Lors d’une conversation tenue en 2020, Richard Falk, professeur émétite à Princeton m’affirma que toutes les nations colonisées qui avaient gagné la guerre de la légitimité avaient gagné leur liberté.
La Palestine ne sera probablement pas une exception. Quelque chose pourtant distingue la guerre de Gaza : elle adresse au monde et aux gouvernements le défi sans précédent de définir clairement leurs positions face au droit international, de même que leurs obligations envers les institutions internationales telles que les Nations Unies, la Cour Internationale de Justice, la Cour Pénale Internationale et autres institutions.
« Aucun gouvernement n’est légitime tant qu’il n’est pas exercé avec le consentement des gouvernés » a dit John Locke, le philosophe anglais du 17ème siècle. Cet énoncé n’est pas de la théorie pure, il peut toujours être mis en pratique.
Le consentement cependant ne se traduit pas toujours par des élections démocratiques et transparentes. La légitimité et la loyauté envers les gouvernants peuvent s’exprimer autrement.
Ceux qui ne respectent pas la maxime de John Locke peuvent facilement se retrouver entraînés dans la tourmente politique et souvent la rebellion violente résultant de la dissension populaire.
Afin de maintenir un minimum de consensus international, les Nations Unies ont été fondées en 1945. Il était clair dès le départ que les Nations Unies ne reflétaient pas les aspirations universelles, celles de tous les peuples.
Bien au contraire, elles furent structurées sur la base d’un modèle hiérarchique où les vainqueurs émergèrent comme les maîtres en s’octroyant la qualité de membres permanents du Conseil de Sécurité et le droit de véto. Quant aux serfs, ils reçurent des sièges à l’Assemblée Générale qui ne leur donnaient que très peu de pouvoir.
Les Nations Unies ont fourni une plate-forme assurant un minimum de légitimité internationale mais leur structure inégale a donné naissance à un autre conflit bien décrit par ces mots de l’universitaire britannique, Adam Grove « le statut privilégié des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité… n’est pas seulement une relique de ce passé fait d’occidentalo- centisme, il est pire puisqu’il est moyen pour les puissances du statu- quo de limiter l’influence et le développement des autres Etats. »
Afin d’assurer leur survie dans ce nouveau système international inégal, les pays les plus petits serrèrent les rangs et tentèrent d’ouvrir des alternatives sous la forme de groupes politiques moins puissants mais qui pouvaient agir au sein des institutions plus vastes déjà dessinées.
Ils utilisèrent leurs nombres afin de faire face à la concentration du pouvoir entre les mains d’un petit nombre et cela, en exploitant les moindres ouvertures pour avancer les droits des nations les plus pauvres et les plus opprimées.
Le Mouvement des Non-Alignés fondé en 1961 a constitué une de ces alternatives. Il a connu un succès qui a marqué les esprit tout en restant limité en pratique.
Tout au de ces décennies, les Etats-Unis d’Amérique et leurs alliés occidentaux ont pas mal malmené la notion de « légitimité » en imposant leur propre interprétation du Droit International, en tuant à coups de vétos toutes les projets de résolution qui ne servaient pas leurs intérêts et en isolant les membres récalcitrants.
Pendant la période soviétique, l’opposition entre l’Est et l’Ouest pouvait offrir à l’action au sein des Nations Unies et de ses organes d’influence un équilibre qui permettait aux Non-Alignés et autres nations coalisées du Sud de se donner une plus grande importance politique.
A l’époque, la Chine, du fait de son poids économique limité, ne pouvait pas imposer sa version de la légitimité sur le reste du monde.
Les choses ont changé. Le front soviétique s’est écroulé au début des années 1990, entraînant avec lui le paradigme de pouvoir qui permettait à Moscou de maintenir plus d’équilibre dans les grandes décisions.
Par ailleurs, le pouvoir de la Chine s’est accru grâce à sa machine économique, gagnant toujours plus d’influence et donc de légitimité parmi les pays dont les liens économiques avec elle s’intensifiaient.
Un autre grand changement est en train de se dérouler. Quand on écoute les discours des représentants russes, chinois, sud-africains, irlandais, égyptiens, saoudis et émiratis, on se rend compte qu’un consensus international fort se constitue autour de l’idée que le droit international et particulièrement, le droit humanitaire pouvaient constituer une source de légitimité internationale et cela, pas seulement pour ce qui concerne la guerre en cours à Gaza mais aussi à propos d’autres causes internationales où paix et justice doivent être instaurées.
Mais voilà, quand l’ambassadrice US, Linda Thomas-Greenfield, a levé la main pour la quatrième fois, le 20 février, pour apposer un autre véto, celui qui rejetait l’appel algérien à un cessez-le-feu humanitaire immédiat, un autre pilier de la légitimité internationale s’est écroulé.
Même à la Cour Internationale de Justice, alors que le monde entier défendait le droit à la liberté des Palestiniens, les USA s’y opposaient. « La Cour ne devrait pas conclure qu’Israël est légalement tenu de quitter immédiatement et inconditionnellement le territoire occupé. » a dit le conseiller juridique au Département d’Etat US, Richard Visek le 21 février.
La grande ironie est que les USA avaient déjà eu recours à ces diverses institutions, y compris la CIJ dont ils ne sont même pas membres, pour légitimer leurs actions en Irak, en Serbie, en Libye, en Ukraine et dans de nombreux conflits.
Tout cela aura des conséquences et les années à venir montreront que la crise de légitimité internationale résultant de l’abus de pouvoir au sein de l’ONU ne pourra pas être résolue avec des réformes et des changements de surface.
Le problème est maintenant devenu plus profond et dévastateur et le prix à payer est tout simplement insupportable.
La force militaire à elle seule ne permet pas à un pays d’acquérir sa légitimité et de la conserver. On peut en dire autant de l’influence économique et de l’habileté diplomatique.
Pour que la légitimité s’instaure durablement, il faut beaucoup plus, en commençant par l’idée de départ à être acceptée par tous que le droit international n’est pas fait pour prolonger les guerres mais pour les arrêter.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
8 mars 2024 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Najib Aloui