je m’excuse si le parrainage du IIe Municipio au “Falastin – Festival della Palestina” … a offensé la communauté juive et a conduit un conseiller municipal à démissionner”, a-t-elle écrit, refusant la démission de Colmayer et l’invitant à revenir au Conseil.
Heureusement, malgré tous les obstacles, “le Festival a été un grand succès”, nous a dit Maya Issa, membre de la Communauté palestinienne de Rome et du Latium.
Le Festival “a été un moyen pour les gens d’apprendre sur la Palestine et de voir la Palestine sous un autre jour”. L’atmosphère était magique – les couleurs, les parfums, la nourriture, la Dabkah, l’art et la littérature de Palestine”.
La bonne nouvelle est que, malgré la campagne sioniste italienne bien agencée, le Festival palestinien a quand même eu lieu et, selon Issa, “de nombreux politiciens italiens ont compris notre message et ont décidé d’y participer”.
Maintenant que le festival est terminé, les groupes pro-palestiniens en Italie sont prêts à contrer les fausses accusations et le langage diffamatoire que leur a infligé le camp pro-Israël.
“Nous répondrons par la vérité et nous réfuterons toutes les fausses accusations, en particulier les mensonges sur le mouvement BDS”, a déclaré Issa, ajoutant que “nous, la communauté palestinienne, devons résister, avec tous ceux qui soutiennent la vraie démocratie et la liberté”.
Il ne fait aucun doute que la communauté palestinienne d’Italie est plus que capable de mener à bien cette tâche cruciale. Toutefois, deux points importants doivent être gardés à l’esprit :
Premièrement, la “définition de l’antisémitisme de l’IHRA”, également connue sous le nom d’EUMC, a été délibérément utilisée à mauvais escient par les sionistes au point qu’une véritable tentative de lutte contre le racisme anti-juif a été transformée en un outil pour défendre les crimes de guerre israéliens en Palestine, et pour faire taire les critiques qui osent, non seulement contester les actions illégales d’Israël, mais même célébrer la culture palestinienne.
Il est particulièrement significatif que la personne même qui a rédigé cette “définition”, le procureur américain Kenneth S. Stern, ait condamné l’utilisation abusive de l’initiative.
Dans une déclaration écrite soumise au Congrès américain en 2017, Stern a fait valoir que la définition originale a été largement exploitée à mauvais escient et qu’elle n’a jamais été destinée à être manipulée comme un outil politique.
La “définition de travail” de l’EUMC a récemment été adoptée au Royaume-Uni et appliquée aux campus. Un événement de la “semaine contre l’apartheid israélien” a été annulé car il violait la définition. Un survivant de l’Holocauste a dû changer le titre d’une conférence sur le campus, et l’université (de Manchester) a exigé qu’elle soit enregistrée dans son intégralité, après qu’un diplomate israélien se soit plaint que le titre violait la définition”, a-t-il écrit.
Ce qui est peut-être le plus flagrant”, poursuit Stern, “c’est qu’un groupe hors campus citant la définition a demandé à une université de mener une enquête sur un professeur (qui a reçu son doctorat de Columbia) pour antisémitisme, sur la base d’un article qu’elle avait écrit des années auparavant. L’université (de Bristol) a ensuite mené l’enquête. Bien qu’elle n’ait finalement trouvé aucune base pour imposer une mesure disciplinaire au professeur, l’exercice lui-même était effrayant et digne de McCarthy”.
Un deuxième point à considérer également est que la politique italienne a atteint un point tel que, sur de nombreuses questions, il est devenu difficile de distinguer aisément les partis supposés progressistes des partis populistes. La Palestine, dans le nouveau discours politique italien, en particulier celui du Parti démocratique, est peut-être le cas le plus évident.
Ceci est particulièrement inquiétant, si l’on considère que le Partito Democratico était lui-même le point culminant idéologique des partis qui existaient à l’époque de la Première République italienne (1948-1992), qui étaient connus pour leurs positions fortes en faveur des droits et de l’autodétermination des Palestiniens et leur forte opposition aux violations du droit international par Israël.
Ce n’est plus le cas, car la position du parti sur la Palestine ne s’écarte guère du slogan étouffant : “Due popoli due stati” – “Deux peuples, deux États”.
La nouvelle ère de la politique italienne permet à des personnalités comme Lia Quartapelle – députée du Parti démocratique – de se poser en défenseur des droits de l’homme sur la scène mondiale tout en qualifiant Israël d'”exception extraordinaire, de démocratie plurielle dans une région qui a nourri des politiques sectaires et fondamentalistes”. Sa déclaration est non seulement fausse et trompeuse, mais elle incarne également une forme profonde de sentiment anti-arabe, voire, sans doute, de racisme pur et simple.
La tentative de mettre fin au Festival palestinien est un microcosme de l’agenda de politique étrangère de l’Italie en Palestine et en Israël, où Rome n’offre aux Palestiniens que des discours creux, tout en restant dans la pratique inféodée aux programme chauvin et raciste de la droite de Tel-Aviv.
Les Italiens doivent comprendre qu’il ne s’agit plus seulement d’un débat sur la Palestine et Israël, mais d’une discussion qui les touche directement, eux et leur démocratie. L’Italie est un pays qui a apporté, puis combattu et vaincu le fascisme ; elle s’est alliée au nazisme, puis l’a combattu et l’a vaincu. Une fois de plus, les mêmes choix se présentent à eux : se ranger du côté du racisme et de l’apartheid israéliens… ou soutenir la lutte du peuple palestinien pour la liberté.
* Editrice du site internet Palestine Chronicle, Romana Rubeo est traductrice freelance et vit en Italie. Elle est titulaire d’une maîtrise en langues et littératures étrangères et spécialisée en traduction audiovisuelle et journalistique. Ses centre d'intérêt sont principalement la politique et la géopolitique.Suivez ses comptes Facebook et Twitter. * Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle.
Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française)
Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.Auteur : Romana Rubeo
Auteur : Ramzy Baroud
9 octobre 2020 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah