Par Ramzy Baroud
Un ami, un jeune journaliste à Gaza, Mohammed Rafik Mhawesh, m’a annoncé que les prix des denrées alimentaires dans la bande assiégée ont grimpé en flèche ces dernières semaines et que de nombreuses familles déjà très pauvres ont du mal à mettre de la nourriture sur la table.
« Les prix des denrées alimentaires augmentent de façon spectaculaire », a-t-il expliqué, « en particulier depuis le début de la guerre russo-ukrainienne ». Les prix des denrées alimentaires essentielles, comme le blé et la viande, ont presque doublé. Le prix d’un poulet, par exemple, qui n’était accessible qu’à une petite partie de la population de Gaza, est passé de 20 shekels (environ 6 euros) à 45 (environ 13,5 euros).
Ces hausses de prix peuvent sembler gérables dans certaines parties du monde, mais dans un endroit déjà appauvri, qui est sous un siège militaire israélien hermétique depuis 15 ans, une crise humanitaire de grande ampleur est certainement à venir.
En fait, c’était aussi l’avertissement du groupe caritatif international Oxfam, qui a rapporté le 11 avril que les prix des denrées alimentaires dans toute la Palestine avaient bondi de 25 % mais, plus alarmant, les réserves de farine de blé dans les territoires occupés pourraient être « épuisées en l’espace de trois semaines ».
L’impact de la guerre russo-ukrainienne a été ressenti dans toutes les régions du monde, et dans certains endroits plus que d’autres. Les pays d’Afrique et du Moyen-Orient, qui luttent contre des problèmes déjà anciens de pauvreté, de faim et de chômage, sont les plus touchés.
Cependant, la Palestine est une toute autre histoire. C’est un pays occupé qui dépend presque entièrement des décisions d’une puissance occupante, Israël, qui refuse d’adhérer aux lois internationales et humanitaires.
Pour les Palestiniens, la question est complexe, mais presque tous ses aspects sont liés d’une manière ou d’une autre à Israël.
L’arme alimentaire israélienne
Gaza est sous blocus économique israélien depuis de nombreuses années, et la nourriture qu’Israël autorise dans la bande est rationnée et manipulée par Israël comme un procédé de punition collective.
Dans son rapport sur l’apartheid israélien publié en février dernier, Amnesty International a détaillé les restrictions israéliennes sur l’approvisionnement en nourriture et en gaz des Palestiniens.
Selon le groupe de défense des droits, Israël utilise « des formules mathématiques pour déterminer la quantité de nourriture à autoriser à Gaza », limitant les approvisionnements à ce que Tel-Aviv juge « essentiel pour la survie de la population civile ».
Outre de nombreux problèmes d’infrastructure résultant du siège – manque d’eau potable, d’électricité, de matériel agricole, etc… – Gaza a également perdu une grande partie de ses terres cultivables au profit de la zone militaire israélienne d’exclusion établie à travers les zones frontalières de la bande assiégée.
La Cisjordanie n’est guère mieux lotie. La plupart des Palestiniens des territoires occupés ressentent un fardeau qui ne cesse de croître, celui de l’occupation israélienne aggravée par l’impact dévastateur de la pandémie de Covid-19 et les faiblesses structurelles au sein de l’Autorité palestinienne, en proie à la corruption et à la mauvaise gestion.
L’AP importe 95 % de son blé, dit Oxfam, et ne possède aucune installation de stockage. Toutes ces importations sont transportées via Israël, qui contrôle tous les accès de la Palestine au monde extérieur.
Comme Israël lui-même importe près de la moitié de ses grains et céréales d’Ukraine, les Palestiniens sont donc les otages de ce mécanisme même.
Israël, cependant, a amassé des aliments de base et est en grande partie indépendant sur le plan énergétique, tandis que les Palestiniens se battent à tous les niveaux. Alors que l’AP devrait assumer une partie des responsabilités pour avoir investi dans son appareil de « sécurité » au détriment de la sécurité alimentaire, Israël détient la plupart des clés de la survie des Palestiniens.
De lourdes entraves à la libre circulation des personnes et des biens
Avec des centaines de barrages militaires israéliens constellant la Cisjordanie occupée, coupant les communautés les unes des autres et les agriculteurs de leurs terres agricoles, l’agriculture durable en Palestine est quasi impossible.
Deux problèmes majeurs compliquent un tableau déjà difficile : premièrement, le ainsi nommé « mur de séparation », long de centaines de kilomètres, qui ne « sépare » pas en fait les Israéliens des Palestiniens mais, au contraire, prive illégalement les Palestiniens de vastes étendues de leurs terres, principalement des zones agricoles; et deuxièmement, le vol pur et simple de l’eau palestinienne des aquifères de Cisjordanie.
Alors que de nombreuses communautés palestiniennes ont du mal à trouver de l’eau potable en été, Israël ne connaît jamais de pénurie d’eau tout au long de l’année.
La ainsi nommée zone C, qui représente près de 60% de la surface totale de la Cisjordanie, est sous contrôle militaire israélien complet. Bien que peu peuplé en comparaison, elle contient la plupart des terres agricoles de la région, en particulier les zones situées dans la très fertile vallée du Jourdain.
Bien qu’Israël ait reporté, sous la pression internationale, son annexion officielle de la zone C, la zone est de fait annexée, et les Palestiniens sont progressivement chassés et remplacés par une population croissante de colons juifs israéliens illégaux.
La hausse rapide des prix des denrées alimentaires nuit aux agriculteurs et aux éleveurs, qui ont cependant à charge de combler les énormes lacunes causées par l’insécurité alimentaire mondiale à la suite de la guerre.
Selon Oxfam, le coût de l’alimentation pour les animaux a augmenté de 60 % en Cisjordanie, ce qui s’ajoute au « fardeau existant » auquel sont confrontés les éleveurs, notamment « l’aggravation des attaques violentes des colons israéliens » et les « déplacements forcés », comme dans le cadre du nettoyage ethnique résultant de la politique d’annexion israélienne.
Une menace existentielle
Bien que cela puisse apporter un soulagement relatif, même un arrêt de la guerre russo-ukrainienne ne mettra pas fin à l’insécurité alimentaire de la Palestine, car ce problème est provoqué et entretenu par des politiques israéliennes délibérées.
Dans le cas de Gaza, la crise est, en fait, entièrement fabriquée par Israël avec des objectifs politiques précis à l’esprit. Les commentaires infâmes de l’ancien conseiller du gouvernement israélien, Dov Weisglass en 2006, expliquant les motifs d’Israël derrière le siège de Gaza, restent le principe directeur de l’attitude d’Israël envers la Bande.
« L’idée est de mettre les Palestiniens au régime, mais pas de les faire mourir de faim », avait-il déclaré.
La Palestine a besoin d’une action immédiate pour éviter une crise alimentaire majeure. L’extrême pauvreté qui domine et le taux de chômage élevé de Gaza ne lui laissent aucune marge pour faire face à d’autres calamités.
Pourtat, tout ce qui serait fait maintenant ne peut être qu’une solution à court terme. Un échange sérieux impliquant les Palestiniens, les pays arabes, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et d’autres parties, doit avoir lieu pour discuter et résoudre l’insécurité alimentaire de la Palestine.
Pour les Palestiniens, c’est la véritable menace existentielle.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
20 avril 2022 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah