Par Abdel Bari Atwan
Le Caire a-t-il obligé Washington à cesser de soutenir le programme de nettoyage ethnique d’ « Israël » ? interrofe Abdel Bari Atwan.
Les remarques faites par le président égyptien Abdelfattah as-Sisi lors de sa conférence de presse conjointe avec le chancelier allemand Olaf Sholz au sujet du plan américano-israélien d’expulsion de la population de la bande de Gaza vers le Sinaï sont importantes. Elles méritent d’être examinées de près pour les raisons suivantes :
- Premièrement, la suggestion de Sisi selon laquelle si Israël veut que les civils quittent Gaza, ils pourraient être déplacés dans le désert du Naqab, dans le sud de la Palestine occupée, jusqu’à ce qu’il achève sa mission déclarée de destruction du Hamas et d’autres groupes de résistance armés. Il ne s’agissait pas d’une suggestion spontanée ou d’un lapsus. Elle était pleinement intentionnelle, délibérément programmée et énoncée en présence d’un dirigeant européen.
- Deuxièmement, il a réaffirmé le rejet absolu par l’Égypte de l’expulsion forcée de la population de la bande de Gaza vers l’Égypte, et a souligné que tous les États arabes partageaient cette position. Cette réaffirmation des faits a marqué une rupture avec la conformité de l’Égypte aux diktats américains et aux contraintes de Camp David, même si ce n’est que temporairement.
- Troisièmement, sa menace d’exhorter des millions d’Égyptiens à descendre dans la rue pour manifester contre une telle décision était un message indiquant qu’il mobiliserait la « rue » si nécessaire pour la préparer à soutenir une éventuelle confrontation militaire.
- Quatrièmement, il a déclaré que le transfert de la population de Gaza vers l’Égypte signifierait le transfert de sa résistance, transformant le Sinaï en un front de résistance à l’occupation et en une rampe de lancement pour les attaques transfrontalières de la guérilla. Pour l’armée égyptienne, il est impératif, d’un point de vue stratégique, que la population reste à Gaza.
- Cinquièmement, il a subordonné la réouverture du point de passage de Rafah pour permettre aux ressortissants étrangers de quitter Gaza à la condition qu’Israël autorise l’entrée de l’aide humanitaire et médicale. Cela équivaut à un rejet catégorique de sa demande de libération de tous les prisonniers israéliens détenus par la résistance avant que toute aide ne soit autorisée.
- Sixièmement, l’Égypte répondra à toute nouvelle escalade israélienne par sa propre escalade. Je sais, d’après mes sources, que la colère gronde au sein de l’armée et de l’establishment militaire égyptiens.
La suggestion du président égyptien d’évacuer les Palestiniens voulant quitter Gaza vers le Néguev semble bonne à première vue. Il s’agirait d’une mise en œuvre partielle et immédiate du droit au retour des Palestiniens. La majorité des habitants de Gaza sont originaires de villes et de villages du sud de la Palestine qui ont fait l’objet d’un nettoyage ethnique.
La suggestion de al-Sisi, qui a dû frapper les milieux politiques et militaires israéliens comme un coup de tonnerre, a eu un impact immédiat. Elle a incité le secrétaire d’État américain Anthony Blinken à abandonner son soutien au plan d’expulsion israélien, dont il avait fait la promotion dans les capitales arabes. Il semble qu’il ait entendu des mots venus du Caire qui l’ont effrayé et l’ont amené à changer de cap et à déclarer qu’il s’y opposait.
Israël, en particulier sous son gouvernement fasciste actuel, veut se débarrasser de la totalité ou de la majeure partie des Palestiniens et appliquer sa loi sur l’État-nation, c’est-à-dire faire de cette entité une patrie réservée aux Juifs, sans aucune place pour les Arabes, qu’ils soient musulmans (y compris les Druzes) ou chrétiens.
L’expulsion de la population de la bande de Gaza vers le Sinaï et ne serait qu’un prélude à l’expulsion de la population de Cisjordanie et au lancement d’une guerre pour la transférer vers un autre pays, la Jordanie.
Les États-Unis et l’Europe sont évidemment prêts à soutenir cette politique de nettoyage ethnique.
Les habitants de la bande de Gaza s’opposent catégoriquement à leur transfert vers le désert du Sinaï. Ils ne retourneront jamais vivre dans des tentes, même si l’Égypte acceptait, ce qui est hors de question. Celle-ci ne cesse de remercier Dieu de l’avoir débarrassée de ce fardeau colossal appelé Gaza lors de l’occupation israélienne de la bande de Gaza pendant la guerre de juin 1967.
L’Egypte n’y retournera jamais et acceptera encore moins d’y réinstaller deux millions de ses habitants avec tous les problèmes et les crises que cela engendrerait à tous les niveaux – et pour satisfaire des intérêts sécuritaires purement israéliens auxquels l’Égypte n’est pas intéressée.
Cinquante ans après la signature des accords de Camp David, l’Égypte commence à en ressentir les conséquences. Cet accord catastrophique a fait perdre au pays son leadership régional et son rôle de pionnier sur la scène internationale, et a transformé une grande nation en un État qui vit de l’aide des États-Unis et de certains pays arabes, et dont la sécurité de l’eau est menacée par un projet, le barrage Renaissance, soutenu par les États-Unis, Israël et certains pays arabes.
Israël est dans un état de peur et de traumatisme après la défaite militaire majeure que lui ont infligée le Hamas et d’autres groupes de la résistance lorsqu’ils ont franchi sa barrière de séparation de plusieurs milliards de dollars, attaqué des installations militaires et des avant-postes, libéré des dizaines de colonies dans l’enveloppe de Gaza, tué 1500 Israéliens, en ont blessé 4000 et en ont capturé 250.
C’est pourquoi les dirigeants occidentaux, Joe Biden en tête, ont multiplié les visites pour calmer les nerfs à vif des colons et de leurs dirigeants, les rassurer sur leur avenir et s’engager à préserver ce qui reste de leur suprématie militaire et de leur pouvoir d’intimidation et de dissuasion.
L’armée israélienne serait vaincue dans la bande de Gaza, sur le terrain, comme elle l’a été au Sud-Liban en 2000 et 2006. C’est pourquoi l’offensive terrestre a été retardée.
La résistance a prévu de lui réserver l’accueil qu’elle mérite et d’engager les envahisseurs dans une guerre de rues et de tunnels qu’elle maîtrise et dont elle peut sortir victorieuse sans l’aide de personne.
La population de la bande de Gaza ne peut être écrasée par aucune puissance de feu israélienne.
Ces combattants héroïques et leurs familles retourneront un jour sur leurs terres et dans leurs villages du sud, du centre et de la côte de la Palestine, dans un nouveau Moyen-Orient où – grâce à eux et à leurs sacrifices – il n’y aura pas de place pour un État israélien raciste, ni pour l’hégémonie des États-Unis.
Auteur : Abdel Bari Atwan
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
18 octobre 2023 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Boutros