Pour résoudre la question palestinienne, il faut mettre fin à l’occupation coloniale

Photo : Oren Ziv / ActiveStills

Une militante palestinienne se protège le visage alors que des gaz lacrymogènes sont tirés par l'armée israélienne lors d'une manifestation contre l'occupation dans le village de Nabi Saleh en Cisjordanie, le 20 janvier 2012 - Photo : Oren Ziv / ActiveStills

Par Wesam Ahmad

On comptait sur le droit international pour en finir avec le colonialisme. Son échec en Palestine le rend-il caduc ?

La menace d’Israël d’annexer officiellement des parties du territoire palestinien pourrait susciter une crise internationale qui s’ajouterait à la pandémie mondiale, à la récession économique et aux tensions raciales qui couvent partout dans le monde. S’il prenait cette mesure scandaleuse, le gouvernement israélien pourrait, en effet, provoquer la disparition du système de relations internationales fondé sur des règles.

Le régime actuel du droit international a été établi dans la première moitié du 20e siècle, non seulement pour réglementer les relations entre les États, mais aussi pour soutenir les mouvements d’autodétermination dans le monde entier et chapeauter la fin du colonialisme.

L’annexion imminente par Israël de la terre palestinienne et l’absence de réaction internationale témoignent de l’échec du droit international à mettre fin au colonialisme et remet en question sa raison d’être même.

Les puissants au-dessus des lois

Dans les cercles diplomatiques internationaux, une grande partie du discours sur l’annexion s’est concentré sur la dissuasion, selon l’idée que la menace des conséquences concrètes que l’annexion engendrerait, conduirait à reconsidérer la démarche. Mais ce discours ne prend pas en compte le fait que, si Israël s’apprête à annexer un autre pan du territoire palestinien c’est justement parce que la dissuasion ne fonctionne pas. La peur des conséquences n’a fait qu’obliger les gouvernements israéliens successifs à changer de tactique.

En fait, Israël a bénéficié d’une large impunité tout au long des différentes étapes de la colonisation de la Palestine, la communauté internationale l’ayant traité comme un État souverain respectueux des lois et non comme une puissance colonisatrice. La participation d’Israël au programme Horizon 2020 de l’Union européenne en est un exemple parmi d’autres.

Israël, bien sûr, n’est pas le seul pays à avoir des ambitions expansionnistes. L’histoire regorge d’exemples d’États coloniaux rapaces, ainsi que des moyens, méthodes et justifications qu’ils ont utilisés pour faire avancer leur projet colonial. Dans la grande majorité des cas, ces États n’ont fait preuve d’aucune retenue, et il a fallu une force extérieure (le plus souvent la détermination des sujets coloniaux opprimés) pour défier et vaincre l’État colonial.

C’est pour cette raison que le droit international comprend des dispositions censées freiner l’expansionnisme. Mais si le cadre juridique existe, ses mécanismes d’application se sont révélés insuffisants, ce qui n’a fait qu’encourager les acteurs puissants à le contourner et/ou à l’ignorer. La poursuite de la colonisation de la Palestine en est un excellent exemple.

Dès les premiers jours de l’occupation en 1967, les responsables israéliens ont été informés que l’appropriation de biens à des fins de colonisation civile serait considérée comme une violation du droit humanitaire international qui interdit théoriquement la pratique du colonialisme.

Ils ont alors décidé de se servir des dispositions du droit des conflits armés, qui permet la saisie de biens lorsque “les nécessités de la guerre l’exigent impérativement”, comme cadre du développement et de l’expansion des colonies juives sur les terres palestiniennes.

Lorsque la Haute Cour israélienne s’est prononcée contre l’appropriation de la propriété privée palestinienne dans l’affaire Elon Moreh de 1979, la politique israélienne s’est adaptée en utilisant le droit de l’époque ottomane pour traiter les terres publiques comme des terres d’État et continuer à développer son entreprise de colonisation, en faisant la distinction entre propriété publique et privée dans les territoires occupés.

Soit en traitant les colons comme s’ils faisaient partie de la population civile des territoires occupés, soit en en justifiant l’exploitation des ressources naturelles par la nécessité de payer des redevances à l’administration israélienne en charge des civils palestiniens et de leur emploi, le système judiciaire israélien a fourni une couverture “légale” à l’entreprise coloniale d’Israël, sous couvert d’un autre principe du droit des conflits armés, qui permet d’apporter des changements dans un territoire occupé s’ils sont réalisés dans l’intérêt de la population civile qui s’y trouve.

L’économie du colonialisme

Tout au long de ses 80 ans d’histoire, Israël a affiné sans relâche l’art de la colonisation et a été à la pointe de ce qui pourrait être considéré comme les meilleures pratiques commerciales du colonialisme.

Le projet colonial israélien présente les caractéristiques coloniales habituelles, telles que la suprématie, l’exploitation et l’utilisation du droit, mais il présente également un trait spécifique au moins: il fonctionne comme une multinationale.

En intégrant la mondialisation et l’économie de marché à son entreprise coloniale, Israël a créé un système économique qui a intérêt à perpétuer le conflit pour accroître ses profits. Israël a mené une politique tournée à la fois vers des acteurs étatiques et privés qu’il a fait profiter des substantiels profits de son entreprise coloniale.

Par exemple, la société allemande Heidelberg Cement, l’une des plus grandes entreprises de matériaux de construction au monde, a été accusée de tirer profit de l’extraction des ressources des terres palestiniennes illégalement confisquées par Israël en Cisjordanie et de la vente de matériaux de construction à des colonies israéliennes illégales.

Ainsi, des préoccupations commerciales – gains économiques directs et indirects – ont découragé des gouvernements de prendre des mesures politiques pour contrecarrer le projet colonial israélien et, de ce fait, des Etats ont contribué comme les multinationales à son développement.

Cet enchevêtrement d’intérêts économiques explique l’hypocrisie de la réponse de la communauté internationale à l’entreprise coloniale israélienne : d’une part elle condamne Israël et insiste sur l’application des dispositions juridiques internationales et d’autre part elle ne prend aucune mesure sérieuse pour y mettre un terme.

Le problème est que des décennies d’impunité ont conduit de nombreux responsables israéliens à croire qu’ils n’ont désormais même plus besoin de contourner les règles internationales pour aboutir à de discrètes annexions de facto, avec le soutien de l’administration Trump ; ils ont maintenant décidé de saisir de jure (de plein droit) des terres palestiniennes.

Cette décision a perturbé l’équilibre fragile que la communauté internationale essayait de maintenir entre l’intégrité du système juridique international et sa paralysie face aux violations israéliennes, les coûts de cette situation étant désormais potentiellement supérieurs aux bénéfices (y compris économiques).

Si Israël est autorisé à ne pas respecter le droit international, comment l’UE pourra-t-elle invoquer le droit international pour justifier sa position sur des questions telles que l’annexion de la Crimée par la Russie, par exemple ?

Il est temps de mettre fin au colonialisme

Alors que 2020 marque la dernière année de la troisième Décennie internationale pour l’éradication du colonialisme, il est temps pour la communauté internationale de reconnaître que les pratiques coloniales israéliennes actuelles font partie intégrante de l’histoire du colonialisme.

Le droit international était censé mettre un terme à la pratique du colonialisme, mais il est clair que le travail n’est pas fini. La colonisation de la Palestine prouve que le colonialisme est loin d’être éradiqué.

Si la communauté internationale veut sauver la règle de droit dans les relations internationales, elle doit prendre des mesures concrètes. Sa réponse au projet d’annexion officielle ne peut se limiter à tenter d’en repousser l’échéance, en menaçant Israël de sanctions. Cela le conduirait simplement de revenir à son ancienne stratégie d’annexion de facto.

Le 1er juillet est peut-être venu et reparti avec son lot de frustrations, mais Israël a révélé au monde ses véritables intentions et celles-ci ne peuvent plus être ignorées.

Par conséquent, la communauté internationale doit s’attaquer aux causes profondes de cette menace, cesser d’avoir peur de demander des comptes à Israël sur la colonisation de la Palestine, et prendre immédiatement des mesures concrètes. Ces mesures devraient prendre la forme de sanctions ciblées visant l’ensemble de la structure économique qui en même temps nourrit et se nourrit de l’entreprise coloniale d’Israël.

Si une force extérieure ne s’élève pas contre les ambitions expansionnistes d’Israël, la colonisation de la Palestine se poursuivra. Si l’on veut préserver l’esprit et la lettre d’un système de relations internationales fondé sur des règles, cette force extérieure doit être la force du droit.

* Wesam Ahmad est un défenseur palestinien des droits de l’homme au sein de l’ONG Al-Haq basée à Ramallah, en Palestine. Il est également doctorant au Centre irlandais pour les droits de l’homme à Galway, en Irlande.



13 juillet 2020 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet