Par Abdel Bari Atwan
Lorsque le président américain Donald Trump accuse l’Iran d’être derrière la plupart des attaques terroristes, sinon toutes, dans le monde, le prince héritier saoudien Muhammad Bin-Salman jure ouvertement de mener sa bataille contre l’Iran en territoire iranien et Israël menace de continuer à attaquer les cibles militaires iraniennes pour empêcher le pays d’établir des bases de missiles en Syrie.
L’attaque sanglante de samedi contre un défilé militaire à Ahvaz au cours de laquelle 29 personnes ont été tuées n’est pas une surprise. En effet, un tel incident aurait pu être attendu plus tôt, et de telles attaques, même plus sanglantes, pourraient être attendues à l’avenir. La région se trouve au seuil d’une guerre terroriste sans précédent menée par les services de renseignement et qui sera destructrice pour toutes les parties concernées.
Trump impose un blocus économique suffocant à l’Iran qui devrait atteindre son maximum en novembre, lorsque sa composante la plus importante, l’interdiction des exportations de pétrole, deviendra opérationnelle. Son principal objectif est de déstabiliser sinon détruire le régime iranien dans le but de le renverser définitivement par la force militaire. L’expérience nous a appris que les guerres américaines dans notre région ne tombent pas du ciel, mais sont l’aboutissement de stratégies qui impliquent des années de préparation.
Trump sait bien que les sanctions économiques seules ne peuvent pas renverser les régimes. Sinon, les régimes nord-coréen et cubain seraient tombés il y a des années, sans parler du régime irakien dirigé par Saddam Hussein et l’administration du Hamas dans la bande de Gaza. Les blocus qui ne sont pas suivis d’une intervention militaire ont tendance à se retourner contre leurs auteurs. C’est la raison pour laquelle le projet en question a commencé par créer un “OTAN arabe” composé des six États du Golfe, plus l’Égypte, la Jordanie et le Maroc, en prévision d’une telle intervention, si elle devait avoir lieu. Les frappes aériennes israéliennes successives en Syrie sont l’une de ses composantes.
L’Iran est un État puissant doté d’un projet stratégique qu’il cherche à renforcer grâce à une capacité militaire nationale et régionale. Plus fondamentalement, il dispose d’une capacité en missiles qui peut avoir un effet décisif sur le terrain et priver la supériorité aérienne occidentale de son arme la plus puissante : la capacité de terroriser et, partant, d’imposer une reddition rapide de l’autre côté. L’Iran est passé de l’exportation de la révolution à l’exportation de capacités en missiles et au renforcement des groupes paramilitaires alliés, considérés comme une menace existentielle par la plupart de ses adversaires, en particulier Israël et l’Arabie saoudite.
L’héritier saoudien Muhammad Bin-Salman est le plus proche allié arabe de Trump et le pilier de sa stratégie visant à saper de l’intérieur la sécurité et la stabilité de l’Iran. Il n’aurait pas fait les déclarations qu’il a faites il y a un an en s’engageant à mener la bataille à l’intérieur de l’Iran si, à sa connaissance, les États-Unis et Israël ne prévoyaient pas de changer le régime et ses différentes étapes pour y parvenir. C’était la première fois dans l’histoire de la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran qu’un officiel saoudien osait parler ouvertement de son intention de fomenter la rébellion parmi les minorités religieuses et ethniques en Iran. Auparavant, les dirigeants saoudiens n’avaient jamais reconnu publiquement ni ne s’étaient vantés de se mêler des affaires d’autres pays ou de leur faire la guerre. Ce que nous avons vu au Yémen, nous allons en être les témoins en Iran.
Les gardes révolutionnaires iraniens, qui ont été ciblés et humiliés lors de l’attaque d’Ahvaz alors que leurs alliés directs et indirects ont remporté des victoires en Irak, en Syrie et au Yémen, ont rapidement accusé un groupe séparatiste arabe venu d’Arabie saoudite d’être à l’origine de l’attentat. Ils ont juré de riposter, une menace réitérée par le guide suprême Ali Khamenei, le président Hassan Rohani et d’autres responsables.
Ce n’est pas un hasard si le Dr. Abdelkhaleq Abdallah, décrit comme l’un des plus proches collaborateurs du Prince héritier d’Abu Dhabi, Muhammad Bin-Zayed, a écrit un tweet justifiant l’attaque du défilé militaire à Ahvaz. Ce n’était pas écart de langage. Cela a été dit sous la direction expresse des dirigeants de son pays et de leurs homologues saoudiens. Sinon, le tweet aurait été immédiatement effacé et désavoué, et l’auteur aurait été jeté en prison. Mais cela ne s’est pas produit.
Pour aller plus au fon des choses, les questions militaires ne sont pas un sujet dont les tweeters arabes, en particulier dans le Golfe, peuvent discuter librement. Chaque mot est soigneusement étudié et dicté dans le but d’envoyer un message spécifique à une partie ou à une autre. Le Dr. Abdallah est un politologue, pas un porte-parole militaire et il déclare que “mener la bataille à l’intérieur de l’Iran est une option déclarée et qu’elle augmentera dans la période à venir” comme si c’était simplement son évaluation personnelle.
Cela étant, nous pouvons être sûrs que nous sommes maintenant confrontés à une guerre menée par des agences de renseignement ciblant l’Iran de l’intérieur. cette guerre est basé sur le recrutement de certaines minorités arabes, sunnites, azéries et baloutches (ces dernières vivent principalement dans le sud-est de l’Iran près des frontières pakistanaise et afghane et sont représentées par l’organisation radicale sunnite Jundallah)comme cela a été fait en Afghanistan pendant l’ère soviétique, entraînant l’effondrement du régime communiste de Muhammad Najibullah.
Il est peut-être prématuré de dire que ce plan a beaucoup de chances de réussir. Le régime de la révolution islamique en Iran n’est en rien comparable avec l’ancien gouvernement communiste en Afghanistan, même si les États-Unis ont mené les campagnes contre les deux, l’Arabie saoudite jouant un rôle clé dans le soutien financier, militaire et sectaire/idéologique. Les différences entre les deux cas sont très grandes et les temps ont également changé.
L’Iran a plus d’expérience des “guerres fantasmagoriques” que l’Arabie Saoudite et certains de ses alliés du Golfe (soit-dit en passant, le Koweït, le Qatar et Oman ont dénoncé l’attaque sanglante contre le défilé militaire et la qualifient d’acte terroriste). Cette expérience a été renforcée “sur le plan opérationnel” grâce à l’implication directe des services de renseignement iraniens dans les guerres sur trois arènes – la Syrie, l’Irak et le Yémen – et en particulier contre l’organisation de l’État islamique, et indirectement au Sud-Liban et dans la bande de Gaza. L’expertise des services de renseignement saoudiens n’a été testée que dans deux pays, la Syrie et le Yémen, et les résultats obtenus dans les deux cas ont été des plus modestes, compte tenu des résultats obtenus jusqu’à présent.
L’Iran a fait face à des ingérences étrangères, à des révoltes internes et à des mouvements séparatistes soutenus par l’extérieur depuis trente ans. Mais son régime n’a jamais été menacé d’effondrement. Il est devenu plus fort et plus résistant, réalisant une performance militaire après l’autre.
Trump veut impliquer l’Arabie saoudite, avec ses alliés du Golfe et certains régimes sunnites arabes, dans une guerre “terroriste” par procuration en Iran. En plus de couler financièrement l’Arabie saoudite, cela pourrait compromettre la propre sécurité intérieure de ce régime, à un moment où il a besoin de stabilité dans une période de transition cahoteuse sous le régime du roi Salman. Alors qu’il existe des moyens que le royaume peut employer pour le plus grand profit des États-Unis afin de déstabiliser l’Iran d’autres moyens à sa disposition. Il suffit de jeter un coup d’œil sur ce qui a été accompli par les armes politiques et militaires d’Iran en Irak et en Syrie, et plus loin au Yémen, ce dernier ayant su résister à ce qui est peut-être la plus longue attaque jamais menée sur le pays. *****
Le problème à notre avis ne réside pas dans le fait de savoir si l’attaque contre le défilé militaire à Ahvaz est qualifiée de terroriste ou non. Cela réside dans les conséquences qui pourraient en découler. Nous sommes entrés dans une période d’implication dans une guerre secrète d’attaques terroristes et de contre-attaques, alors que d’autres pays ont recours au dialogue pour résoudre leurs différends. Les dirigeants de la Corée du Nord et de la Corée ont guerre de l’année qui a failli devenir nucléaire.
Les Etats-Unis jouent avec le feu avec les guerres clandestines et économiques dont la fusée s’est allumée dans la région à l’instigation d’Israël. L’ironie, c’est que ce sont les doigts de l’Arabie saoudite et peut-être d’autres pays qui sont les plus susceptibles d’être brûlés, et peut-être, qui sait, même incinérés.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
23 septembre 2018 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine