Par Jonathan Kuttab
L’OLP, l’ANC, l’IRA, la résistance algérienne et d’autres mouvements de libération ont commis des actes atroces contre des civils et ont été qualifiés d’organisations terroristes. Mais ils ont fini par être invités à participer au processus politique. Il doit en être de même pour le Hamas.
Même avant le 7 octobre, le tabou qui interdisait de parler au Hamas a permis au monde d’ignorer la crise croissante de Gaza et de sa population jusqu’à ce qu’elle leur explose à la figure. Cependant, c’est une vérité bien connue que l’on ne fait pas la paix avec ses amis, mais avec ses ennemis.
Lorsque le 7 octobre est survenu, Israël a rapidement utilisé la diabolisation du Hamas, déjà déclaré par Israël et les États-Unis comme étant un groupe terroriste, pour justifier toutes ses actions à Gaza.
Cette diabolisation a été renforcée par une multitude de témoignages totalement bidonnés faisant état de bébés décapités, de mères enceintes brûlées, de corps sexuellement mutilés et de viols collectifs, sans qu’aucun de ces faits n’ait pu être prouvé.
Toute discussion publique sur la guerre devait commencer par la question suivante : « Condamnez-vous le Hamas ? » Et si vous ne le faisiez pas, ou si vous ne déclariez pas leurs actions « barbares » assez rapidement, vous étiez personnellement attaqué et traité d’antisémite.
Toute tentative de découvrir objectivement ce qui s’est passé ce jour fatidique a été comparée à la négation de l’Holocauste.
Le Hamas a certainement commis des actes incontestables de violence à l’encontre des civils, mais nous devons reconnaître que, cette semaine encore, le principal journal israélien Haaretz a finalement admis qu’Israël avait largement recours à la directive Hannibal : le meurtre de ses propres citoyens pour éviter qu’ils ne soient capturés.
L’objectif déclaré était d’éliminer le Hamas, et pas seulement de vaincre ou de neutraliser sa force de combat, ce qui a justifié non seulement la destruction de Gaza – ses hôpitaux, ses universités, ses marchés, ses immeubles d’habitation et ses infrastructures – mais aussi les transferts répétés de population à grande échelle dans le cadre de la poursuite de cet objectif inatteignable.
Je ne suis pas et n’ai jamais été un partisan ou un apologiste du Hamas. Je suis chrétien et le Hamas est une organisation ouvertement musulmane.
Je suis pacifiste et le Hamas croit en la lutte armée comme voie de libération. Pourtant, je sais qu’il n’y a pas de chemin vers la paix qui n’implique pas le Hamas, ainsi que certaines organisations et certains politiciens juifs et sionistes israéliens profondément abominables.
Reconnaître la nécessité de parler avec le Hamas ne constitue en aucun cas un soutien à cette organisation, à ses objectifs, à son idéologie ou à ses tactiques. Le Hamas est un parti politique, qui a également supervisé toute une structure gouvernementale et toutes ses fonctions pendant des années, en plus de maintenir une force de résistance armée, les Brigades Qassam.
Le parti a une idéologie officielle, mais il peut aussi être pragmatique lorsqu’il y est contraint. S’il est autorisé à s’engager dans des négociations politiques, il devra s’adapter à ces réalités et entamer des négociations sérieuses qui pourraient contredire nombre de ses positions grandiloquentes.
Comme pour de nombreux autres partis politiques, en particulier en Israël, ses doctrines, son idéologie ou ses déclarations peuvent être contestables, en particulier pour l’autre camp.
Si vous examinez les documents fondateurs, les déclarations, les idéologies et les actions de nombreux partis israéliens, vous trouverez des choses égales ou bien pires que le Hamas : devrions-nous regarder le Likoud ? Le pouvoir juif ? Le Parti national religieux ?
Pourtant, chacun de ces partis fait partie de la coalition gouvernementale actuelle, et ils ont le pouvoir et prennent des mesures préjudiciables aux Palestiniens et à toute perspective de paix.
Il ne fait aucun doute qu’ils participeront, pour le meilleur ou pour le pire, à toute décision concernant l’avenir de Gaza et de la Palestine, ainsi qu’à toute négociation de paix.
L’Organisation de libération de la Palestine (OLP), ainsi que le Congrès national africain (ANC) en Afrique du Sud, l’Armée républicaine irlandaise (IRA), la Résistance algérienne et d’autres mouvements de libération ont d’abord été qualifiés d’organisations terroristes, et ils ont effectivement commis des actes de terrorisme et des atrocités contre des civils.
Mais ils ont fini par être invités à participer au processus politique et ont ensuite modéré leurs positions en réponse aux nouvelles réalités et aux nouvelles possibilités d’engagement politique.
À la fin des années 80 et au début des années 90, des militants pacifistes en Israël, aux États-Unis et ailleurs ont mené une campagne sérieuse pour inciter les hommes politiques à parler à Yasser Arafat et à l’OLP.
Nous avons vu l’OLP modifier sa charte, renoncer à la violence, accepter les principes du compromis et même accepter des conditions bien inférieures à ses exigences initiales. Ils sont restés fidèles à tous ces changements, même si les Israéliens ne leur ont pas rendu la pareille.
La gauche occidentale et la résistance islamique en Palestine
Y a-t-il une raison pour qu’un processus similaire ne soit pas engagé avec le Hamas ?
Ceux qui résistent à cette ligne de pensée sont ceux qui ne sont pas intéressés par la paix ou par la fin de la guerre. Ils contrôlent désormais le discours et sont prompts à attaquer quiconque remet en cause leur pensée. Ils rêvent toujours d’une « victoire totale », refusant de parler du « jour d’après » ou imaginant des scénarios improbables « qui n’incluent pas le Hamas ».
Après neuf mois de combats et d’immenses violences génocidaires, le Hamas continue d’exister en tant que force de résistance, mais plus encore en tant que doctrine, idéologie et mouvement, avec beaucoup plus de recrues potentielles.
Il existe à Gaza, en Cisjordanie et ailleurs, et il ne peut être éliminé.
Alors que cette réalité s’impose, le moment est peut-être venu d’examiner comment et dans quelles conditions le Hamas peut être intégré dans un processus politique et s’engager dans des négociations en vue d’un avenir meilleur pour toutes les parties concernées.
Comme aux premiers jours de l’OLP, les militants qui se soucient de la paix doivent prendre des mesures audacieuses, peut-être au risque de pertes et de sacrifices personnels, pour amener le Hamas à participer à l’équation.
Il peut même être illégal (en tout cas en Israël) de parler au Hamas, mais une telle désobéissance civile est nécessaire si nous voulons vraiment la paix entre les Juifs israéliens et les Arabes palestiniens. Ce n’est qu’en brisant le tabou et en remettant en question le discours dominant que nous pourrons espérer faire avancer les choses.
Auteur : Jonathan Kuttab
* Jonathan Kuttab est cofondateur du groupe palestinien de défense des droits Humains Al-Haq et cofondateur de Nonviolence International. Avocat international réputé dans le domaine des droits humains, il pratique le droit aux États-Unis, en Palestine et en Israël. Il siège au conseil d'administration du Bethlehem Bible College et est président du conseil d'administration du Holy Land Trust. Il est cofondateur et membre du conseil d'administration de Just Peace Advocates. Il a dirigé le comité juridique chargé de négocier l'accord du Caire de 1994 entre Israël et l'OLP. Son compte Twitter/X
16 juillet 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine