Par Ramzy Baroud
Une succession d’événements qui ont débuté à Barcelone, en Espagne, en février, et se sont poursuivis à Liège, en Belgique, et à Oslo, en Norvège, en avril, envoie à Israël un puissant signal : Le mouvement palestinien de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) est bien vivant.
Le maire de Barcelone a annulé un accord de jumelage avec la ville israélienne de Tel Aviv. Cette décision n’a pas été prise à la légère, même si Ada Colau est bien connue pour ses positions idéologiques.
Elle est l’aboutissement d’un processus entièrement démocratique initié par les partis de gauche du conseil municipal.
Quelques semaines après cette décision, le 8 février, une organisation juridique pro-israélienne, The Lawfare Project, a annoncé son intention d’intenter une action en justice contre Ada Colau au motif qu’elle aurait « outrepassé ses fonctions ».
The Lawfare Project voulait signifier aux autres conseils municipaux d’Espagne et d’Europe que le boycott d’Israël avait de sérieuses répercussions juridiques.
Toutefois, à la grande surprise de l’organisation – et d’Israël – d’autres villes ont rapidement mis en place leur propre boycott. Il s’agit notamment de la ville belge de Liège et de la capitale norvégienne, Oslo.
Les dirigeants de Liège n’ont pas cherché à dissimuler les raisons de leur décision. Le conseil municipal a décidé de suspendre ses relations avec les autorités israéliennes au motif qu’elles avaient mis en place un régime « d’apartheid, de colonisation et d’occupation militaire ».
Cette décision a été soutenue par un vote majoritaire au sein du conseil, prouvant une fois de plus que la position pro-palestinienne était profondément démocratique en plus d’être morale.
Le cas d’Oslo est particulièrement intéressant. C’est là que le « processus de paix » a abouti aux accords d’Oslo en 1993, qui ont fini par diviser les Palestiniens notamment parce que ces accords donnaient à Israël une couverture politique pour poursuivre ses pratiques illégales, tout en prétendant ne pas avoir de partenaire de paix.
Mais Oslo ne se contente plus des slogans creux du passé. En juin 2022, le gouvernement norvégien a déclaré son intention de refuser le label « Made in Israel » aux produits fabriqués dans les colonies juives israéliennes illégales en Palestine occupée.
Bien que les colonies juives soient illégales au regard du droit international, l’Europe n’a jamais hésité à faire des affaires – en fait, des affaires lucratives – avec ces colonies.
En novembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a toutefois statué que tous les produits fabriqués dans les « zones occupées par Israël » devaient être étiquetés comme tels, afin de ne pas induire les consommateurs en erreur.
La décision de la Cour était une version édulcorée de ce que les Palestiniens attendaient : un boycott complet, sinon d’Israël dans son ensemble, du moins de ses colonies illégales.
Cependant, la décision n’a pas été sans effet. Elle a fourni une nouvelle base juridique au boycott, en renforçant les organisations de la société civile pro-palestinienne et en montrant à Israël que son influence en Europe n’était pas aussi illimitée que le souhaiterait Tel Aviv.
Tout ce qu’Israël a pu faire, c’est de publier des déclarations emportées, accompagnées d’accusations hasardeuses d’antisémitisme.
En août 2022, le ministre norvégien des affaires étrangères, Anniken Huitfeldt, a demandé à rencontrer le Premier ministre israélien de l’époque, Yair Lapid, lors de sa visite en Israël. Lapid a refusé.
Non seulement cette arrogance n’a pas changé grand-chose à la position de la Norvège sur l’occupation israélienne de la Palestine, mais elle a élargi la marge de manœuvre des militants pro-palestiniens et, au bout du compte, Oslo a décidé, en avril, d’interdire l’importation de produits fabriqués dans les colonies illégales.
Le mouvement BDS a commenté, sur son site web, la décision d’Oslo : « La capitale norvégienne a annoncé qu’elle ne ferait pas le commerce de biens et de services produits dans des zones illégalement occupées en violation du droit international ».
En pratique, cela signifie que la « politique d’approvisionnement d’Oslo exclura les entreprises qui contribuent directement ou indirectement à la colonisation illégale d’Israël – un crime de guerre en vertu du droit international ».
Ces évolutions rapides pourraient pousser The Lawfare Project à élargir ses poursuites juridiques à Liège, Oslo et une toute une liste de conseils municipaux qui boycottent de plus en plus activement Israël. Mais il n’y a aucune garantie que l’issue de ces litiges soit favorable à Israël.
En fait, c’est plutôt le contraire qui risque de se produire.
La récente décision des villes de Francfort et de Munich, en Allemagne, d’annuler les concerts de Roger Waters, légende du rock and roll pro-palestinien, dans le cadre de sa tournée « This is Not a Drill », en est un bon exemple.
Francfort a justifié sa décision en qualifiant Waters de « l’un des antisémites les plus connus au monde ». Cette affirmation aussi effarante qu’arbitraire a été rejetée par un tribunal civil allemand qui, le 24 avril, a statué en faveur de Waters.
En effet, alors qu’un nombre croissant de villes européennes se rangent du côté de la Palestine, celles qui se rangent du côté de l’apartheid israélien ont du mal à défendre ou à maintenir leur position, simplement parce que les premières fondent leurs positions sur le droit international, tandis que les secondes s’appuient sur des interprétations biaisées et élastiques de l’antisémitisme.
Que signifie tout cela pour le mouvement BDS ?
Dans un article publié en mai dernier dans le magazine Foreign Policy, Steven Cook a conclu hâtivement que le mouvement BDS « a déjà perdu », car, selon lui, les efforts pour boycotter Israël n’ont eu aucun effet « dans les couloirs du gouvernement ».
Si le BDS est un mouvement politique qui peut commettre des erreurs de calcul et des fautes, il s’agit également d’une campagne soutenue par le peuple et qui s’efforce d’atteindre des objectifs politiques par le biais de changements progressifs et mesurés.
Pour réussir dans la durée, ces campagnes doivent d’abord impliquer les gens ordinaires dans la rue, les activistes dans les universités, les lieux de culte, etc., et s’appuyer sur des stratégies de long terme, élaborées, elles aussi, par des collectifs et des organisations de la société civile locale et nationale.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
2 mai 2023 – The Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet