Par Jonathan Cook
Les dirigeants présents au sommet de la COP26 n’avaient aucune intention de s’attaquer aux impacts environnementaux croissants causés par leurs dépenses de “défense”.
Les dirigeants de la planète se sont réunis à Glasgow la semaine dernière pour le sommet COP26 dans le but de démontrer qu’ils s’attaquent même tardivement à la crise climatique.
Des accords visant à protéger les forêts, à réduire les émissions de carbone et de méthane et à promouvoir les technologies vertes ont été avancés sous les yeux du monde entier.
Les hommes politiques occidentaux, en particulier, veulent sortir du sommet avec des “références vertes”, prouvant qu’ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher une future augmentation de la température mondiale de plus de 1,5 °C.
Ils craignent le verdict des peuples mécontents… Ils craignent le verdict d’un électorat mécontent s’ils reviennent bredouilles.
Les climatologues doutent déjà que les engagements pris aillent assez loin ou puissent être mis en œuvre assez rapidement pour faire la différence. Ils ont prévenu que des mesures draconiennes devaient être prises d’ici à la fin de la décennie pour éviter une catastrophe climatique.
Mais l’activité visible du sommet cache une réalité bien plus crue. Les nations qui prétendent au leadership moral dans la lutte contre la crise climatique sont aussi celles qui font le plus pour saboter un accord significatif visant à réduire l’empreinte carbone de l’humanité.
Une photo de l’ouverture de la COP26 montre le Premier ministre britannique Boris Johnson, hôte du sommet, saluant chaleureusement le président américain Joe Biden et le Premier ministre israélien Naftali Bennett. Mais plutôt que de les féliciter, nous devrions considérer ce triumvirat comme les plus grands saboteurs dans les négociations climatiques.
Leurs forces armées sont les plus polluantes de la planète – et l’objectif de la COP26 est de faire en sorte que ce fait reste un secret bien gardé.
Caché à la vue
Les dépenses militaires des États-Unis dépassent de loin celles de tous les autres pays, à l’exception d’Israël, lorsqu’elles sont mesurées par rapport à la taille de la population.
Bien que le Royaume-Uni soit à la traîne, il dispose toujours du cinquième plus gros budget militaire au monde, tandis que ses fabricants d’armes s’affairent à fournir des armes à des pays que d’autres ont hésité à approvisionner.
On estime que l’armée américaine a, à elle seule, une empreinte carbone supérieure à celle de la plupart des pays. On considère généralement qu’elle est la plus grande consommatrice institutionnelle de pétrole brut au monde.
Et les émissions des armées et des fabricants d’armes occidentaux semblent augmenter chaque année au lieu de diminuer – bien que personne ne puisse en être certain car elles sont activement dissimulées.
Lors du sommet de Kyoto, il y a 24 ans, Washington a insisté pour obtenir une exemption de déclaration et de réduction de ses émissions militaires. Sans surprise, tout le monde a sauté dans le train en marche.
Depuis le sommet de Paris de 2015, les émissions militaires sont partiellement déclarées. Mais trop souvent, les chiffres sont masqués – mis dans le même sac que les émissions d’autres secteurs, comme les transports.
Et les émissions des opérations à l’étranger – dans le cas des États-Unis, 70 % de leur activité militaire – sont entièrement exclues du bilan.
Conflits et guerres
La majeure partie de l’Europe a également refusé d’être honnête. La France, dont l’armée est la plus active du continent, ne déclare aucune de ses émissions.
Selon les recherches menées par Scientists for Global Responsibility, les émissions militaires du Royaume-Uni sont trois fois plus importantes que celles qu’il déclare, même après exclusion des chaînes d’approvisionnement, ainsi que de la production d’armes et d’équipements. L’armée est responsable de l’écrasante majorité des émissions du gouvernement britannique.
Et les nouvelles technologies, au lieu de rendre l’armée verte, aggravent souvent la situation.
Le dernier avion de combat mis au point par les États-Unis, le F-35, brûlerait 5600 litres de carburant par heure. Il faudrait 1900 voitures pour engloutir une quantité similaire de carburant sur la même période.
La Norvège, comme de nombreux autres pays, a fait la queue pour mettre la main sur ce jet de nouvelle génération. Selon le journal norvégien Dagsavisen, les émissions totales de l’armée norvégienne au cours de la prochaine décennie augmenteront de 30% du fait de ses seuls achats de F-35.
En plus de négliger les dommages environnementaux causés par les achats d’équipements militaires et les chaînes d’approvisionnement, les pays excluent également les impacts significatifs des conflits et des guerres.
Par exemple, selon des estimations prudentes, chaque année d’occupation de l’Irak par les États-Unis, qui a débuté en 2003, a généré des émissions équivalentes à la mise en circulation de 25 millions de voitures supplémentaires.
Dépenses militaires en hausse
Contrairement aux secteurs de l’agriculture et de l’exploitation forestière, aux industries manufacturières ou aux industries des combustibles fossiles, les initiatives visant à freiner la croissance des dépenses militaires – et encore moins à l’inverser – ne sont pas à l’ordre du jour du sommet COP26.
Et pour cela, Washington doit assumer la majeure partie de la responsabilité.
Son budget “défense” représente déjà environ 40% des 2000 milliards de dollars dépensés chaque année pour les armées du monde entier. La Chine et la Russie – ostensiblement les deux épouvantails du sommet COP26 – sont loin derrière.
Le gouvernement de Boris Johnson a dévoilé l’année dernière ce qu’il a appelé “le plus grand programme d’investissement dans la défense britannique depuis la fin de la guerre froide”.
La Grande-Bretagne n’est pas un cas à part. Après les “dividendes de la paix” de courte durée provoqués par l’éclatement de l’Union soviétique, les dépenses militaires mondiales ont connu une tendance à la hausse presque continue depuis 1998, sous l’impulsion des États-Unis.
Paradoxalement, cette hausse a commencé au moment où les politiciens occidentaux ont commencé à parler de la lutte contre le “changement climatique” au sommet de Kyoto.
Les dépenses militaires américaines n’ont cessé d’augmenter depuis 2018. Elles devraient continuer à le faire pendant encore au moins deux décennies – bien au-delà de l’échéance fixée par les climatologues pour inverser la tendance.
La même tendance mondiale à la hausse a été alimentée par une poussée des dépenses militaires des pays du Moyen-Orient – notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – depuis 2013. Cela semble refléter deux tendances ancrées dans l’évolution de l’approche de Washington vis-à-vis de la région.
Premièrement, alors qu’ils ont retiré leurs forces d’occupation débordées d’Irak et d’Afghanistan, les États-Unis ont de plus en plus externalisé leur rôle militaire à de riches États clients dans cette région riche en pétrole.
Ensuite, alors qu’Israël et les États du Golfe ont été encouragés à resserrer leurs liens militaires et de renseignement contre l’Iran, ces mêmes États du Golfe ont été autorisés à rattraper Israël sur le plan militaire. Son célèbre “avantage militaire qualitatif” s’érode progressivement.
Le Royaume-Uni, qui exporte vers les Saoudiens, et les États-Unis, qui subventionnent largement les industries militaires israéliennes, soutiennent cette course aux armements au Moyen-Orient.
Compétition pour le pouvoir
Tout cela signifie que, tandis que les politiciens occidentaux promettent à la COP26 de réduire les émissions, ils sont en fait occupés à préparer l’augmentation de ces émissions et à l’abri des regards.
En fin de compte, le problème est qu’il n’y a pas grand-chose à faire pour rendre nos armées plus vertes, que ce soit sur le fond ou par le biais d’un relooking écologique. La raison d’être de l’armée n’est ni d’être durable ni d’être respectueuse de la planète…
Le modèle économique des fabricants d’armes consiste à offrir à leurs clients – du Pentagone jusqu’à tous les dictateurs de pacotille – des armes et des machines plus grandes, meilleures ou plus rapides que leurs concurrents.
Les porte-avions doivent être plus grands. Les avions de chasse plus rapides et plus mobiles. Et les missiles plus destructeurs.
La consommation et la concurrence sont au cœur de la mission militaire, que les armées fassent la guerre ou qu’elles présentent leurs activités comme purement “défensives”.
La “sécurité”, fondée sur la peur des voisins et des rivaux, ne peut jamais être satisfaite. Il y a toujours un autre char, un autre avion ou un autre système antimissile qui peut être acheté pour créer une plus grande “dissuasion”, pour protéger plus efficacement les frontières, pour intimider un ennemi possible.
Et la guerre fournit des raisons encore plus grandes de consommer davantage les ressources limitées de la planète et d’infliger encore plus de dommages aux écosystèmes. Des vies sont prises, des bâtiments rasés, des territoires contaminés.
Le Royaume-Uni possède 145 bases militaires dans 42 pays, pour garantir ce qu’il perçoit comme ses “intérêts nationaux”. Mais ce chiffre est éclipsé par plus de 750 bases militaires américaines réparties dans 80 pays.
Il sera beaucoup plus difficile de se débarrasser de cette projection de puissance énergivore dans le monde que de protéger les forêts ou d’investir dans les technologies vertes.
Les États-Unis et leurs alliés occidentaux devront d’abord renoncer à leur mainmise sur les ressources énergétiques de la planète et renoncer à faire la police dans l’intérêt de leurs sociétés transnationales.
C’est précisément cette compétition de pouvoir à large spectre – économique, idéologique et militaire – qui nous a propulsés dans la catastrophe climatique actuelle. Pour y remédier, il faudra examiner nos priorités bien plus en profondeur que ne semblent prêts à le faire les dirigeants présents à la COP26.
Auteur : Jonathan Cook
8 novembre 2021 – Middle East Eye – Traduction : Chronique de Palestine