Pour l’Occident, les enfants de Palestine sont des adultes que l’on peut tuer

Le petit Saddam Rajab, qui a été abattu par un soldat israélien le 28 janvier en Cisjordanie occupée et est décédé des suites de ses blessures - Photo : Al Jazeera Arabic

Par Yara Hawari

Présenter les enfants palestiniens comme des adultes, permet à Israël et à l’Occident de blanchir leur assassinat, leur mutilation et leur emprisonnement.

Le 7 février, Saddam Rajab, 10 ans, est décédé dans un hôpital de Cisjordanie occupée après avoir été mortellement blessé par un soldat israélien quelques jours auparavant. Saddam se tenait dans la rue devant sa maison lorsque des soldats israéliens ont envahi son village près de Tulkarem et se sont mis à tirer.

Des images de vidéosurveillance montrent le moment où il a été abattu. Il s’est effondré sur le sol et a attrapé son ventre en se recroquevillant en position fœtale. Le premier hôpital où il a été transporté d’urgence n’a pas été en mesure de le soigner et il a dû être transféré dans un autre hôpital à Naplouse.

En chemin, l’ambulance a été bloquée pendant des heures à un poste de contrôle où un soldat israélien a dit au père de Saddam en ricanant : « C’est moi qui ai tiré sur ton fils. J’espère qu’il mourra ».

Pour Israël, tuer des enfants palestiniens est une politique d’Etat

Saddam est l’un des 13 enfants palestiniens que l’armée israélienne a tués en Cisjordanie occupée depuis le début de l’année. Le nombre d’enfants assassinés par des soldats et des colons israéliens en Cisjordanie occupée a dépassé 220 depuis janvier 2023.

L’histoire de Saddam – comme celle d’autres enfants palestiniens victimes – n’a jamais fait les gros titres de la presse internationale. La communauté internationale n’a pas réagi à son assassinat. C’est parce qu’elle ne considère plus les enfants palestiniens comme des êtres humains.

Cela apparaît clairement à travers les rares histoires qui franchissent le mur des médias, comme celle de Hind Rajab, six ans, tuée par l’armée israélienne à Gaza le 29 janvier 2024, un an avant l’assassinat de Saddam. Avec sa tante, son oncle et ses cousins, Hind tentait d’évacuer la ville de Gaza en voiture lorsqu’ils ont été encerclés par les forces israéliennes, qui leur ont tiré dessus.

La fillette palestinienne Hind Rajab pose pour une photo, dans cette image non datée diffusée par la famille.

Ses proches ont été tués tout de suite, mais Hind a survécu à la première salve de tirs et a réussi à entrer en contact avec le Croissant-Rouge palestinien (CRP). L’enregistrement de ses appels téléphoniques au Croissant-Rouge palestinien demandant de l’aide alors que les chars israéliens se rapprochaient d’elle a choqué le monde entier.

L’ambulance envoyée pour la secourir a été attaquée à son arrivée et les appels de Hind au Croissant-Rouge palestinien ont cessé. Près de deux semaines plus tard, les corps de Hind, de ses proches et des deux ambulanciers, Yusuf Zeino et Ahmed al-Madhoun, ont été retrouvés.

Des enquêtes ultérieures ont montré que l’armée israélienne avait tiré sur l’ambulance et la voiture dans laquelle Hind était bloquée, bien qu’elle ait informée de la situation.

L’histoire de la mort brutale de Hind a fait la une des journaux internationaux – un cas rare parmi les plus de 17 000 enfants tués à Gaza – mais les médias ont tenté de la déshumaniser et de lui refuser le statut d’enfant victime.

Par exemple, lors d’un reportage sur le campement d’étudiants de l’université de Columbia qui a donné son nom à un bâtiment, CNN a expliqué que « Hind » était le nom d’une « femme » tuée à Gaza.

Un autre exemple particulièrement flagrant de déni du statut d’enfant d’un enfant palestinien est un reportage de janvier 2024 de Sky News, dans lequel un radiodiffuseur a affirmé que : « une balle perdue s’est retrouvée accidentellement dans la camionnette qui se trouvait devant, et a tué une jeune fille de trois ou quatre ans ».

Pour Israël, tuer des enfants palestiniens est la norme

Cette « jeune fille » était une enfant palestinienne nommée Ruqaya Ahmad Odeh Jahalin, qui a été tuée d’une balle dans le dos par des soldats israéliens alors qu’elle était assise dans un taxi avec sa famille en Cisjordanie.

Ces exemples illustrent ce que l’universitaire palestinienne Nadera Shalhoub-Kevorkian a appelé le « désenfantement » la négation du statut d’enfant.

Elle a inventé ce terme pour dénoncer la déshumanisation qui accompagne la violence contre les enfants dans un contexte colonial. Dans la Palestine occupée et colonisée, les enfants palestiniens sont privés de leur qualité d’enfant afin de justifier la brutalité qui leur est infligée.

Depuis des décennies, les enfants palestiniens sont présentés par le régime israélien et l’Occident soit comme inférieurs aux autres enfants, soit comme n’étant pas des enfants du tout ; ils sont souvent assimilés à des adultes susceptibles de devenir des « terroristes ».

Ils sont ainsi considérés comme intrinsèquement dangereux et se voient refuser le statut d’« enfant » et la connotation d’innocence qui lui est associée.

Le « désenfantement », la négation de leur condition d’enfant, ne couvre pas seulement le meurtre et la mutilation des enfants palestiniens ; il facilite également leur enlèvement, leur détention et leur maltraitance dans les prisons israéliennes.

L’année dernière, Ayham al Salaymeh, un Palestinien de 14 ans originaire de Silwan, à Jérusalem, est devenu le plus jeune Palestinien à purger une peine d’emprisonnement dans une geôle israélienne Ayham avait été arrêté deux ans auparavant et accusé d’avoir jeté des pierres sur des colons israéliens illégaux.

Ayham al Salaymeh est devenu le plus jeune prisonnier palestinien à l’âge de 14 ans – Photo : Al Jazeera Arabic

Il a été interrogé et assigné à résidence pendant deux ans, avant d’être condamné en vertu de la nouvelle législation israélienne qui autorise l’emprisonnement d’enfants palestiniens pour des infractions capitales qualifiées de « terrorisme ». Israël est le seul pays au monde à poursuivre et à emprisonner systématiquement les enfants.

Les médias israéliens qualifient régulièrement les enfants palestiniens comme Ayham de menaces potentielles pour la sécurité, de mineurs endoctrinés ou de boucliers humains, afin de justifier leur emprisonnement et leur torture.

A mesure que le génocide s’étend à toute la Palestine, davantage d’enfants et d’adultes palestiniens seront tués par l’armée israélienne sous les yeux du monde. C’est l’horrible réalité ! Leur massacre ne sera pas couvert par les grands médias occidentaux, il n’y aura pas de d’interviews de leurs familles avec des photos de leur enfance, ni de condamnation officielle des dirigeants du monde.

Les enfants palestiniens ont été complètement privés de leur enfance et, avec elle, de leur humanité.

17 février 2025 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

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