Par Lina Alsaafin
Les citoyens palestiniens rendent Israël responsable de la grande violence qui règne à l’intérieur de leurs communautés.
Pour la dixième semaine consécutive, des milliers de Palestiniens ont manifesté devant le bâtiment municipal israélien d’Umm al-Fahm pour protester contre la police israélienne et la politique discriminatoire d’Israël à l’égard de la population arabe palestinienne.
La ville, située du côté palestinien de la ligne verte, au nord de la ville de Jénine, en Cisjordanie occupée, est, depuis le début de l’année, le théâtre d’une série d’homicides qui sont restés pour la plupart impunis.
Des militants affirment que l’inertie de la police israélienne est intentionnelle, et que les officiers qui s’occupent des crimes entre Palestiniens les considèrent comme un problème familial ou tribal interne.
Selon le mouvement de protestation Umm al-Fahm, la police israélienne encourage même la criminalité organisée au sein de la communauté arabe palestinienne en Israël, dans le but de “détruire notre unité, déchirer notre tissu social et nous faire perdre notre boussole politique”.
“Le meurtrier est connu, mais il est souvent déclaré innocent par la police israélienne. La justice n’est pas vraiment rendue, ils font juste semblant de l’exercer”, a déclaré Nidaa Kiwan, une militante d’Umm al-Fahm.
D’après le mouvement de protestation, 1700 Palestiniens ont été tués dans des affaires d’homicide depuis 2000.
D’après un rapport de l’association Baladna pour la jeunesse arabe, de 2011 à 2019, 575 personnes ont été tuées – l’écrasante majorité étant des hommes (83,7 %) âgés de moins de 30 ans.
En 2020, un nombre record de 97 cas d’homicides a été signalé – le plus élevé depuis 1948, date à laquelle l’État d’Israël a été créé aux dépens des Palestiniens.
Selon les médias locaux, il y a déjà 20 victimes depuis le début de l’année.
Le rôle de la police israélienne dans l’essor de la criminalité
La création de postes de police israéliens dans les communautés arabes palestiniennes est relativement récente et s’appuie sur les recommandations de l’enquête du gouvernement, connue sous le nom de commission Orr.
Cette commission a été formée en novembre 2000 pour enquêter sur les crimes commis par l’État israélien contre 13 citoyens palestiniens d’Israël, tués un mois auparavant lors de la deuxième Intifada.
Mais, selon Kiwan, la principale raison de la création de la commission était la crainte d’Israël de voir les Palestiniens s’unir pendant la deuxième Intifada. Ils craignaient que, pour la première fois depuis 1948, les Palestiniens des deux côtés de la ligne verte, ceux qui vivent dans les territoires occupés et ceux qui vivent en Israël, s’unissent pour faire avancer leur agenda politique.
Selon l’écrivain palestinien Majd Kayyal, l’objectif de la Commission Orr était de “remédier” à l’unité palestinienne en “rétablissant le modèle de la séparation coloniale, qui avait été fissuré”.
Ses conclusions ont été publiées en 2003 et, selon Kiwan, son principal but était de recueillir des renseignements sur la communauté arabe palestinienne, sous couvert d’analyser la discrimination du gouvernement israélien à son égard.
“L’une de ses recommandations portait sur la manière de neutraliser notre communauté”, a-t-elle déclaré. “Cela a été fait en ouvrant davantage de postes de police, en encourageant les gens à s’inscrire dans le service civil israélien et en ajoutant davantage de forces de police publique dans les villes et villages palestiniens.”
Quelque 51 postes de police ont été ajoutés, et le nombre de recrues palestiniennes dans les forces de police israéliennes a atteint 3937.
Il n’y avait jamais eu de cas de meurtre entre Palestiniens à Umm al-Fahm avant l’arrivée du poste de police israélien en 2004. En même temps, le commerce des armes au marché noir a augmenté à un rythme sans précédent.
Un an plus tard, Amal Mahameed a été tuée, à la stupéfaction des habitants. À ce jour, son meurtrier est inconnu, mais sa mort a marqué le début de la prolifération des cas d’homicides.
On estime qu’environ 400 000 armes à feu “sophistiquées et modernes” circulent sans permis dans la communauté arabe palestinienne. En 2019, Gilad Erdan, alors ministre israélien de la sécurité publique, a déclaré que 90 % de ces armes à feu provenaient de l’arsenal militaire israélien.
Pour Kiwan, c’est l’aveu que les forces de sécurité israéliennes introduisent des armes dans la communauté palestinienne.
“Habituellement, ces transactions d’armes se font entre la police et des familles – pas seulement des familles impliquées dans le crime organisé, mais aussi des familles qui veulent se faire une place dans la société”, a-t-elle déclaré.
Fuir ses responsabilités
Selon Weaam Baloum, chercheur à l’association Baladna pour la jeunesse arabe, il y a plusieurs raisons au niveau élevé de criminalité parmi les Palestiniens en Israël.
“Le crime est une source d’argent facile, en particulier pour les jeunes”, a-t-il déclaré. “Ça rapporte plus qu’un emploi normal”.
Mais il y a d’autres causes comme la discrimination à l’accès des services de base entre autres politiques discriminatoires d’Israël ainsi que l’expropriation des Palestiniens de leurs terres qui a conduit à une crise du logement.
Les citoyens palestiniens d’Israël représentent un cinquième de la population et se plaignent depuis longtemps des politiques discriminatoires de l’État israélien. Adalah, le centre juridique pour les droits des minorités arabes en Israël, a trouvé au moins 65 lois gouvernementales qui les discriminent “directement” dans des secteurs tels que l’éducation, la religion, le logement et le droit à une procédure régulière.
Selon Baloum, la facilité de se procurer des armes a permis aux jeunes Palestiniens de s’organiser plus facilement en différents gangs et d’attirer des membres.
“Ce ne sont pas seulement les membres des gangs qui sont tués, a-t-il dit, mais aussi des citoyens ordinaires qui ne sont pas du tout impliqués dans la criminalité.”
La police met la criminalité intra-communautaire palestinienne sur le compte de la “culture arabe de la violence” pour échapper à ses responsabilités, a-t-il ajouté.
“Mais si un Palestinien tuait un Israélien juif, il serait appréhendé le jour même”, a déclaré Baloum.
“La communauté palestinienne sait très bien désormais qui on peut tuer sans crainte de poursuites.”
Le meurtre de Mohammed Ji’u Ighbariyah en est un exemple. La police israélienne s’est rendue au domicile familial le 13 janvier et a dit à son père de garder un œil sur lui. Les policiers sont repartis après avoir confisqué les caméras de sécurité de la famille.
Deux jours plus tard, Ji’u, un jeune homme bien connu et apprécié de la communauté, a été assassiné. L’auteur du crime est connu de tous, mais la police a déclaré qu’il n’y avait “pas assez de preuves” pour l’arrêter.
Prendre les choses en main
Le 1er mars, le cabinet du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a approuvé une proposition de 150 millions de shekels (45 millions de dollars) pour lutter contre la criminalité dans les communautés arabes palestiniennes, comprenant l’agrandissement des postes de police et la création d’une nouvelle unité de police spécialisée.
Selon Baloum, ce n’est pas une solution mais une “plaisanterie”.
“Les causes à l’origine des niveaux de criminalité sont toujours présentes et continueront de l’être en l’absence d’une solution radicale”, a-t-il déclaré. “Ce qu’il faut c’est changer radicalement le système de maintien de l’ordre israélien, pas augmenter les forces de police.”
Et, a-t-il ajouté, la communauté arabe palestinienne doit aussi réfléchir à la manière de prendre son destin en main.
Kiwan est d’accord avec lui.
“Ce que nous voulons c’est qu’ils ferment les postes de police israéliens dans nos communautés, car c’est la racine du problème”, a-t-elle déclaré.
“Une fois que cela sera fait, nous nous occuperons du reste – les criminels et les meurtriers. Nous prendrons les choses en main. Nous trouverons le moyen de faire rendre des comptes aux criminels et de faire justice aux familles des victimes”.
“Tant que les postes de police seront là, nous avons les mains liées”.
* Linah Alsaafin, diplômée de l’université de Birzeit en Cisjordanie, est née à Cardiff au pays de Galles et a été élevée en Angleterre, aux États-Unis et en Palestine. Jeune palestinienne , elle écrit pour plusieurs médias palestiniens et arabes – Son compte Twitter :@LinahAlsaafin
19 mars 2021 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet