Par Belen Fernandez
Les Etats-Unis se lancent dans une nouvelle « attaque en règle contre la liberté d’expression des médias, l’accès à l’information et la vérité » au vu et au su de toute la planète.
En juin 2022, lorsque le ministère russe des affaires étrangères a annoncé qu’il envisageait des « mesures strictes » à l’encontre des médias américains en réponse aux restrictions imposées par les États-Unis aux médias russes, le département d’État américain s’est plaint que le Kremlin était « engagé dans une attaque en règle contre la liberté d’expression des médias, l’accès à l’information et la vérité ».
Ce genre d’hypocrisie n’est pas nouveau ; après tout, la plus grande démocratie autoproclamée du monde a depuis longtemps signifié au monde que les droits et libertés fondamentaux étaient des choses que seuls ses ennemis devaient respecter.
Ce double standard éhonté permet aux États-Unis de se plaindre des prisonniers politiques cubains tout en gérant une prison américaine illégale sur le territoire cubain occupé, ou de critiquer la Chine pour un prétendu « ballon espion » tout en espionnant la Chine et tous les autres pays de la planète.
Mercredi 21 février, alors que s’achevait la dernière tentative juridique de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, pour échapper à l’extradition vers les États-Unis, on a pu assister à un nouvel « assaut contre la liberté des médias, l’accès à l’information et la vérité » de ce pays.
S’il est extradé, M. Assange, qui est né en Australie, risque jusqu’à 175 ans de prison pour espionnage, ce qui, une fois de plus, est un comble de la part d’un pays qui a une longue tradition d’espionnage illégal de ses propres citoyens. En réalité, le seul « crime » d’Assange a été d’utiliser WikiLeaks pour révéler la vérité sur les crimes de l’armée américaine, comme dans la célèbre vidéo « Collateral Murder » (meurtre collatéral) publiée en 2010.
La vidéo, qui date de 2007, montre le massacre d’une douzaine de personnes à Bagdad par des militaires américains héliportés et enthousiastes, qui n’ont pas jugé nécessaire de dissimuler leur jubilation de participer à ce massacre.
Parmi les Irakiens assassinés se trouvaient deux employés de l’agence de presse Reuters. Il s’agit là d’une atteinte à la liberté des médias.
Les États-Unis insistent sur le fait qu’en publiant ce contenu, M. Assange a activement mis en danger la vie d’innocents en Irak, en Afghanistan et ailleurs. Mais comme je l’ai déjà souligné, il semblerait qu’un moyen infaillible de ne pas mettre en danger la vie d’innocents dans ces endroits serait de s’abstenir de les faire exploser.
Certes, il est de notoriété publique que les États-Unis ont tué un grand nombre de civils dans un grand nombre de pays, bien que le discours officiel continue de soutenir que tous ces meurtres sont commis au nom de la liberté, de la démocratie et d’autres nobles objectifs – et non pour le sport ou le plaisir, comme pourrait le suggérer la production de « Collateral Murder ».
Pourquoi, dans ce cas, exigent-ils que ces opérations restent hyper-secrètes et pourquoi ont-ils besoin d’hyper-vilipender la personne de Julian Assange ?
C’est que les États-Unis ne peuvent pas se permettre que leur camouflage de bienfaiteur mondial soit trop souvent ou trop fortement remis en question ; en effet trop d’ « accès à l’information et à la vérité » priverait la nation de son alibi pour mettre à sac le reste du monde.
Quoi qu’il en soit, l’interminable guerre des États-Unis contre Assange a déjà créé un précédent effrayant en termes d’accès à l’information et autres libertés essentielles.
De fait, la volontaire destruction physique et mentale d’Assange vise à dissuader d’autres éditeurs et journalistes de commettre le crime de chercher la vérité, à partir du principe que la réalité, c’est ce que les États-Unis ont décidé de considérer comme la réalité.
C’est pourquoi, dans l’attente de son extradition vers les États-Unis, Assange est détenu depuis cinq ans à la prison de Belmarsh, dans le sud-est de Londres, ce qui prouve à l’envi la complicité dévouée du gouvernement britannique dans les efforts déployés pour le faire disparaître.
Peu après l’arrestation et l’incarcération d’Assange en 2019, le rapporteur spécial des Nations-Unies sur la torture, Nils Melzer, a signalé que la vie du journaliste était en danger et qu’il présentait « tous les symptômes typiques d’une exposition prolongée à la torture psychologique ».
Melzer, qui est aujourd’hui professeur de droit international à l’université de Glasgow, a également fait remarquer à l’époque que « pendant que le gouvernement américain poursuit M. Assange pour avoir publié des informations sur de graves violations des droits de l’homme, y compris la torture et le meurtre, les responsables de ces crimes continuent de jouir de l’impunité ».
Peut-être que Melzer aurait dû être emprisonné lui aussi ?
Alors que la bataille pour l’extradition de M. Assange touche à sa fin, il semble que les États-Unis soient désormais en mesure de mettre définitivement fin à la vie du messager – et pas seulement de manière métaphorique. Comme l’a récemment déclaré sa femme Stella Assange à des journalistes, « s’il est extradé, il mourra ».
Mais la persécution et le supplice de Julian Assange constituent également la condamnation à mort de toute prétention de démocratie et de justice aux États-Unis d’Amérique, un pays dont la constitution est censée consacrer la liberté d’expression et la liberté de la presse.
Quoi qu’il arrive, l’injustice a déjà remporté une grande victoire avec la sous-représentation chronique dans les grands médias américains des procès d’Assange, que le lanceur d’alerte de l’Agence nationale de sécurité Edward Snowden a décrit comme « l’affaire de liberté de la presse la plus importante au monde ».
Oui, ce qui arrive à Assange aurait du constituer une information majeure pour l’industrie de l’information elle-même. Mais dissimuler la vérité est une autre façon de la tuer – et à cet égard, Julian Assange est déjà mort.
Auteur : Belen Fernandez
* Belen Fernandez est l'auteur de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work, publié par Verso. Elle est rédactrice en chef du Jacobin Magazine. Il est possible de la suivre sur Twitter: @MariaBelen_Fdez
22 février 2024 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet