Par Rania Muhareb
L’Intifada unitaire de mai 2021 a souligné la centralité de la mobilisation populaire palestinienne dans la lutte contre le régime colonial d’apartheid d’Israël.
Il est impératif que les débats sur un mouvement anti-apartheid en Palestine restent fidèles à la praxis décoloniale de l’Intifada unitaire : affronter le « colonialisme raciste des colons dans toute la Palestine » du sionisme et remettre en cause la fragmentation par Israël du peuple palestinien, en tant qu’outil de domination.
Cette note politique examine la décolonisation dans le contexte du droit international et de la reconnaissance croissante de l’apartheid israélien. Il propose des recommandations sur la manière dont les Palestiniens et leurs alliés devraient élaborer une stratégie pour un mouvement anti-apartheid efficace par des voies légales, et postule qu’un mouvement anti-apartheid à travers la Palestine colonisée et en exil peut aider les Palestiniens à renforcer leur programme politique et à réaffirmer leur unité.
Une stratégie anti-apartheid par le droit international
Tout mouvement anti-apartheid efficace en Palestine doit être fondé sur le rejet historique du sionisme en tant que projet raciste et colonialiste. Depuis des décennies, les Palestiniens mettent en exergue la décolonisation dans leur lutte pour la libération.
En effet, sans vision de la décolonisation, les universitaires ont averti qu’une lutte anti-apartheid peut, au mieux, aboutir à une « restructuration » du régime plutôt qu’à son démantèlement.
Cependant, de récents rapports sur les droits de l’homme mis au point par des groupes internationaux et israéliens ignorent largement l’héritage de la lutte décoloniale des Palestiniens. Par conséquent, ils font progresser les conceptions libérales de l’égalité au détriment de l’élaboration de stratégies de décolonisation par des voies juridiques.
Si le droit international interdit l’apartheid en tant que discrimination raciale, crime contre l’humanité et violation grave engageant la responsabilité d’un État tiers, il ne criminalise pas pour autant le colonialisme en soi.
Si le droit international est limité dans son opposition au colonialisme, il reste un outil précieux qu’il ne faut pas négliger. À savoir, le droit international interdit les éléments clés du projet de colonisation sioniste, dont le transfert de population, l’apartheid, l’annexion et l’acquisition de territoire par la force.
Il consacre aussi le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et le droit au retour des réfugiés. Un mouvement anti-apartheid palestinien doit déployer stratégiquement ces normes juridiques pour faire face à la nature criminelle de l’État d’Israël et à ses violations du droit international.
Les campagnes de la société civile palestinienne ont permis une bien meilleure reconnaissance de l’apartheid israélien au sein du système des droits de l’homme des Nations Unies, y compris par les États membres du Conseil des droits de l’homme.
De plus, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a constaté que les politiques israéliennes ciblant les Palestiniens à travers la Palestine colonisée, transgressent l’interdiction de la ségrégation raciale et de l’apartheid, telle que présentée par une coalition de la société civile dirigée par des Palestiniens.
Le 27 mai 2021, dans le contexte de l’Intifada unitaire, le Conseil des droits de l’homme a créé sa toute première commission d’enquête sur “toutes les causes profondes sous-jacentes” de l’oppression palestinienne, y compris “la discrimination et la répression systématiques fondées sur des considérations nationales, ethniques, raciales ou religieuses”.
Cet organisme d’enquête est sans précédent dans son mandat et sa portée; il couvre toute la Palestine colonisée et constitue l’une des plus importantes voies de campagne et de plaidoyer contre le régime colonial d’apartheid d’Israël.
La Commission d’enquête devrait soumettre son premier rapport au Conseil des droits de l’homme en juin 2022 et, à l’heure actuelle, elle accueille favorablement les contributions sur les causes profondes de la discrimination systématique dans l’ensemble de la Palestine historique.
En outre, la Cour pénale internationale (CPI) est compétente pour le crime d’apartheid dans le cadre de son enquête en cours sur la situation en Palestine. L
e crime d’apartheid n’a jamais fait l’objet de poursuites internationales ou nationales, et bien que la juridiction de la CPI en Palestine soit limitée géographiquement et temporellement, il y a une valeur stratégique à poursuivre devant la CPI la responsabilité d’Israël dans le crime d’apartheid.
Alors que la mobilisation populaire des Palestiniens à travers la Palestine colonisée et en exil sera finalement la clé de la libération palestinienne, le droit international peut aider à faire avancer ce mouvement en renforçant la pression extérieure et en générant des conséquences tangibles pour les crimes ininterrompus d’Israël.
Le cadre de l’apartheid offre une voie de recours et permet aux Palestiniens de contester la fragmentation imposée par Israël et de construire une lutte unitaire.
Recommandations
Pour élaborer une stratégie pour un mouvement anti-apartheid palestinien et tenir les auteurs israéliens responsables du crime d’apartheid contre le peuple palestinien, les Palestiniens et leurs alliés devraient :
- Soutenir et étendre les campagnes de la société civile appelant à des mesures efficaces pour contrer le régime colonial d’apartheid d’Israël, notamment par le désinvestissement et les sanctions.
- Exhortez l’Assemblée générale des Nations Unies à rétablir les mécanismes anti-apartheid, en particulier le Comité spécial contre l’apartheid, pour lutter contre le crime d’apartheid d’Israël.
- Étendre le mandat du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la Palestine pour inclure le peuple palestinien dans son ensemble, y compris les violations des droits de l’homme des deux côtés de la Ligne verte et contre les Palestiniens en exil.
- Poursuivre devant la CPI les auteurs israéliens de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, y compris pour les crimes d’apartheid et de transfert de population.
- Appelez les États tiers à activer les mécanismes de compétence universelle pour poursuivre les auteurs du crime d’apartheid devant leurs tribunaux.
- Exigez que la dernière commission d’enquête de l’ONU reconnaisse l’apartheid israélien et le colonialisme sioniste comme les causes profondes de l’oppression palestinienne.
Auteur : Rania Muhareb
* Rania Muhareb est membre du Conseil irlandais de la recherche et boursière du doctorat Hardiman au Centre irlandais pour les droits de l'homme de l'Université nationale d'Irlande à Galway. Sa recherche doctorale est centrée sur la pertinence du cadre de l'apartheid dans la lutte palestinienne pour la décolonisation. Entre 2017 et 2020, elle a travaillé comme juriste auprès de l'organisation palestinienne de défense des droits de l'homme, Al-Haq. Rania est titulaire d'un LLM (Master of Law) en droit international des droits de l'homme et droit humanitaire de l'Université européenne Viadrina de Francfort (Oder) et d'un diplôme de premier cycle de Sciences Po Paris. Son compte Twitter.
23 mars 2022 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah