Mahmoud Ahmad Zaal Odeh a été abattu par un colon israélien alors qu’il travaillait sur ses 30 dunums (7,5 acres) de terres agricoles à Ras al-Nakleh, près de son village natal de Qusra au sud de Naplouse, en Cisjordanie occupée.
Zaal Odeh avait 46 ans au moment où il a été tué en novembre dernier et il a laissé derrière lui non seulement sa femme mais aussi sept enfants – quatre filles et trois garçons.
“Si j’avais été là-bas, je l’aurais déchiré de mes dents”, a déclaré à Al Jazeera, Manal Shekadeh Abdel Raziq, la veuve de Zaal Odeh, en parlant du meurtrier.
“[Mahmoud] a été assassiné sur ses terres”, a-t-elle poursuivi. “Le colon est venu et il provoquait mon mari et détruisait nos plants de vigne.”
“Je pense que mon mari essayait de saisir quelque chose par terre pour le frapper et [le colon] lui a tiré une balle dans la tête, une à l’épaule et une dans le dos.”
Avec le récent assouplissement des lois sur les armes à feu en Israël, de nombreux Palestiniens craignent que des crimes comme celui commis sur Mahmoud ne deviennent plus courants, tant en Cisjordanie qu’en Israël même.
Le 20 août, le ministre israélien de la Sécurité publique, Gilad Erdan, a annoncé que plus d’un demi-million de citoyens israéliens seraient désormais en mesure de posséder des armes, sans formation particulière ni permis spécial.
Erdan a cité la nécessité pour les civils de répondre aux “attaques terroristes” comme raison du changement dans la loi.
“Des citoyens qualifiés portant des armes à feu en public contribuent au sentiment de sécurité, constituent une ligne de défense importante contre les attaques de ‘loup solitaire’ [attaques à l’initiative d’une seule personne] et renforcent ainsi la sécurité publique”, a déclaré Erdan dans un communiqué.
Selon les statistiques du groupe de défense des droits de l’homme B’Tselem, 29 civils israéliens ont abattu 29 Palestiniens en Israël et en Cisjordanie au cours des 10 dernières années, tandis que dans la même période 84 civils israéliens ont été tués par des Palestiniens.
La majorité des décès des deux côtés provenaient de tirs à balles réelles.
Le Yesha Council – l’organisation qui chapeaute tous les conseils municipaux des colonies – a été contacté pour commenter la modification des lois israéliennes sur les armes à feu, mais il a refusé de répondre à Al Jazeera.
Dans les lois antérieures, pour obtenir une arme à feu, les Israéliens devaient prouver qu’ils en avaient besoin, par exemple parce qu’ils vivaient dans une zone considérée comme dangereuse – les colonies juives en Cisjordanie occupée sont considérées comme telles.
Selon le Bureau national de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) pour la défense des terres à Naplouse, il y a actuellement 145 000 Israéliens en Cisjordanie qui détiennent des permis pour porter des armes à feu.
Avec l’assouplissement de la loi, on estime que 200 000 nouveaux colons porteront désormais des armes pour tuer.
Les nouvelles lois autorisent tout ancien soldat d’infanterie de l’armée israélienne d’occupation ainsi que les ex-policiers, à obtenir un permis de port d’arme.
Compte tenu de la conscription obligatoire en Israël à partir de 18 ans, ces lois pourraient en définitive s’appliquer à la majorité de la population.
En plus de cela, le personnel de l’armée classé premier lieutenant ou supérieur et les sous-officiers classés au premier rang ou au-dessus, seront autorisés à garder leurs armes après le service, n’ayant plus à les restituer.
Combattre le soit-disant “terrorisme”
En tant que députée de la Knesset pour la Liste arabe commune, Haneen Zoabi estime que la modification de la loi israélienne sur les armes à feu n’est que la dernière d’une série de mesures contre les Palestiniens.
“Après qu’ils aient adopté leur loi sur l’État-nation, ils sentent qu’ils peuvent faire n’importe quoi sans se soucier des valeurs démocratiques [et] de l’égalité entre les citoyens!”, a déclaré la députée Zoabi à Al Jazeera.
“En Israël, il est si facile d’insister sur le fait que le citoyen palestinien est un terroriste”, a déclaré Mme Zoabi, faisant référence aux raisons déclarées de la nouvelle loi.
“Dans le contexte de la haine et de la diabolisation des Palestiniens. Ils disent: ‘Bien, je sais que vous n’aimez pas les Palestiniens… Alors je légalise les armes et vous permet d’avoir une arme à feu’…”, a-t-elle déclaré.
Alors que la loi concernera davantage de personnes en Israël, la situation actuelle en Cisjordanie peut être considérée comme un exemple de ce qui va arriver, maintenant que toutes les régions d’Israël [Palestine historique] sont considérées comme “dangereuses”.
“Le message politique de cette procédure aura des implications psychologiques et même pratiques”, a expliqué Zoabi.
“[Les Israéliens] se sentiront plus en confiance pour tirer sur un Palestinien… et cela augmentera leur disposition à tuer.”
Toujours selon Zoabi, l’assouplissement de la loi affectera également le système judiciaire qui discrimine déjà systématiquement les Palestiniens.
“Lorsque vous êtes devant un juge, après qu’un [israélien] ait tiré sur un Palestinien, avec cette loi le jugement sera très différent. Il est maintenant plus légal de tuer [un Palestinien]”, a expliqué Zoabi.
“A présent, les Palestiniens sont définis légalement comme des terroristes, et celui qui a une arme à feu est défini légalement comme celui qui a la permission de tuer.”
L’expérience de Manal Shekadeh Abdel Raziq de Qusra est tout a fait significative. Alors que le procès pour la mort de son mari se poursuit toujours après 10 mois, elle a déclaré que le tribunal israélien accuse son mari et non le colon, même si les Israéliens ont violé l’entrée d’une propriété privée.
“La cour dit que c’était un cas de légitime défense pour le colon”, a ajouté Abdel Raziq.
La famille attend toujours que le rapport d’autopsie soit publié, mais, selon Abdel Raziq, la police israélienne retient les documents.
“Je me sens très opprimée, ils piétinent leur propre loi. Je ne pense pas que quelque chose en notre faveur va sortir du tribunal.”
“Les Israéliens ont déjà une armée”
Alors que le nombre de victimes civiles est plus élevé chez les Israéliens que chez les Palestiniens, la députée Zoabi soutient qu’il n’y a pas de comparaison à faire.
“Les colons en Cisjordanie n’ont pas besoin de tirer sur les Palestiniens, il y a une armée qui le fait. Ils ont déjà quelqu’un pour faire ce sale boulot à leur place”, dit-elle.
“Les colons attaquent et violent les propriétés palestiniennes, et ils ont toujours l’armée israélienne pour les défendre. C’est un supplément, c’est pour le plaisir de tuer et pour [des raisons] idéologiques, pas pour le danger.”
Zoabi se réfère à la violation du droit international par les colons israéliens qui vivent dans des territoires occupés. “Les colons ne doivent pas être là, ils se mettent [eux-mêmes] en situation de risque”.
“Personne n’a le droit de venir et de prendre des terres [palestiniennes], de déraciner les arbres et de dire: ‘Ne m’attaquez pas, j’ai le droit d’être protégé’. Non, ce sont des colons selon la loi internationale, et il n’ont aucun droit d’être protégés.”
Mais le porte-parole de B’Tselem, Amit Gilutz, souligne que même les civils qui s’installent en territoire occupé ne devraient pas être la cible d’attaques.
“L’un des principaux axes du droit international est la distinction entre combattants et civils”, a déclaré Gilutz.
“Ainsi, vivre dans une zone occupée, qui constitue en soi une violation du droit international, ne fait pas de vous une cible légitime si vous êtes un civil”.
Il a poursuivi en déclarant que même si des Palestiniens prenaient l’initiative d’attaquer des civils israéliens, le meurtre de Palestiniens par des Israéliens est souvent injustifié.
“La force mortelle ne peut être utilisée que face à un danger imminent pour vous ou pour d’autres personnes et lorsqu’il n’y a pas d’autre choix”, a déclaré Gilutz.
“Les forces de sécurité israéliennes ont été prises sur le fait à de nombreuses reprises alors qu’elles utilisaient une force meurtrière sans justification contre des Palestiniens qui ont mené ou tenté de mener une attaque contre eux”.
Malgré les nouvelles lois, Abdel Raziq a déclaré qu’elle et sa communauté ne ressentaient pas plus de crainte.
“Nous ne craignons pas la mort. Des gens meurent tous les jours. La communauté n’en tiendra pas compte. De toute façon, je ne quitte pas ma terre.”
12 septembre 2018 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine