Par Rasha Reslan
Six soldats de l’occupation israélienne évoquent à l’écran des atrocités qu’ils ont commises et qui s’apparentent à des crimes contre l’humanité, avec une réalisme choquant qui reflète sous un angle particulier la gravité de la situation à Al-Khalil.
Le New York Times Op-Docs s’est récemment procuré un court documentaire intitulé “Mission : Hébron” du réalisateur israélien et “ancien” soldat Rona Segal.
C’est la première fois depuis plusieurs années qu’un documentaire jette une lumière crue sur une partie des souffrances quotidiennes des Palestiniens dans la ville occupée d’Al-Khalil [Hébron]. Une réalité stupéfiante que le public a rarement été autorisé à voir.
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“Les soldats aiment vraiment tirer des balles en acier et caoutchouc.”
“C’est amusant.”
“Tout le monde s’en tape au moins cinq”.
“Tu es génial, tu l’as eu”
Al-Khalil est considérée comme la plus grande ville de Cisjordanie occupée et la seule où les colons israéliens sont installés aussi près des Palestiniens, exacerbant ainsi leurs souffrances.
Les Palestiniens y sont soumis à de sévères restrictions de mouvement, les forces d’occupation israéliennes étant constamment présentes et engagées dans un projet de longue date pour les en expulse, et notamment de la vieille ville.
Le court documentaire, en six chapitres, présente les atrocités commises par Israël à Al-Khalil
Six soldats israéliens des troupes d’occupation, tous entrés dans l’armée à l’âge de 18 ans, parlent de leur soi-disant “mission” à al-Khalil. Ils étaient “chargés de protéger et de garder les colons israéliens”. Ces soldats, qui étaient à peine adultes, ont bénéficié d’un contrôle total de la vie des Palestiniens dans la ville.
Les six “anciens” soldats décrivent leur “mission” dans un studio, la base des “devoirs définis dans leur guide militaire” : les colons israéliens d’al-Khalil sont “gardés et protégés” à l’aide de diverses stratégies, tout en rendant la vie des civils palestiniens insupportable.
Avec le recul, les soldats se souviennent de leur confusion, de leur embarras et de leur haine.
Ils ont raconté à l’écran leurs atrocités commises, donnant ainsi une perspective renouvelée de la gravité de la situation sur le terrain à al-Khalil, qui s’apparente à un crime contre l’humanité, un crime d’apartheid et de persécution.
Mission principale
“Votre seule et unique mission est de garder et de protéger les colons israéliens à Hébron [al-Khalil].”
Les soldats israéliens ayant clairement indiqué que leur mission était de protéger et de garder les colons israéliens, par tous les moyens, il devient évident que l’augmentation et l’aggravation de la violence des colons israéliens contre les Palestiniens se font avec le soutien explicite des autorités d’occupation israéliennes.
Pendant ce temps, les soldats israéliens reçoivent l’ordre de fermer les yeux et même de protéger les auteurs de ces actes.
Les violences des colons à l’encontre des Palestiniens comprennent des dégradations de biens privés, des jets de pierres et des violences physiques, ainsi que des attaques contre des militants et des journalistes.
Ces attaques sont devenues de plus en plus courantes ces dernières années et elles sont perpétrées en toute impunité.
L’un des soldats israéliens a témoigné que c’est un coordinateur de sécurité parmi les colons israéliens qui leur donne des ordres, et non leur commandement militaire. Dans de nombreux cas, les soldats d’occupation israéliens fournissent une escorte et des renforts aux auteurs de ces actes.
Mais, lorsque les soldats israéliens ne participent pas à l’attaque, “les colons illégaux peuvent se retourner contre les soldats, devenant ainsi leurs ennemis”, selon les confessions des soldats.
“Si vous tirez sur un Palestinien, vous recevez une pizza et un café de la part des colons” ; c’est de loin l’un des éléments les plus troublants de la “mission”. L'”affection” des colons peut se transformer en haine si on interdit aux colons de mener des agressions extrêmes contre les Palestiniens.
À ce stade, les soldats autrefois chéris se transforment en “traîtres” et en “nazis”.
“Une route stérile sans Palestiniens”
“Une route stérile est une route sans Palestiniens.”
Dans un commentaire raciste, l’un des “anciens” soldats israéliens affirme qu’il existe des routes qui sont “stérilisées des Palestiniens”.
Les forces d’occupation israéliennes à al-Khalil interdisent aux Palestiniens de circuler sur de larges sections de ce qui était, avant l’occupation, l’artère principale de la ville, dans le cadre de la politique de l’armée israélienne visant à rendre ces zones “stériles” de Palestiniens.
Le coordinateur du Groupe de Défense des Droits de l’Homme, Imad Abu Shamsieh, a déclaré à Al Mayadeen que l’armée d’occupation israélienne avait placé plus de cent postes de contrôle équipés de barrières métalliques et électriques, de caméras de surveillance, de barrières en béton armé et d’avant-postes d’inspection sur les routes dites “stériles”.
Il a également révélé qu’environ 525 magasins palestiniens ont été complètement fermés en 2000 suite à une décision d’un tribunal militaire de l’occupation israélienne.
En outre, Abu Shamsieh a rappelé de manière concise que les véhicules palestiniens, y compris les ambulances, sont interdits dans la “zone H2” depuis octobre 2000.
Le militant des droits de l’homme a poursuivi en disant que “les forces d’occupation israéliennes empêchent les journalistes locaux et internationaux d’accéder à la zone H2 et aux voies ‘stériles’. Dans la même période, j’ai décidé, avec un groupe de Palestiniens d’al-Khalil, de documenter les crimes de guerre israéliens qui se produisent quotidiennement en ciblant les hommes, les femmes et les enfants palestiniens.”
“Depuis 2010, nous avons commencé à filmer les atrocités de l’occupation israélienne contre les Palestiniens dans le cadre de l’initiative ‘Capturing Occupation Camera Project in Palestine‘.”
“Nous sommes un groupe d’environ 30 jeunes volontaires palestiniens qui exposent et documentent les violations des droits de l’homme et du droit international en Palestine”, a déclaré Abu Shamsieh à Al Mayadeen English.
Fouilles au corps
L’un des soldats israéliens a déclaré sans complexe que l’objectif officiel des fouilles à nu est “d’arrêter et de fouiller chaque Palestinien”, mais implicitement, les fouilles visent en fait à humilier les Palestiniens, sans la moindre justification légale.
“Lorsque vous fouillez quelqu’un que vous choisissez dans la rue, cela nécessite de toucher la personne”, a déclaré un soldat.
Un groupe d’hommes palestiniens peut être ciblé pour des fouilles corporelles simplement parce qu’ils pourraient avoir dans l’esprit de l’occupant l’image raciste stéréotypée de “terroristes” véhiculée par Hollywood. Les fouilles ne sont pas effectuées pour trouver des armes, mais pour humilier les Palestiniens ou créer de la “tension” parmi eux.
“L’idée est de les mettre sous tension, pour qu’ils gardent la tête baissée”.
En raison de la proximité des colonies israéliennes dans la ville, les Palestiniens sont entourés d’une importante présence militaire et sont soumis de manière aléatoire et très agressive à des fouilles, des harcèlements et des passages à tabac de routine.
Patrouilles
“L’idée de la patrouille est de patrouiller.”
Les “anciens” soldats israéliens ont raconté qu’ils se promenaient autour des maisons des Palestiniens, les prenant d’assaut dès qu’ils en avaient envie.
“OK soldats, on remet ça.”
L’enquêteuse palestinienne sur le terrain Manal al-Jaabari, originaire d’al-Khalil, a déclaré à Al Mayadeen que les enfants palestiniens d’al-Harika, un quartier de la ville, sont exposés quotidiennement au terrorisme israélien.
“À al-Harika, qui est adjacent à la colonie de “Kiryat Arba”, les forces d’occupation israéliennes font irruption dans les maisons palestiniennes chaque fois qu’une pierre est lancée sur la clôture, et les enfants sont interrogés à l’intérieur de leurs maisons. Parfois, les soldats israéliens les traînent dans la rue et les placent devant les caméras de surveillance”, a-t-elle ajouté.
La jeune enquêteuse affirme avec émotion que les soldats israéliens incitent les jeunes colons israéliens du quartier de Jaber à agresser les enfants palestiniens de leur âge.
Les forces d’occupation israéliennes prétendent qu’ils sont visés par des pierres pour arrêter ou détenir des enfants palestiniens pendant des heures, a confirmé al-Jaabari à Al Mayadeen.
“De nombreux enfants à proximité des écoles, en particulier dans la zone sud près des points de contrôle, sont arrêtés et détenus pendant de longues périodes. Ils sont parfois battus ou insultés et laissés affamés et assoiffés avant d’être remis au bureau de coordination et de liaison d’al-Khalil s’ils sont âgés de moins de 13 ans.”
Au-delà de cet âge, ils sont arrêtés et soumis à une enquête au poste de police de l’occupation israélienne, puis ils sont transférés devant un tribunal israélien ou ils doivent payer une amende d’au moins mille shekels avant d’être libérés.
Si les checkpoints israéliens entravent la vie quotidienne des Palestiniens de la ville, les “anciens” soldats israéliens avouent qu’un checkpoint est une sorte de barrage routier.
“Vous répandez des pointes pour pneus, arrêtez les voitures, et provoquez un énorme trafic.”
“Cela peut être sans aucune raison.”
Ce n’est qu’un épisode, et ce qui a été documenté par le Groupe palestinien de défense des droits de l’homme est souvent bien plus tragique.
Abu Shamsieh a déclaré à Al Mayadeen que sa caméra a filmé le meurtre de sang-froid du martyr Abdel Fattah al-Sharif en 2016 à l’un des postes de contrôle de l’occupation israélienne.
Le défenseur des droits de l’homme a affirmé que le cas d’al-Sharif n’est qu’un des nombreux crimes de guerre israéliens.
Il a également révélé à Al Mayadeen que les colons israéliens écrasent régulièrement des enfants palestiniens âgés d’à peine cinq ans.
Abu Shamsieh a fait savoir aussi qu’il était soumis à des actes de harcèlement, à des restrictions de sa liberté de mouvement, à des enlèvements, à de longues périodes de détention arbitraire, généralement en vertu d’ordres de détention administrative, et à des fouilles illégales de son domicile et de son bureau, sans parler des menaces de mort.
Détentions : “Tout le monde est suspect”
Selon les confessions des soldats, chaque Palestinien est un suspect, et le processus de détention comprend le fait de mettre tout Palestinien “dans un poste avec un soldat, puis de le laisser mariner.”
Les “anciens” soldats témoignent que les soldats israéliens bandent les yeux et menottent les Palestiniens qui ont été arrêtés au hasard.
Comme toutes les villes et tous les villages de Palestine occupée, al-Khalil est également le théâtre d’arrestations aléatoires de Palestiniens sur une base quotidienne, dont des enfants âgés d’à peine 10 ans.
La répression violente des manifestations par les forces d’occupation israéliennes a également entraîné l’arrestation et la détention de manifestants palestiniens.
Une autre “mission” : s’attquer aux journalistes
De son côté, un journaliste palestinien de terrain d’al-Khalil, Sari Jaradat, a déclaré à Al Mayadeen que les forces d’occupation israéliennes empêchent délibérément les journalistes palestiniens et internationaux de couvrir les événements afin de dissimuler leurs crimes quotidiens qui affectent tous les aspects de la vie dans la ville.
“Il y a environ une semaine, un officier de l’occupation m’a dit : ‘si vous êtes touché par nos balles, nous ne porterons aucune responsabilité’.”
“Ils avaient au préalable l’intention de me prendre pour cible pour m’empêcher de faire mon travail, et j’ai subi au total cinq blessures par balles réelles en couvrant leurs crimes, sans parler des dizaines de détentions, d’arrestations, d’empêchements de faire mon travail et d’entraves à mes déplacements”, a ajouté Jaradat.
Jaradat a commenté le programme Blue Wolf et l’installation de caméras pour la reconnaissance faciale à al-Khalil, affirmant que ces caméras conduiront à la suppression de la liberté, notamment de la liberté de la presse, qui est déjà limitée.
“Les soldats de l’occupation israélienne promulgueront toutes les réglementations qu’ils souhaitent pour empêcher les journalistes palestiniens de faire leur travail”, a-t-il ajouté.
L’oppression systématique des Palestiniens a été partiellement reflétée dans la “Mission” et totalement manifestée dans les témoignages sincontestables de Sari, Imad et Manal. Pourtant, ce qui se passe en Palestine, et plus particulièrement à al-Khalil, ne peut être documenté ou résumé en un film, un chapitre ou une prise de vue.
Auteur : Rasha Reslan
* Rasha Reslan est journaliste à Al-Mayadeen Media Network, une chaîne arabe indépendante d'information par satellite, lancée le 11 juin 2012, et basée dans la capitale libanaise, Beyrouth.Rasha travaille également comme traductrice
21 novembre 2021 – Al-Mayadeen – Traduction : Chronique de Palestine