Jusqu’en mai de l’année dernière, j’étais de longue date connue, ou connue un minimum, comme militante, formatrice, professeur, écrivaine, et conférencière dans la lutte contre le racisme.
Encore une jeune femme, j’ai été active dans le mouvement de boycott contre l’apartheid de l’Afrique du Sud.
Il était dans la logique des choses de devenir un défenseur des droits des Palestiniens, une critique de la politique israélienne envers les Palestiniens et une partisane du mouvement de boycott des produits israéliens – le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), ainsi qu’un membre de Palestine Solidarity Campaign, Jews for Justice for Palestinians et Free Speech on Israel – un groupe majoritairement juif.
Mes critiques les plus agressifs suggèrent que ma prétention à l’identité juive est une sorte de défense contre l’accusation d’être antisémite. Ce n’est pas cela et je remets simplement les événements récents dans leur contexte.
Si vous critiquez Israël, peu importe qui vous êtes, vous serez accusé d’antisémitisme. Alors, est-ce que je déteste les juifs ? Bien sûr que non. Ce que je déteste, c’est l’extrême droite et l’effet pernicieux qu’Israël, dirigé par le gouvernement Netanyahu, a sur la politique du Moyen-Orient et du monde.
Alors, comment cette chasse aux sorcières contre moi a-t-elle commencé ?
En février de l’année dernière, un groupe appelé Israel Advocacy Movement [mouvement de défense des intérêts israéliens] est allé à la pêche dans mon compte Facebook privé.
Je ne sais toujours pas quand et comment j’ai été identifiée comme une menace pour Israël, même si je présume que j’ai été repérée comme partisane de Jeremy Corbyn quand il a été décidé que celui-ci était une menace pour les intérêts israéliens.
Le message [post] sur Facebook n’était pas un message public, mais faisait partie d’une discussion privée avec un ami israélien sioniste et d’autres sur l’Holocauste africain et le fait que les juifs – notamment mes propres ancêtres portugais dont j’ai étudié l’histoire – avaient été impliqués dans le commerce du sucre et des esclaves.
Cette contribution sur Facebook a servi à publier un article à sensation et inexact dans le Jewish Chronicle [Chronique juive] qui prétendait que j’aurais dit que “les juifs ont causé l’Holocauste africain”. Les choses deviennent ensuite moins claires : soit le Israel Advocacy Movement, soit le Jewish Chronicle, m’ont signalé au Parti travailliste, qui m’a alors suspendu pour sous l’accusation d’être une possible raciste – pour être précis, une antisémite.
J’ai été scrutée en détail par le Parti travailliste. Mes messages sur Facebook, mes déclarations publiques ont été examinées à la loupe. J’ai assisté à une audience complète, mais la Compliance Unit [Unité de conformité] du Parti travailliste n’a pu trouver aucune raison de me condamner. Peu importe, ce verdict n’a fait apparemment aucune différence. Le harcèlement a continué. L’aile droite du Parti travailliste, le Jewish Chronicle et le Jewish Board of Deputies [Conseil des députés juifs] paraissaient furieux.
Les médias dominants, dont tous les journaux nationaux et même ceux traditionnellement identifiés comme plus libéraux, comme The Guardian, s’en sont mêlé. Personne ne m’a interrogé ou ne m’a demandé ma version des événements. Ils ont simplement répété des rapports en-dessous de tout, inexacts et biaisés du Jewish Chronicle.
Les médias britanniques semblent devenus partisans du moindre effort, et totalement craintifs.
Comme Shai Masot, le responsable israélien filmé sous le manteau par les enquêteurs d’Al Jazeera l’a dit clairement, je suis devenue quelqu’un dont chaque mouvement devait être suivi et rapporté.
Tentatives de “salir” Corbyn
Les personnes et les organisations, comme les groupes de solidarité avec les Palestiniens, qui voulaient m’entendre m’exprimer, avaient leurs comptes email et Facebook piratés.
Certains ont dû fermer des pages Facebook aux commentaires en raison du niveau des attaques racistes à mon égard. Des personnes ont été salies pour avoir été photographiées avec moi, pour avoir osé me soutenir.
Jeremy Corbyn s’est opposé au racisme, à la guerre, a protesté contre l’injustice et l’oppression toute sa vie, mais ce n’est pas une garantie contre les accusations d’antisémitisme. La direction du labour [Parti travailliste], ou la “Révolution Corbyn”, peu importe comment vous l’appeler, est depuis longtemps le plus grand défi à l’ordre politique établi que le Royaume-Uni a connu.
Les tentatives de salir Corbyn ont commencé dès qu’il est devenu candidat à la direction du Labour. Les journaux qui avaient publié des articles antisémites sur Ed Miliband, ancien dirigeant (et juif) du Parti travailliste, sont devenus soudainement champions de la lutte contre l’antisémitisme.
Les médias dominants ont exagéré sur tout, transformant chaque déclaration et citant à tort tout ce qu’ils pouvaient pour peindre Corbyn comme un antisémite ou comme indulgent sur l’antisémitisme. Et la droite du Parti travailliste a fait de son mieux pour les aider.
Ces accusations non seulement exploitent l’antisémitisme comme une arme, mais elles deviennent aussi une arme de destruction massive politique et comme toutes les armes nucléaires, entraînent des dommages collatéraux non seulement dans le Labour ou le mouvement ouvrier, mais dans les groupes pro-palestiniens et anti-guerre, sans oublier les individus eux-mêmes, leurs familles et leurs amis et les communautés politiques dont ils faisaient partie.
Être raciste ne consiste pas à oublier un mot dans un post sur Facebook, ce n’est pas se tromper sur une date ou qualifier “d’ami” un homme politique contestable alors que l’on cherche un accord.
Les racistes ne seraient donc plus ceux qui demandent l’expulsion des migrants, qui veulent exclure les réfugiés. Les racistes ne seraient plus les gens qui se plaignent d’un reporter de télévision qui porte un foulard. Non, c’est la gauche nous dit-on, qui serait coupable de ce nouveau racisme, de ce nouvel antisémitisme.
Le gouvernement israélien a alloué des millions de dollars pour financer des activités secrètes dont le but est de miner les campagnes BDS. La lutte contre le BDS est menée par le ministre israélien des Affaires stratégiques. Israël a embauché des salariés dont les noms sont tenus secrets. Il y a toute une section du renseignement dirigée par un ancien agent des services de sécurité. Celui-ci reçoit l’aide d’une “unité spéciale” des services de renseignements militaires israéliens, ainsi que de la police secrète.
Les individus et les groupes sont ciblés et ils ont eu un certain succès. Par exemple, en France, la campagne BDS a été considérée comme une activité “discriminatoire”, ce qui la rend de fait illégale.
Je pense qu’il y a des tentatives pour faire de même en Grande-Bretagne. Par exemple, en novembre de l’année dernière, Tom Watson, responsable du groupe des députés du Parti travailliste, a qualifié de gens “sans morale” les partisans du mouvement de boycott lors d’un dîner des Labour Friends of Israel [Amis d’Israël au Parti travailliste].
Mais revenons aux principes : je m’oppose à toutes les formes de racisme, y compris l’antisémitisme, mais je ne me laisserai pas réduire au silence dans la critique du gouvernement israélien. Je suis d’accord, le sionisme ne doit pas être utilisé comme une couverture pour attaquer les juifs. Cependant, le sionisme fait partie du lexique politique, et il est essentiel si l’on défie le concept d’État juif.
Permettez-moi de répéter que l’opposition à un État juif est une position politique honorable et légitime et que nous sommes très nombreux, y compris de nombreux juifs, à avoir maintenu cette position depuis des décennies.
* Jackie Walker est une militante anti-raciste, formatrice, professeur, écrivaine et conférencière.
14 janvier 2017 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah