Par Ramzy Baroud
Une autre année critique pour la Palestine vient de se terminer. Si l’année 2022 n’a rien changé de notable en termes d’occupation militaire israélienne et de violence qui ne cesse d’augmenter, elle a cependant intégré de nouvelles variables dans la lutte palestinienne – aux niveaux national, régional et international.
La Palestine, la guerre et les Arabes
La guerre entre la Russie et l’Ukraine [et l’OTAN, NdT], qui a débuté en février, a poussé de nombreuses entités politiques, y compris les Palestiniens, à prendre parti ou, du moins, à choisir un camp. Bien que l’Autorité palestinienne (AP) et divers partis politiques palestiniens ont voulu afficher leur neutralité, le refus de la Russie de se plier au paradigme politique imposé par les États-Unis au Moyen-Orient a ouvert de nouvelles marges de manoeuvre pour les Palestiniens.
Le 4 mai dernier, une délégation de dirigeants du Hamas a rencontré des responsables russes à Moscou et, quelques mois plus tard, le dirigeant de l’AP, Mahmoud Abbas, a défié Washington en ayant un entretien avec le président russe Vladmir Poutine à Astana, au Kazakhstan.
Malgré la colère des États-Unis à l’égard d’Abbas, Washington ne pouvait guère exercer de représailles contre les dirigeants palestiniens, compte tenu des délicats équilibres géopolitiques au Moyen-Orient et dans le monde.
Les nouveaux espaces politiques créés par le nouveau conflit mondial ont également apporté une plus grande cohésion à la position arabe sur la Palestine, comme l’a exprimé une déclaration de l’organisation panarabe, la Ligue arabe, au Caire le 29 novembre. Ahmed Aboul Gheit avait alors insisté sur la volonté arabe d’une paix juste et fait l’éloge de la « Déclaration d’Alger » du mois précédent.
Le 12 octobre, 14 groupes politiques palestiniens se sont réunis en Algérie et ont signé un accord de réconciliation fondé sur la fin de la division par des élections présidentielles et parlementaires.
Cet accord s’inscrivait dans une dynamique d’un an au cours de laquelle les gouvernements arabes ont renouvelé leur position de soutien aux Palestiniens, tant sur le plan financier que politique, en accordant de nouveaux fonds à l’agence pour les réfugiés palestiniens, l’UNRWA, ou en soutenant la Palestine aux Nations unies.
Le 3 octobre, les représentants arabes aux Nations unies ont présenté la résolution A/C 1/77 L.2, exigeant qu’Israël se débarrasse de ses armes nucléaires et place « toutes ses installations nucléaires sous les garanties complètes de l’Agence internationale de l’énergie atomique ».
La résolution a été approuvée à une écrasante majorité par l’Assemblée générale des Nations unies le 28 octobre.
Nations Unies : « L’année la plus meurtrière »
Bien que l’ONU n’ait pris aucune mesure réelle pour punir Israël de son occupation militaire et de ses violations des droits des Palestiniens, plusieurs initiatives et résolutions de l’ONU ont illustré la place centrale de la Palestine dans l’agenda international.
En août dernier, les « experts de l’ONU » ont condamné « l’escalade des attaques d’Israël contre la société civile palestinienne en Cisjordanie occupée », déclarant que ces actions conduisent à une suppression très problématique des défenseurs des droits de l’homme, et sont « illégales et inacceptables ».
En octobre, Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, a présenté un rapport à l’Assemblée générale des Nations unies [AGNU], dans lequel elle conclut que la réalisation du droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination passe par le démantèlement du régime israélien de colonisation et d’apartheid.
Le 30 novembre, l’AGNU a également adopté une résolution pour mrquer le jour de la Nakba, qui commémore l’expulsion forcée de centaines de milliers de Palestiniens de leurs terres en 1948.
Hélas, aucune de ces déclarations n’a modifié la nature violente de l’attitude d’Israël à l’égard des Palestiniens.
Le 29 octobre, l’envoyé des Nations unies pour le Moyen-Orient, Tor Wennesland, a déclaré que 2022 était en passe d’être « l’année la plus meurtrière » pour les Palestiniens de Cisjordanie occupée depuis que les Nations unies ont commencé en 2005 à recenser le nombre de Palestiniens tués.
La violence israélienne et le Repaire aux lions
Depuis le début de l’année 2022, Israël a assassiné plus de 200 Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza sous occupation, dont 47 enfants. Seuls quelques-uns d’entre eux ont fait les gros titres des médias grand public.
Cependant, le monde s’est tout de même montré choqué après le meurtre de sang-froid de la célèbre journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh, le 11 mai, alors qu’elle couvrait la tragique actualité dans la ville de Jénine. Les nombreux appels à une enquête impartiale ont finalement convaincu le FBI d’ouvrir une enquête criminelle sur le meurtre d’Abu Akleh.
La folie meurtrière israélienne était motivée par deux raisons : premièrement, la montée de la résistance armée dans le nord de la Cisjordanie, et deuxièmement, la scène politique chaotique d’Israël.
La poursuite des attaques israéliennes contre Jénine, Naplouse et d’autres villes et camps de réfugiés de Cisjordanie a entraîné la formation d’un nouveau groupe armé palestinien connu sous le nom de « Repaire aux lions ».
Contrairement à d’autres groupes, le mouvement basé à Naplouse n’était pas lié à une seule organisation en particulier, ce qui a créé de nouveaux espaces pour l’unité nationale entre tous les Palestiniens, quels que soient leurs antécédents et affiliations politiques ou idéologiques.
Le gouvernement israélien a rapidement pris des mesures de rétorsion contre la nouvelle organisation armée. Le ministre israélien de la défense, Benny Gantz, a voulu nier l’impact de l’appel du groupe le 13 octobre, en claironnant : « Nous finirons par mettre la main sur les terroristes», et estimant leur nombre à une trentaine de combattants.
« Nous trouverons le moyen de les atteindre et nous les éliminerons », s’était vanté Gantz. L’évaluation israélienne s’est avérée fausse, car la brigade a continué de croître, se transformant en d’autres brigades à Jénine, Al-Khalil (Hébron) et dans d’autres régions de Cisjordanie.
Le meurtre du combattant palestinien Oday Tamimi lors d’un affrontement près de la colonie juive illégale de Maale Adumim le 19 octobre a encore accentué l’audace de la nouvelle génération de résistants palestiniens.
En outre, l’assassinat filmé d’Ammar Mufleh dans la ville de Huwara le 2 décembre a également illustré la volonté d’Israël de faire fi du droit international pour mettre fin à la rébellion armée en cours en Palestine occupée.
La violence israélienne est également directement liée à la propre crise politique de Tel Aviv. Bien que Benjamin Netanyahou a été évincé par une alliance improbable entre diverses forces politiques israéliennes, dirigée par l’ancien Premier ministre Naftali Bennett en juin 2021, le plus ancien Premier ministre israélien est sur le point de mettre en place son gouvernement.
Bennett a démissionné de son poste le 20 juin, laissant la direction à son partenaire de coalition, Yair Lapid. De nouvelles élections, les cinquièmes en trois ans, ont eu lieu le 1er novembre. Cette fois-ci, la coalition d’extrême-droite de Netanyahu l’a emporté avec une marge confortable, introduisant dans le gouvernement israélien déjà extrémiste des fascistes notoires comme Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, connus pour leurs actions et leur rhétorique violentes contre les Palestiniens.
Bien que Washington a fait savoir le 2 novembre qu’il ne travaillerait pas directement avec Ben-Gvir, l’ambassadeur américain en Israël, Thomas Nides, a semblé revenir sur cette position en déclarant que « personne ne portera atteinte aux liens indéfectibles entre Israël et les États-Unis ».
Si l’on garde à l’esprit que l’augmentation de la violence en Cisjordanie était le résultat direct de la nature ultra-agressive du gouvernement Bennet-Lapid, qui s’efforçait de démontrer son intransigeance face à la résistance palestinienne, on s’attend à ce que le nouveau gouvernement soit encore plus violent, ouvrant la voie à une confrontation plus large en Cisjordanie et à Gaza.
La guerre israélienne, brève mais meurtrière, contre la bande de Gaza assiégée le 5 août, a fait au moins 50 morts et 360 blessés parmi les Palestiniens, selon les estimations des Nations unies.
Malgré les ravages causés par la guerre, la situation aurait pu être bien pire, car tous les groupes palestiniens n’ont pas pris part aux combats et Israël a semblé vouloir mettre fin à son agression avant qu’un conflit plus long ne lui coûte un prix politique plus lourd.
Netanyahu, lui aussi, peut vouloir recourir à la guerre contre Gaza, s’il a besoin de faire diversion face à de futures difficultés politiques ou par volonté de conserver ses partenaires d’ultra-droite.
La culture de l’espoir
Malgré la violence de l’occupation israélienne et les difficultés liées à l’isolement et au siège, la culture palestinienne a continué à s’épanouir. Les artistes, cinéastes, athlètes, intellectuels et enseignants palestiniens continuent à laisser leur empreinte sur la scène culturelle en Palestine, au Moyen-Orient et dans le monde entier.
En mai, Mohammed Hamada, un haltérophile de 20 ans originaire de la bande de Gaza, est devenu le premier athlète palestinien à remporter des médailles d’or et de bronze aux championnats du monde d’haltérophilie organisés à Héraklion, en Grèce.
En septembre, l’ingénieure palestino-américaine Nujoud Fahoum Merancy a été nommée l’une des responsables des missions Artemis, un programme de la NASA qui vise à envoyer des astronautes sur la Lune.
La résistance et les réalisations culturelles palestiniennes sont constamment stimulées par la solidarité internationale croissante avec la Palestine.
Grâce à l’American Friends Service Committee (AFSC), la multinationale General Mills a annoncé en juin qu’elle se désengageait entièrement d’Israël. C’est l’une des nombreuses autres réalisations attribuées au mouvement de boycott dirigé par la Palestine, auquel participent d’autres entreprises, des universités et des églises.
Cependant, rien n’est comparable au flot ininterrompu de solidarité manifesté par les supporters de football arabes et internationaux lors de la Coupe du monde 2022 au Qatar, qui a débuté le 30 novembre.
Bien que l’équipe nationale de football de Palestine ne se soit pas qualifiée pour l’événement sportif le plus important du monde, le drapeau de la Palestine était le plus visible parmi tous les autres drapeaux de tous les pays. L’emblématique du Kufiyeh palestinien était également porté par des milliers de fans, dont des dirigeants importants, des dignitaires et des célébrités.
2022 a été une nouvelle année de tragédie et d’espoir pour les Palestiniens, mais c’est cet espoir, porté par de nombreuses petites victoires, qui rend possible la lutte pour la liberté des Palestiniens.
Chacun souhaite que 2023 soit une meilleure année.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
1er janvier 2023 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah