Par Rasha Abu Jalal
Les familles palestiniennes s’efforcent de prendre en charge les enfants qui n’étaient pas les leurs, mais le nombre d’enfants rendus orphelins par la guerre est proprement épouvantable.
KHAN YOUNIS – Mohammad Sharaara, âgé de onze ans, est allongé seul sur un lit d’hôpital au complexe médical Nasser. Il est le seul survivant des six membres de sa famille tués lors d’une frappe israélienne sur leur maison à Khan Younis le mois dernier, y compris ses deux parents.
Mohammad a perdu sa jambe gauche dans le bombardement. Il reçoit un traitement pour se rétablir et reprendre sa vie avec un handicap permanent, mais il n’a personne pour s’occuper de lui ou pour subvenir à ses besoins.
Alors que la famille proche de Mohammad a fui la ville de Gaza vers le sud jusqu’à Khan Younis en décembre 2023, dans une quête de sécurité vouée à l’échec, les autres membres de sa famille sont restés dans le nord.
« La perte de ma jambe n’est pas la plus grande perte de ma vie, ce qui me fait le plus mal, c’est que je veux ma mère. Je ne veux pas vivre sans elle », a déclaré Mohammad à Drop Site News, la voix déchirée par la douleur.
Grâce à un accord de cessez-le-feu entré en vigueur le 19 janvier, les frappes aériennes et les attaques incessantes d’Israël à Gaza ont, pour l’instant, largement cessé.
L’aide a commencé à arriver. Des préparatifs sont en cours pour la reprise des évacuations médicales et les habitants déplacés prévoient de retourner dans le nord.
Les Palestiniens de Gaza commencent seulement à prendre la mesure du bilan dévastateur de la guerre : plus de 47 000 morts confirmés, plus de 111 000 blessés et de vastes pans de l’enclave bombardés, détruits au bulldozer et en ruines.
Pour les enfants de Gaza, le carnage est sans précédent dans l’histoire récente.
Selon le ministère de la santé, plus de 14 500 enfants ont été tués depuis octobre 2023. Sur les 1,9 million de personnes – 9 habitants de Gaza sur 10 – qui ont été déplacées à l’intérieur du pays, la moitié sont des enfants, selon l’UNICEF.
Beaucoup d’enfants qui ont survécu appartiennent à une nouvelle génération d’orphelins palestiniens et Mohammad fait partie de cette génération.
De temps en temps, les mères d’autres enfants soignés en même temps que lui le nourrissent et l’aident à aller aux toilettes.
Aziza Hamid, dont l’enfant est soigné à l’hôpital Nasser après avoir été blessé lors d’une frappe aérienne israélienne, a déclaré à Drop Site qu’elle essayait de prendre soin de Mohammad, en lui apportant des choses comme de la soupe, des tartes et du jus de fruit, quand elle pouvait en trouver. Il mange souvent seul.
« J’ai contacté la grand-mère de Mohammad qui vit dans la ville de Gaza, et elle m’a demandé de prendre soin de lui et de l’emmener avec moi dans notre maison lorsque son traitement sera terminé, jusqu’à ce que la guerre prenne fin », a-t-elle raconté.
Mohammad est l’un des quelque 20 000 enfants orphelins qui ont perdu l’un de leurs parents ou les deux depuis le début de la guerre d’Israël contre Gaza il y a 15 mois, selon Ismail Al-Thawabtah, directeur général du bureau des médias du gouvernement.
Plus de 40 % des familles de Gaza s’occupent d’enfants qui ne sont pas les leurs, a-t-il ajouté
« Même avant la guerre israélienne actuelle, il y avait un nombre stupéfiant d’orphelins à Gaza – 33 000 enfants – en raison des cinq guerres précédentes depuis 2008 », a-t-il déclaré à Drop Site.
Les quatre orphelinats de Gaza ont été transformés en abris pour les personnes déplacées, laissant les enfants orphelins sans soins ou vivant avec d’autres familles, a déclaré M. Al-Thawabtah.
Le bilan de la brutale campagne militaire israélienne sur les enfants est apparu très tôt dans la guerre.
Peu après le début des frappes aériennes en octobre 2023, les médecins de Gaza ont commencé à utiliser un acronyme unique pour décrire ce qui était rapidement devenu un phénomène courant : WCNSF, abréviation de « Wounded Child No Surviving Family » (enfant blessé sans famille survivante).
L’innocence sous le feu : les enfants dans le génocide à Gaza et leur appel à l’aide
Les familles palestiniennes sont intervenues pour tenter de prendre en charge les enfants qui n’étaient pas les leurs. Mais le nombre de nouveaux orphelins, dont beaucoup sont blessés, est épouvantable.
Osama al-Qarnawi, un bébé de 8 mois, est devenu orphelin peu après sa naissance. Sa mère, Amani, qui l’a mis au monde en juin après avoir essayé pendant 16 ans de fonder une famille, a été tuée peu après lors d’une frappe aérienne qui a visé une école de Deir al-Balah abritant des personnes déplacées.
En mai, avant la naissance d’Oussama, son père, sa tante et sa grand-mère ont été tués lors d’un autre bombardement de leur maison dans le camp de réfugiés d’al-Bureij, au centre de Gaza.
L’une des tantes survivantes d’Oussama, Hanaa al-Qarnawi, a décidé de l’adopter et de l’élever avec ses propres enfants.
« Le père d’Oussama lui avait acheté tout ce dont il avait besoin lorsqu’il était bébé, comme des couches, du lait, des vêtements et même des jouets, mais les frappes aériennes israéliennes l’ont empêché de rester à ses côtés », a-t-elle expliqué à Drop Site, alors qu’Oussama dormait dans un lit métallique délabré, à côté d’elle, dans une école accueillant des personnes déplacées.
« Je me suis promis d’élever Oussama comme mes propres enfants », a-t-elle encore dit.
En raison de la guerre, il n’y a pas de prise en charge officielle des enfants orphelins à Gaza, a expliqué Hanaa. « J’essaie de subvenir à ses besoins, mais il a besoin de plus que ce que je peux lui offrir », a-t-elle expliqué. « Le lait et la nourriture suffisent à peine, et l’environnement ici n’est pas adapté à un nourrisson. »
Dardah Al-Shaer, professeur de psychologie sociale à l’université Al-Aqsa de Gaza, a déclaré à Drop Site que de nombreux enfants qui ont perdu leurs parents doivent également subvenir aux besoins de leurs jeunes frères et sœurs.
Les solutions temporaires ne résoudront pas la crise des orphelins à Gaza, a déclaré Al-Shaer. Gaza a besoin d’un fonds spécial pour les orphelins afin d’assurer les besoins de base tels que l’éducation, le logement, l’habillement et la nourriture.
En raison de la perte de leur famille et de leur exposition permanente aux horreurs de la guerre, les orphelins souffrent également de graves traumatismes psychologiques.
Les symptômes comprennent des mictions involontaires, des convulsions, un comportement agressif et une nervosité excessive.
Une étude menée par le Centre de formation communautaire pour la gestion des crises à Gaza, publiée le 12 décembre 2024, a révélé que 96 % des enfants de Gaza pensent que leur mort est imminente, tandis que 49 % d’entre eux expriment le désir de mourir.
« À presque tous les égards, 2024 a été l’une des pires années pour les enfants dans les conflits dans l’histoire de l’UNICEF – à la fois en termes de nombre d’enfants touchés et de niveau d’impact sur leur vie », a déclaré la directrice générale de l’UNICEF, Catherine Russell, dans un communiqué.
« Nous ne pouvons pas permettre qu’une génération d’enfants devienne un dommage dit collatéral des guerres incontrôlées dans le monde. »
Auteur : Rasha Abu Jalal
* Rasha Abu Jalal est auteure et journaliste à Gaza. Elle couvre les événements politiques et les questions humanitaires et elle a produit des reportages sur des questions sociales pour le journal local Istiklal pendant six ans. Rasha a également été membre du jury de l'événement annuel sur la liberté de la presse dans la bande de Gaza, Press House, en 2016. Son compte Twitter.
22 janvier 2023 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine
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