Par Adnan Abu Amer
Les Palestiniens et les Israéliens sont toujours sous l’effet de surprise causé par la récente opération de guérilla qui a eu lieu dans la ville de Ya’bad, dans la banlieue de Jénine, au nord de la Cisjordanie. Au cours de l’opération, un soldat israélien de la brigade d’élite Golani a été tué lorsqu’un jeune Palestinien a lâché sur lui une grosse pierre, le tuant net.
L’élément de surprise chez les Palestiniens et les Israéliens était que l’arme utilisée dans l’opération à l’origine du décès du soldat israélien était une pierre, et non un fusil, un engin explosif ou un cocktail Molotov. C’était une pierre, la plus ancienne arme connue des Palestiniens. Elle est facile à utiliser et ne peut être saisie ou confisquée face aux armes les plus sophistiquées et les plus modernes qu’Israël possède en ce XXIe siècle.
Dans l’histoire récente, les pierres ont été l’arme principale des Palestiniens en Cisjordanie, symbolisant leur volonté irréductible de résister à l’occupation, indépendamment du terrible déséquilibre des forces.
Les pierres sont les premières armes des soulèvements successifs, les plus communes et les plus répandues parmi les Palestiniens, grâce à leur disponibilité sans entrave, ce qui en fait un problème militaire, politique et sécuritaire pour Israël.
Compte tenu de la politique répressive menée par l’occupation israélienne et l’Autorité palestinienne (AP) contre la résistance en Cisjordanie, et de la confiscation par tous les moyens de tous les types d’armes, il n’y a plus pour les Palestiniens d’autre option que les pierres pour empêcher l’armée israélienne de continuer à les réprimer, à les assassiner et à confisquer leurs terres.
Les Palestiniens ont adopté l’utilisation des pierres tout au long de leurs années de résistance à l’occupation, au point qu’elles sont devenues le principal souci des responsables israéliens. La résistance était l’occasion la plus connue d’utiliser les pierres, ramassées et préparées dans chaque quartier, rue, ruelle, maison et sur chaque toit.
L’usage des pierres a des objectifs à grande échelle et est une cndication que le peuple palestinien – armé de ce type d’arme primitive, et de ses méthodes de lutte innovantes – s’est levé et a pris une fois de plus l’initiative, assimilant toutes les leçons des expériences précédentes. C’est une affirmation de leur capacité à se maintenir et à grandir en force, et un fait révolutionnaire sur le terrain lui permettant d’imposer une nouvelle réalité dans le conflit avec l’occupant israélien.
Si l’on remonte trois décennies en arrière, lors du soulèvement de la première Intifada palestinienne, connue sous le nom de “révolution des jets de pierres” et dont on se souvient comme d’une des révolutions du monde moderne, aucun rebelle avant elle ne croyait que des pierres pouvaient servir à affronter l’armée qui assiégeait les Palestiniens avec ses chars, ses canons et ses tirs à balles réelles.
Il était naturel et prévisible que l’approche de la résistance palestinienne évolue au cours de ces trois décennies, et si la résistance à Gaza s’est transformée en ce qui s’apparente à une armée régulière, entraînée et équipée d’armes fabriquées localement, elle ne s’est pas développée de la même manière en Cisjordanie en raison des mesures répressives prises par Israël et l’AP.
Tout cela a fait des pierres avec leurs multiples usages l’arme la plus célèbre de Cisjordanie, notamment lors des affrontements avec l’occupation lors des fortes mobilisations. Cela a donné aux pierres un avantage important et elles sont devenues des projectiles efficaces contre les forces armées et leurs machines militaires. Les pierres ont également été utilisées pour ériger des barrages, bloquer des routes et construire des talus et des barricades.
La récente opération à Jénine n’était pas hors contexte en Cisjordanie. Il y a quelques années, les Palestiniens y ont fait un usage intensif des pierres contre les convois et les véhicules blindés, les patrouilles à pied et les colonies. Les opérations de grande envergure dans lesquelles les pierres étaient utilisées comme arme principale se sont multipliées, et les statistiques que le porte-parole militaire israélien publie régulièrement font état d’une augmentation constante de l’utilisation des pierres lors des confrontations avec les forces armées.
L’utilisation de pierres ne nécessite pas de sessions de formation ou de sensibilisation, et la résistance palestinienne peut les lancer puis se retirer, assurant ainsi sa sécurité. Les pierres ne nécessitent pas d’organisation centrale ni de direction forte. Lorsqu’elles sont utilisées de manière créative, elles privent les Israéliens de pouvoir considérer ce qui se passe en Cisjordanie comme un état de guerre, ce qui permettrait à l’armée d’adopter diverses formes de combat, au premier rang desquelles l’artillerie lourde.
La résistance palestinienne en Cisjordanie a réussi, avec son usage des pierres, à faire perdre à l’occupation israélienne son avantage stratégique dans le type de guerre éclair qui lui convient. L’idéologie militaire de l’occupation est basée sur une technologie avancée et une force de frappe qui conduit à une victoire militaire, laquelle donne à l’occupant un sentiment de sécurité pour des années.
L’élément le plus important dans l’utilisation des pierres est que le peuple palestinien sous occupation souffre d’une faiblesse fondamentale, à savoir le déséquilibre des forces. La résistance a dû en conséquence mener son combat contre l’occupation par une résistance populaire non armée. Il s’agit d’une combinaison de sa résistance quotidienne sous la forme d’une lutte active, représentée par les attaques constantes et quotidiennes et l’utilisation de moyens et de méthodes de combat primitifs, pour “tirer le tapis sous les pieds” de l’occupant.
L’utilisation des pierres en Cisjordanie a également pris plusieurs formes dans les camps et les quartiers les plus peuplés, avec leurs ruelles étroites et tortueuses, en particulier dans les camps de réfugiés de Cisjordanie. Ces formes comprennent l’utilisation généralisées de pierres lancées à la main contre les soldats et les colons, ainsi que leurs moyens de transport, leurs camps et leurs bâtiments. Avec en plus le lancement de grosses pierres depuis les toits pour tuer des colons ou un commandant ou un soldat de l’armée d’occupation, comme ce fut le cas lors de la récente opération Ya’bad…
La résistance en Cisjordanie a réalisé que le char israélien n’était pas conçu pour combattre un garçon ou un jeune homme palestinien qui tient une pierre à la main et qui tire sa force et son courage du soutien sans limite de l’opinion publique, armée d’une volonté nationale forte et ferme et d’armes morales. Cela a coûté à l’occupation toute efficacité à ses moyens militaires démesurés. Les pierres ont joué un rôle important pour choquer le monde en faisant voir les Palestiniens qui affrontent les soldats de l’occupation et leurs jeeps militaires avec leurs simples pierres.
Ainsi, les Palestiniens, en particulier en Cisjordanie, qui souffrent d’un grave manque d’armes à feu, sont arrivés à la conclusion que les pierres, en tant qu’armes, ne nécessitent aucun approvisionnement, aucun marché de munitions, aucune ligne d’approvisionnement, aucun soutien extérieur, ni aucune relation internationale. Les routes et les collines sont remplies de pierres en Cisjordanie, les résistants n’ont qu’à tendre la main pour les ramasser et les lancer vers les occupants. Ce type de guerre spontanée ne peut être ni contrôlée, ni arrêtée, ce qui lui a donné des ailes pour voler haut, loin et librement, malgré le fait que l’occupation possède un arsenal mortel comprenant des armes nucléaires, des avions et des missiles.
Toutes ses armes sont impuissantes face aux jeunes Palestiniens qui caillassent les convois israéliens et leurs soldats.
Une pierre est une pierre, mais dans les mains des résistants de Cisjordanie, elles se sont transformées en puissant projectile. Quiconque observe l’état des soldats d’occupation peut certainement ressentir la peur et la crainte qu’ils éprouvent lorsqu’ils deviennent des cibles. Ceci est un échantillon des leçons tirées de la récente opération Ya’bad et celle-ci peut inspirer les opérations futures.
* Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias de l’université Umma Open Education à Gaza, où il donne des cours sur l’histoire de la Cause palestinienne, la sécurité nationale et lsraël. Il est titulaire d’un doctorat en histoire politique de l’université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Cause palestinienne et du conflit israélo-arabe. Il travaille également comme chercheur et traducteur pour des centres de recherche arabes et occidentaux et écrit régulièrement pour des journaux et magazines arabes.
15 mai 2020 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine