Par Haidar Eid
D’autres, ont fait valoir que l’accord n’aurait pas dû être une surprise étant donné que les oligarchies au pouvoir aux EAU et à Bahreïn couchent avec l’Israël de l’apartheid depuis des années et que ce n’était qu’une question de temps avant qu’elles ne rendent officiel cet état de fait, dans le but de renforcer leur alliance contre deux principales menaces : l’Iran et la propagation de la démocratie dans le monde arabe.
Cet article a un objectif différent. Celui d’ébaucher les bases d’un programme social, politique, économique et historique, alternatif à celui que les puissances impérialistes, sionistes et réactionnaires hégémoniques, veulent imposer non seulement à la Palestine, mais aussi au reste du monde arabe.
Dans ce contexte, il est utile de mentionner la théorisation du “mapping cognitif” du critique littéraire américain Fredric Jameson, un processus qui suit, enrichit et respecte les lois de la dialectique (le développement et le mouvement des opposés). En d’autres termes, ce n’est pas suffisant de dénoncer le contexte historique dans lequel l’accord a été signé ; il faut aussi proposer un programme progressiste qui le remette en question, en changeant les conditions qui ont conduit à sa signature, à savoir le colonialisme des colons et l’apartheid en Palestine.
La signature de l’accord entre Israël, Bahreïn et les Émirats arabes unis à la Maison Blanche le 15 septembre entame, certes, le début d’une nouvelle ère au Moyen-Orient ; cependant, elle n’apportera pas – du fait du rapport de force déséquilibré – une solution juste à la question palestinienne.
Les accords de Camp David (1979), d’Oslo (1993), de Wadi Araba (1994) et l’accord d’Abraham (2020), qui, sous couvert de diplomatie, sont tous en réalité des pactes d’affaires entre Israël et ces pays arabes, ont totalement trahi la cause palestinienne. Aucun d’entre eux n’a abordé les droits fondamentaux des Palestiniens, comme le droit au retour des réfugiés, l’autodétermination, l’égalité et la liberté.
En bref, tous les accords mentionnés ont garanti le contrôle israélien sur la Palestine historique, du Jourdain à la mer Méditerranée, une réalité de fait créée par la partie coloniale, infiniment plus puissante, sans aucun compromis.
La situation actuelle est évidemment le produit des déséquilibres internationaux et régionaux qui prévalent en ce moment, celui-ci étant ni stable ni éternel, mais plutôt passager et inévitablement suivi par d’autres moments, selon la loi de la dialectique.
Ce moment historique spécifique peut, sans aucun doute, s’analyser comme le sommet de la passivité palestinienne et arabe qui a été engendrée par l’affaiblissement du nationalisme arabe progressiste et par le fait que la direction de la droite palestinienne est tombée dans le piège de “l’industrie de la paix”. Cependant, les temps qui viennent devraient voir se lever une vive contestation de ce qui nous est imposé aujourd’hui : “Tout ce qui est solide se dissout dans l’air”, comme a dit Karl Marx.
L’opposition à ces accords dans le monde arabe en général, et dans les États du Golfe en particulier, va croître exactement de la même manière que les peuples égyptien et jordanien ont combattu les accords de Camp David et d’Araba après leur signature.
La vision alternative que les Palestiniens doivent adopter est une vision géopolitique qui remet en question l’espace nouvellement dessiné par les États-Unis, Israël et leurs alliés arabes – le soi-disant nouveau Moyen-Orient – et proposer une nouvelle carte de la Palestine laïque et démocratique, au cœur d’un monde arabe démocratique.
Nous avons besoin d’une représentation alternative de l’ensemble de la “réalité” sociopolitique qui apparaît actuellement dans la région, une représentation qui s’éloigne du sempiternel mantra de la solution raciste de deux États.
Les Palestiniens doivent aller de l’avant, mais avec de nouvelles idées émanant d’une forte conviction que “Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas dans les conditions choisies par eux”, comme l’a dit Marx. Pendant trop longtemps, les Palestiniens ont été dirigés par des politiciens de droite qui ont échoué à faire respecter même le plus élémentaire des droits des trois composantes fondamentales du peuple palestinien : la diaspora, les habitants de Gaza et de Cisjordanie et les citoyens palestiniens de seconde classe d’Israël.
Il est donc capital de mettre en place un organe palestinien avec, à sa tête, une direction progressiste qui s’oppose à toute forme d’exploitation de classe, qu’elle soit nationale, sexuelle ou religieuse, une direction qui soit nécessairement laïque dans sa compréhension profonde de la question palestinienne.
Une telle direction ne pourrait pas accepter une solution raciste. Elle devrait relever les défis historiques posés par la vieille-nouvelle alliance entre Israël, les États-Unis et les régimes arabes réactionnaires et, ainsi, devenir le vecteur d’actions à caractère local, national et international par la promotion du Boycott, du Désinvestissement et des Sanctions (BDS) contre Israël jusqu’à ce que cette entité respecte le droit international.
Il est urgent de dépasser le stade historique actuel, caractérisé par une forme de dogmatisme nationaliste, incarné par des slogans tels que “deux États pour deux peuples” ou “la seule solution est celle des deux États”. Ces slogans sont, en fait, le produit des vagues de normalisation avec l’Israël de l’apartheid, un processus de modelage de l’esprit arabe et palestinien à travers des “appareils d’État idéologiques”, tels que les médias, l’éducation, les mosquées, la loi, qui tentent de manipuler et de façonner la conscience des individus, en particulier de ceux qui ont un potentiel révolutionnaire.
Il est également urgent de s’écarter de l’esprit nihiliste qui a dominé une grande partie du discours de la gauche stalinienne palestinienne ces derniers temps, en soulignant l’importance de l’action humaine et la nécessité d’une compréhension historique du moment historique actuel de l’après-Oslo.
Nous avons besoin d’une vision alternative qui puisse conduire à la paix et à la justice. Et c’est aux Palestiniens colonisés de porter un projet et c’est leur responsabilité morale en tant que victimes d’un système d’oppression coloniale à plusieurs niveaux.
Lorsque, dans une situation similaire à celle que vivent les Palestiniens, les Africains noirs, qui subissaient les violences d’une autre puissance coloniale, se sont mis à désespérer, Nelson Mandela a proposé une vision alternative : “J’ai adopté pour idéal une société démocratique et libre où tout le monde vivrait ensemble dans la paix et avec des chances égales. J’espère vivre pour la conquérir, mais c’est aussi un idéal pour lequel je suis prêt, s’il le faut à mourir”.
L’alternative pour les Palestiniens doit être un État démocratique laïque dans la Palestine historique, un État dans lequel tous les citoyens seront traités de manière égale, indépendamment de leur religion, de leur sexe et de leur couleur. Cet État doit accepter le retour des réfugiés et l’autodétermination, qui sont tous deux un pas vers la résolution des questions palestinienne et juive.
Prendre résolument le contre-pied de l’approche politique qui prédomine actuellement, voilà ce que doit faire le peuple palestinien.
* Haiddar Eid est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger. Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine. Son compte Twitter.
3 octobre 2020 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
Voilà de jolis plans sur la comète ! Un projet pour réhumaniser les Palestiniens et leurs oppresseurs ! Vous allez trouver beaucoup de partisans…surtout dans la gauche occidentale. Les Palestiniens doivent aller de l’avant, avec de nouvelles idées…
Que faites-vous des Palestiniens qui ont des “vieilles idées” et qui se battent contre l’occupation ? C’est quantité négligeable ?
Bonjour,
Effectivement, ce passage de l’article de Haidar Eid posait vraiment problème, et il n’exprime pas – ou très mal – le fond de sa pensée qui est que les Palestiniens sont victimes de tentatives constantes de déshumanisation (c.à.d se voient refuser leur statut d’humains) tandis que leurs oppresseurs sont d’ors et déjà déshumanisés et ont grand besoin de s’insérer dans la communauté humaine.
Nous avons donc remodelé ce passage de façon à faire disparaître cette formulation bien malheureuse.
Bien cordialement