De son enfance, mon grand-père Saeed ne se souvient guère que de la peur des bottes britanniques martelant le sol de son village, Beersheba.
Il n’avait que sept ans lorsqu’il a vécu la Nakba ; les milices sionistes ont expulsé mon grand-père par la force. Sa mère l’a porté sur des chemins accidentés, fuyant les horreurs de l’artillerie lourde et des armes, croyant que leur exil à Gaza ne durerait que quelques jours.
Ces étapes devaient cependant marquer le début d’une vie de réfugié qui s’étendrait sur des décennies. Après avoir été leur sanctuaire, Gaza allait devenir le lieu de leurs souffrances.
À Gaza, mon grand-père a grandi en écoutant les histoires d’une autre maison. Les images d’une époque révolue ont gravé sa mémoire. Imaginant qu’il reviendrait un jour, il a tissé des histoires de ce lieu pour ses enfants. Il s’est vite rendu compte que les rêves ne suffisaient pas. Dès son plus jeune âge, il s’est engagé dans les études.
Il pensait que l’éducation était la seule garantie d’un avenir digne malgré l’occupation. Il réussit à terminer ses études secondaires, malgré d’immenses difficultés et des problèmes financiers… Sa détermination l’a conduit en Égypte, où il a obtenu un diplôme en littérature arabe. Il a travaillé en Libye et s’est finalement installé en Arabie saoudite, enseignant dévoué qui travaillait avec passion et intégrité.
Darwish a écrit un jour : « Comme il est difficile de vivre sans patrie, étranger à tout endroit, vivant mais ne vivant pas ». Mon grand-père se languissait de Gaza, la ville qui l’avait accueilli en tant que jeune réfugié et à laquelle il appartenait autant qu’elle lui appartenait. Il a choisi d’y retourner en 2002, dans l’espoir de passer le reste de ses jours paisiblement au sein de sa famille, en adoptant la vie tranquille à laquelle il aspirait souvent.
La paix simple à laquelle mon grand-père aspirait à la fin de son voyage n’a jamais existé. C’est comme si l’injustice avait été son destin depuis l’enfance. À Gaza, il a été témoin de quatre guerres, en 2008, 2012, 2014 et 2021.
La cinquième, en 2023, n’a pas été comme les autres. Sans précédent dans l’histoire palestinienne et peut-être dans le monde moderne – un génocide ethnique collectif.
Dans les nuits de guerre, écrasées par le bruit des avions de guerre, mon grand-père était l’étreinte chaleureuse au milieu de tant de cruauté.
Il nous réunissait et nous racontait des histoires sur l’ancienne Palestine, ses bénédictions et ses sites qui témoignaient de son héritage cananéen et arabe avant que l’occupation ne la vole et ne la peigne en couleurs hébraïques. Il décrivait ses rues avant la Nakba, à travers les yeux d’un enfant qui leur disait adieu. C’est comme si la mémoire, après toutes ces années, s’accrochait encore à sa douleur la plus profonde.
Avec ses traits forts et ses yeux rayonnants de sagesse et de résilience, mon grand-père était plus qu’un nom sur une liste de victimes. Je l’ai toujours connu comme un symbole de force, qui se tenait debout face à chaque défi, aussi terrible soit-il. Je n’aurais jamais pensé que la guerre le priverait de sa force.
L’implacable guerre frappait chaque jour sa puissance et sa fierté. Son regard s’est éteint et son visage, autrefois plein de vie, a pâli et s’est couvert de rides qui racontent des histoires de souffrance.
En quelques mois, il perdit près de la moitié de son poids, son corps se desséchant sous l’effet de la faim et du manque de soins, souffrant en silence sans rien pour atténuer sa douleur. Aucun médicament n’était disponible pour soulager ses maux, et aucune nourriture n’était adaptée à son corps âgé.
C’est comme si la guerre avait conspiré pour le pousser lentement vers la mort.
Son état mental s’aggravait à chaque explosion, amplifiant sa souffrance. Il a souffert d’une thrombose, puis d’une autre, jusqu’à ce qu’il soit confiné au lit.
Mon grand-père, autrefois athlétique et résistant, n’était plus qu’une frêle carcasse, les os à peine recouverts par la peau. La guerre avait transformé l’homme fort qu’il était en l’ombre de lui-même.
Jour après jour, j’ai vu son visage se transformer et s’user. Je l’ai vu pour la dernière fois le 11 octobre 2024, lorsque notre dernière étreinte a évoqué une fin trop profonde pour être exprimée par des mots.
Une larme silencieuse a glissé sur son visage usé par le temps, qui avait été le témoin d’innombrables guerres et d’un immense chagrin. C’était comme si cette larme était un dernier adieu, me disant qu’il était sur le point de partir. Je me souviens encore de cette larme et je me demande si sa guérison aurait été plus facile s’il n’y avait pas eu de guerre. À quel point nos jours auraient-ils été meilleurs s’il n’y avait pas eu d’occupation israélienne ?
Mon grand-père a quitté Gaza, laissant derrière lui un héritage de souvenirs et une blessure qui ne guérira jamais. Il est parti rejoindre ceux qui l’avaient précédé, dans un lieu plus pur et plus accueillant, adapté à la bonté de son âme, tandis que nous restons ici, dans cette vie, à compter les morts innombrables et à les pleurer en silence.
Ils sont partis avec leurs corps, mais leurs histoires restent vivantes en nous, transmises en tant que vérité et mémoire. Ce que nous savons, c’est qu’ils ne sont pas de simples chiffres ou des histoires du passé. Ils sont l’âme de cette terre, victimes d’une injustice impardonnable.
Auteur : Ghada Abu Muaileq
* Ghada Abu Muaileq est étudiante en littérature anglaise et en traduction à l'université islamique de Gaza. Elle écrit des articles et des récits sur la vie de guerre à Gaza, documentant les expériences d'un peuple qui mérite une vie meilleure que celle qui lui est infligée par l'occupation israélienne.
14 décembre 2024 – The Palestine Studies – Traduction : Chronique de Palestine
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