Par Owen Jones
Trump s’engage dans un crime de guerre absolu – un crime ardemment souhaité par Israël depuis le début, et normalisé par les médias occidentaux.
Il est donc clair que le gouvernement américain est résolu à faciliter un grave crime de guerre – le déplacement forcé de la population palestinienne de Gaza.
C’est ce qu’a reconfirmé le président Trump en répondant aux questions des journalistes à la Maison Blanche.
La question du journaliste britannique Danny Kemp, correspondant de l’agence de presse AFP à la Maison Blanche, est un exemple classique de normalisation médiatique des crimes israélo-américains.
Kemp note que le président égyptien et le roi jordanien ont déclaré qu’ils n’accueilleraient pas les personnes déplacées de Gaza, comme l’avait suggéré Trump. « Y a-t-il quelque chose que vous puissiez faire pour les obliger à le faire ? » demande Kemp. « Je veux dire, des droits de douane contre ces pays, par exemple ? »
Trump répond de manière factuelle : « Ils le feront. Ils le feront « – une réponse à laquelle il continue de s’accrocher.
Ce à quoi Kemp fait référence est le déplacement forcé, qui est un crime de guerre grave. Il s’agit d’un nettoyage ethnique. La criminalité de cet acte n’est même pas évoquée dans la question. Au lieu de cela, il suggère que Trump mène une guerre économique contre deux nations arabes pour les forcer à se rendre complices d’un grave crime de guerre.
Je sais que les collègues journalistes de Kemp sont sur la défensive face aux critiques sur cette question. Leur point de vue est le suivant : regardez la réponse qu’il a obtenue, c’est ça l’histoire, concentrez-vous là-dessus. En effet, nous devons le faire, mais pas avant d’avoir discuté de la normalisation des crimes de guerre extrêmes.
Les médias occidentaux ont normalisé le génocide israélien depuis qu’il a commencé il y a 482 jours, et en voici un exemple frappant. La prémisse de la question est de savoir si Trump peut mener une guerre économique contre deux pays afin de les contraindre à faciliter les crimes de guerre.
Où sont les journalistes qui demandent à Trump s’il sait que le déplacement forcé est un crime de guerre ? Où sont les journalistes qui posent des questions sur le nettoyage ethnique ?
Il semble utopique d’imaginer que les journalistes pourraient envisager de poser des questions aussi élémentaires que celles-ci, ce qui illustre bien le problème.
Peut-être craignent-ils de ne plus jamais pouvoir poser de questions – mais si vous ne pouvez pas poser de questions pertinentes et que vous avez l’impression de ne pouvoir faire autre chose que de normaliser des crimes de guerre hideux, alors peut-être devriez-vous vous demander si votre présence a encore un sens.
Imaginez que Trump se soit publiquement engagé à expulser le peuple ukrainien par la force et qu’il tente de forcer la Pologne, la Biélorussie et d’autres pays à les accueillir tous ? Les journalistes demanderaient-ils vraiment à Trump s’il va leur imposer des droits de douane pour les contraindre à faciliter le nettoyage ethnique ?
En ce qui concerne la substance des propos de Trump, il s’est clairement engagé à procéder au nettoyage ethnique de Gaza.
Les propos qu’il a tenus il y a quelques jours à des journalistes sur Air Force One, dans lesquels il a déclaré que Gaza était un « site de démolition » et que l’Égypte et la Jordanie devraient « prendre des gens » afin de « nettoyer tout cela », ne sont clairement pas des apartés fantaisistes.
En effet, des responsables israéliens ont indiqué à la télévision israélienne que ces commentaires avaient été coordonnés avec Israël.
C’est dans cet esprit que nous nous tournons vers Steve Witkoff, l’envoyé spécial de la Maison Blanche au Moyen-Orient. Il vient de se rendre à Gaza, ou plutôt, ce qui reste de Gaza. C’est le premier responsable américain à se rendre à Gaza depuis 15 ans, ce qui constitue un acte accablant qui parle de lui-même.
Il a déclaré au site web américain Axios : « Ce qui était inéluctable, c’est qu’il ne reste presque plus rien de Gaza ».
Il a ajouté : « Les gens se déplacent vers le nord pour rentrer chez eux et voir ce qui s’est passé, puis font demi-tour et s’en vont… Il n’y a plus d’eau ni d’électricité. Il est stupéfiant de voir à quel point les dégâts sont importants ».
Il leur a dit que d’après ce qu’il a vu, Gaza est « inhabitable ». Il a ajouté : « Il n’y a plus rien de debout. Il y a beaucoup d’engins non explosés. Il n’est pas prudent de s’y promener. C’est très dangereux. Je ne l’aurais pas su sans me rendre sur place et sans inspecter les lieux ».
Je ne veux pas être grossier, mais vraiment ? Witkoff pouvait-il vraiment ne pas le savoir sans s’être rendu sur place ? Je n’ai pas visité le désert apocalyptique auquel Gaza a été délibérément et systématiquement réduit, mais j’aurais vraiment pu le lui dire à l’avance gratuitement.
N’a-t-il pas regardé les images librement accessibles de ce qu’Israël fait à Gaza pratiquement tous les jours depuis 16 mois ? N’a-t-il pas vu les vidéos de blocs résidentiels entiers détruits, ou encore de soldats israéliens installant des explosifs sur, par exemple, des mosquées, des écoles et des universités, puis les faisant exploser ?
N’a-t-il pas regardé les images de soldats israéliens qui rient souvent aux éclats lorsqu’ils font exploser des choses pour le plaisir, puis les postent sur les médias sociaux pour amuser le public ?
Witkoff n’était-il pas au courant de ce que les experts ont conclu en décembre 2023 après un peu plus de deux mois, à savoir qu’Israël avait semé plus de destruction dans ce laps de temps que la destruction d’Alep en Syrie en quatre ans, de Mariupol en Ukraine par les forces russes ou, en fait, proportionnellement au bombardement de l’Allemagne par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale ?
Comme l’a déclaré l’un de ces experts, « Gaza est désormais d’une couleur différente depuis l’espace. C’est une texture différente ».
Witkoff n’a-t-il pas vu les estimations des Nations unies selon lesquelles environ 70 % des bâtiments de Gaza ont été endommagés ou détruits ? Ne savait-il pas que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies avait publié ce mois-ci un rapport estimant que 92 % des logements étaient détruits ou gravement ou partiellement endommagés ?
Lorsque le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a déclaré qu’il n’avait « jamais vu un tel niveau de mort et de destruction que celui auquel nous assistons à Gaza depuis quelques mois », Witkoff a-t-il pensé qu’il exagérait ?
Oui, il ne fait aucun doute que la ruine totale de Gaza, vue de près, doit être incroyablement choquante, même pour ceux qui ont encouragé le crime.
Il y a plusieurs mois, un ancien journaliste palestinien de Gaza avec qui j’ai régulièrement discuté m’a envoyé un texto – c’était au petit matin, j’étais dans un bar de Dublin, les clients étaient ivres et joyeux.
Il m’a dit qu’il avait l’impression d’être pris au piège dans un « film de fin du monde ».
Le contraste entre l’endroit où je me trouvais et ce qu’il endurait était en soi une secousse choquante.
Voir les ruines dévastées de Gaza, une bande de terre pas plus grande que l’est de Londres, où Israël a fait exploser des explosifs avec une puissance de feu plusieurs fois équivalente à celle d’Hiroshima, doit être une expérience des plus instructives.
Mais Witkoff devait le savoir, car la vérité dévastatrice était là pour tout le monde.
Et comment l’envoyé spécial des États-Unis au Moyen-Orient ne peut-il pas regarder cette dévastation apocalyptique totale et ne pas conclure qu’un crime terrible a été commis ?
Croit-il vraiment au fond de lui qu’il y avait une cible militaire légitime dans pratiquement chaque mètre carré de Gaza, avec une attaque sur cette cible militaire supposée légitime qui était proportionnelle à l’avantage militaire obtenu, malgré le massacre et la souffrance des civils qu’elle causerait ?
Non, bien sûr, il ne le croit pas. Personne ne croit à cette fiction. Tout le monde sait qu’Israël a entrepris de détruire Gaza et d’infliger une terrible punition collective à sa population, car l’État israélien l’a clairement indiqué dès le premier jour.
Il vaut cependant la peine de regarder la vidéo [plus haut dans l’article] avec des images de drone montrant ce qui a été fait à Gaza. L’incroyable et courageux journaliste palestinien Hossam Shabat a mis en ligne ces images de Beit Hanoun, qui comptait plus de 50 000 habitants avant le début du génocide. Jetez-y un coup d’œil.
Steve Witkoff affirme aujourd’hui qu’il faudra entre 10 et 15 ans pour reconstruire Gaza. Ce qui est très clair, c’est que le plan d’Israël a toujours été de rendre Gaza inhospitalière, afin que sa population soit tuée et que les survivants soient contraints de fuir.
En effet, selon un rapport publié dans un journal israélien en décembre 2023, Benjamin Netanyahu a ordonné à son autre conseiller, Ron Dermer, le ministre des affaires stratégiques, d’élaborer des plans pour, entre guillemets, « réduire » la population palestinienne de Gaza « au minimum ».
Ce qu’Israël allait faire a toujours été clair, car il l’a annoncé dès le départ. Les médias occidentaux ont normalisé cette abomination. Et maintenant, ils vont normaliser le soutien de Trump au nettoyage ethnique de masse littéral de Gaza.
Comme toujours, nous devons documenter tout cela, car nous devons demander des comptes aux coupables – et finalement les traduire en justice.
Auteur : Owen Jones
* Owen Jones est socialiste, youtuber, journaliste, écrivain.On peut suivre : BattleLines with Owen Jones
31 janvier 2025 – owenjones.news – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau
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