Par Yara Hawari
Tandis qu’Israël continue de torturer les prisonniers en toute impunité, les appels palestiniens à un traitement humain ne sont pas entendus.
Samer al-Arbeed, un Palestinien de 44 ans et soupçonné d’avoir organisé un attentat à la bombe mortel en Cisjordanie occupée, a été violemment arrêté le 25 septembre par des soldats israéliens en tenue civile. Après avoir été passé à tabac, il a été conduit au tristement célèbre centre d’interrogatoire Maskobiyeh à Jérusalem, où il a été soumis à des actes de torture si graves qu’il a dû être hospitalisé.
Al-Arbeed reste dans un état critique et n’a pas avoir correctement accès aux soins médicaux ni à ses avocats. Les médias israéliens ont rapporté qu’un organe judiciaire avait autorisé les services secrets israéliens, le Shin Bet, à utiliser des “méthodes exceptionnelles” pour obtenir des informations sur cette affaire, ce qui a conduit Amnesty International à condamner comme étant de la torture légalement autorisée ce qu’a subi al-Arbeed.
Pendant ce temps, une autre prisonnière, Heba al-Labadi, une Palestinienne de 24 ans, fait une grève de la faim depuis plus de deux semaines après avoir été condamnée à une peine de détention administrative de cinq mois et avoir été soumise à des actes de torture physique, notamment dans des situations insoutenables de stress. De telles positions de stress peuvent impliquer d’attacher les mains aux chevilles, forçant le prisonnier à se pencher en avant pendant de longues périodes.
La situation d’al-Arbeed et d’Al-Labadi n’est malheureusement pas exceptionnelle et les interrogateurs israéliens recourent fréquemment à la torture contre des prisonniers politiques palestiniens, qui sont au nombre d’environ 5000.
L’interdiction de la torture est clairement inscrite dans le droit international et la Convention des Nations Unies Contre la Torture (ratifiée par Israël en 1991) le rappelle. La convention définit la torture comme “un acte par lequel une forte douleur ou des souffrances graves, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées de façon à obtenir d’une personne ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux”.
En vertu du régime juridique international, Israël est donc tenu de ne pas commettre d’actes de torture contre qui que ce soit, y compris les Palestiniens. Pourtant, Addameer, une organisation de défense des prisonniers et des droits de l’homme palestiniens, a abondamment documenté le fait qu’Israël viole cette convention depuis des décennies. “Les abus et mauvais traitements infligés à des détenus palestiniens par Israël sont répandus et systématiques et commencent généralement à partir du moment de l’arrestation”, a déclaré l’organisation.
La torture des Palestiniens par Israël est particulièrement facilitée par son régime militaire d’occupation imposé sur la Cisjordanie. Ce régime permet aux Palestiniens d’être interrogés pendant 90 jours, sans recours à un avocat. Cette période initiale d’interrogatoire peut alors être renouvelée indéfiniment. Au cours de l’interrogatoire, les prisonniers palestiniens sont régulièrement soumis à diverses formes de torture mentale et physique, notamment des passages à tabac, des situations de stress, la privation de sommeil et l’isolement cellulaire.
L’absence de communication pour les priosnniers avec le monde extérieur permet souvent à ce traitement de se poursuivre sans contrôle. Depuis l’imposition du régime militaire sur la Cisjordanie en 1967, le Club des prisonniers palestiniens (une ONG) a signalé la mort de 73 détenus à la suite de tortures.
Après l’annonce de l’arrestation et de la torture d’al-Arbeed, les Palestiniens de Ramallah et de Jérusalem ont protesté non seulement contre les traitements inhumains qu’il a subis de la part des Israéliens, mais aussi contre l’incapacité du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) de respecter son mandat de protection des détenus et les prisonniers contre les mauvais traitements.
Quelques jours après que al-Arbeed a été transféré dans un hôpital dans un état critique, des militants ont organisé un sit-in pacifique dans les bureaux du CICR à Ramallah, exigeant que le Comité fasse pression sur Israël pour permettre à al-Arbeed de se rendre dans une clinique pour évaluer son état de santé.
La famille et les amis des prisonniers participent depuis longtemps à des sit-in et à des manifestations dans les bureaux du CICR, ces manifestations étant leur seul moyen d’action disponible face à l’impunité totale dont bénéficie le régime israélien pour ses violations perpétrées.
Un médecin du CICR a finalement pu rendre visite à al-Arbeed à l’hôpital et partager des informations médicales avec la famille à la demande des militants.
Le CICR a ensuite publié une déclaration, non pas pour condamner le traitement infligé à al-Arbeed par Israël, mais pour condamner les militants qu’il accusait d’avoir “insulté” son personnel en mettant en doute leur engagement envers les détenus palestiniens.
Cette condamnation mal inspirée ignore complètement le fait que les Palestiniens ont parfaitement le droit de se demander si une organisation internationale remplit son mandat. En particulier parce que leurs conditions de vie continuent de se dégrader tandis que l’aide internationale et les activités humanitaires continuent de se développer.
La demande d’un traitement humain et du droit de ne pas être soumis à la torture est un minimum, et les appels et actions en ce sens doivent donc être respectés.
Auteur : Yara Hawari
* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire.En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera. Son compte twitter.
8 octobre 2019 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine