Par Yara Hawari
Plus tôt cette semaine, un rapport interne produit par l’Office de secours et de travaux des Nations Unies (UNRWA) pour les réfugiés palestiniens a été communiqué à Al Jazeera et à l’agence de presse AFP. Le rapport détaille de graves abus d’autorité au sein de l’équipe de direction de l’agence, en se basant sur des témoignages d’anciens et actuels membres du personnel, ainsi que sur divers autres documents abondant dans le même sens.
Plus important encore, ce rapport accuse le Commissaire général Pierre Krahenbuhl et quelques-uns de ses proches proches d’avoir “commis des actes répréhensibles, [fait preuve] de népotisme [et d’exercer] des représailles”. Le rapport note également que la situation s’est aggravée en 2018 à la suite de la décision des États-Unis, le plus important donateur de l’UNRWA, de fortement diminuer le financement de l’agence. Cela a permis à la direction de justifier “une concentration extrême du pouvoir décisionnel parmi les membres de la ‘clique’ … un mépris accru pour les règles de fonctionnement des agences et les procédures établies – l’exception devenant la norme – et les voyages très excessifs du commissaire général”.
De nombreux Palestiniens ne sont guère surpris par le contenu du rapport envoyé à la presse. Au fil des ans, nous avons entendu de nombreuses anecdotes sur les pratiques et abus perpétués par un personnel étranger bien rémunéré à l’UNRWA et dans d’autres agences des Nations Unies.
Outre le népotisme et les abus de pouvoir, la répartition de ressources financières limitées allouées à ces organes pose de gros problèmes. En période d’austérité, par exemple, les programmes de soutien sont généralement réduits avant les salaires des hauts cadres étrangers.
On sait également que des employés de haut niveau se livrent à diverses actions qui attestent de leur hypocrisie, notamment en louant des maisons volées à des réfugiés palestiniens en 1948 à Jérusalem (en particulier dans le quartier populaire de Musrara) et en autorisant le magasin duty free de l’ONU à vendre des produits provenant de colonies israéliennes illégales, comme le vin israélien produit dans les hauteurs du Golan occupé.
Ce type d’inconduite, cependant, n’est pas propre à l’UNRWA et a été exposé dans d’autres agences des Nations Unies et de grandes organisations humanitaires. Les révélations du rapport sont en effet répréhensibles et les responsables ne doivent pas rester impunis. Mais cela ne signifie pas que l’UNRWA doit être impacté ou fermé.
L’UNRWA, en tant qu’organisme distincte dédiée aux réfugiés palestiniens, a un statut et des fonctions spéciales. Cette agence a été créée en 1949 afin de fournir des services de secours aux Palestiniens expulsés de leur patrie à la suite de la création de l’État israélien. Elle opère maintenant en Cisjordanie, à Gaza, en Jordanie, au Liban et en Syrie, et fournit à quelque 5 millions de Palestiniens un enseignement primaire et secondaire, des services de santé ainsi que divers projets d’infrastructure dans les camps. Elle emploie également environ 30 000 personnes, principalement des Palestiniens.
Le mandat de l’UNRWA en matière d’accueil des réfugiés est régulièrement renouvelé, dans l’attente de la mise en œuvre de la résolution 194 des Nations unies qui affirme le droit des réfugiés palestiniens de retourner dans leurs pays d’origine et de recevoir une juste indemnité.
Pour beaucoup, l’agence n’est pas seulement une bouée de sauvetage au rôle si important, mais également un organe officiel qui garantit le droit de retour des Palestiniens à toutes les puissances qui s’y réfèrent.
En effet, depuis l’entrée en fonction de Donald Trump, les efforts visant à forcer les réfugiés palestiniens à renoncer à leur droit de retour se sont accentués. Les attaques contre l’UNRWA ont été incessantes et ce rapport interne a ajouté de l’huile sur le feu.
L’ancien ambassadeur américain auprès de l’ONU, Nikki Haley, a rapidement commenté le rapport, affirmant que c’était “exactement la raison pour laquelle nous [les États-Unis] avons arrêté notre financement”, alors que l’envoyé de Trump au Moyen-Orient, Jason Greenblatt, a tweeté l’article d’Al Jazeera, affirmant que “le modèle de l’UNRWA est brisé/non viable et basé sur un nombre de bénéficiaires toujours en augmentation.”
Aucune de ces déclarations n’est justifiée. Les fonds ont été coupés pour punir collectivement les Palestiniens et leurs dirigeants et le dysfonctionnement de l’UNRWA n’est pas pire que celui de toute autre agence des Nations Unies.
Les États-Unis prennent exemple sur Israël qui, depuis sa création, cherche à éliminer le droit au retour des réfugiés palestiniens. Au début de l’année, par exemple, le gouvernement israélien a annoncé qu’il fermerait les écoles gérées par l’UNRWA dans Jérusalem-Est occupée et accueillant plus de 3000 enfants palestiniens, en violation directe de la Convention de 1946 sur les réfugiés. Nir Barkat, alors maire israélien de Jérusalem, a déclaré qu’ils mettaient fin “au mensonge du problème des réfugiés palestiniens”.
Il est clair qu’une culture systématique d’abus e pouvoir est à l’œuvre aux plus hauts échelons de l’UNRWA, à laquelle il convient de remédier. Cependant, ce rapport ne peut et ne doit pas conduire à davantage de réductions de financement. Les Pays-Bas et la Suisse ont suspendu injustement leur aide à l’agence suite à ce rapport.
Les millions de réfugiés palestiniens et les employés palestiniens, dont beaucoup se battent pour subvenir aux besoins de leurs familles, ne devraient pas être punis collectivement pour les infractions et l’égoïsme de la direction de l’UNRWA, dont la très grande majorité ne sont pas Palestiniens.
Il est essentiel que les responsables rendent compte de la mauvaise gestion de l’agence, car beaucoup craignent que les personnes de haut niveau dénoncées dans ce rapport soient simplement “recyclées” au sein du système des Nations Unies, pour poursuivre leur inconduite dans une autre agence.
Dans le même temps, il conviendrait de recentrer l’attention sur les sept millions de Palestiniens qui vivent dans un exil perpétuel de leur pays d’origine, beaucoup subissant un nouveau déplacement. C’est leur bien-être et leur droit de retour qui devraient être la priorité des donateurs.
Auteur : Yara Hawari
* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire.En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera. Son compte twitter.
2 août 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine